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compte qu'il rendoit au Pape de ces livres pernicieux dans leur tout, et insoutenables en tout sens, parce que ce qu'on y lit est pernicieux, et que ce qu'on y veut deviner est forcé et n'est pas suffisant.

14. On peut encore observer ici l'affectation de ne nommer au Pape que Molinos sans nommer madame Guyon. Il est vrai qu'on a jeté à la marge de la lettre au Pape le Moyen court, etc., avec l'Explication du Cantique des Cantiques. Mais après la liberté que M. de Cambray s'est donnée, de dire qu'on a inséré ce qu'on a voulu dans son texte, qui l'empêchera de désavouer une note marginale dont le texte ne porte rien? et en tout cas il en sera quitte pour condamner dans ces livres quelques endroits seulement, en épargnant le fond qui est tout gâté, et encore à les condamner dans ce sens prétendu rigoureux, auquel il est caution que l'auteur n'a jamais pensé.

15. Il ne satisfait pas davantage le public en ajoutant ces paroles: «Je ferai sur ce point, comme sur tous les autres, ce que le Pape jugera à propos : « car qu'y avoit-il à attendre depuis la censure de Rome de 1689? ne voit-on pas que M. de Cambray, qui si longtemps après a soutenu ce livre, en veut encore éluder la condamnation en la différant? Ainsi cette lettre devenue publique, visiblement ne dit rien: aussi M. de Cambray voudroit bien que l'on crût qu'il a écrit quelque lettre au Pape plus secrète et plus précise: c'est pourquoi dans la seconde édition de sa Réponse, il a supprimé ces mots : Ma lettre est devenue publique', et il a voulu retirer l'édition où ils étoient, parce qu'on y voyoit trop clairement que sur les livres de madame Guyon il ne vouloit qu'éluder, et ne s'expliquer jamais.

16. Il fait plus que de garder le silence. M. l'archevêque de Paris a démontré que le livre des Maximes n'est qu'un foible adoucissement, qu'une adroite et artificieuse justification des livres de madame Guyon: M. de Cambray n'a fait que revêtir de belles couleurs l'exclusion de l'espérance et du désir du salut, avec celle de Jésus-Christ et des personnes divines dans la pure contemplation, et tous les autres excès de cette femme : c'est visiblement Edit. de Brux., p. 119.-2 Rép., p. 13-15, etc.

son intérieur que ce prélat a voulu dépeindre, et ces manifestes défauts qu'il a voulu pallier dans son article xxxix. C'est ce qu'on ressent dans sa Vie, où elle parle d'elle-même en cette sorte : «Les ames des degrés inférieurs paroîtront souvent plus parfaites. On se trouve si éloigné du reste des hommes, et ils pensent si différemment, que le prochain devient insupportable. » Voici une nouvelle merveille, de se trouver si fort au-dessus des autres hommes, que l'éminence de la perfection, qui fait regarder le prochain avec la plus tendre condescendance, empêche de le supporter mais la merveille des merveilles, « c'est, ajoute-t-elle, qu'on éprouve dans la nouvelle vie qu'on couvre l'extérieur par des foiblesses apparentes : » ainsi parmi les défauts qu'elle ne peut ni vaincre ni couvrir, elle flatte par ces superbes excuses la complaisance cachée qui lui fait tourner son foible en orgueil, et par le même moyen M. l'archevêque de Cambray entretient l'admiration des justes qui la connoissent1.

17. Que servoient dans les Maximes des Saints ces beaux discours sur les ames prétendues parfaites: « Elles parlent d'ellesmêmes par pure obéissance, simplement en bien ou en mal, comme elles parleroient d'autrui ; » ne voit-on pas qu'il falloit trouver des excuses aux énormes vanteries d'une femme qui se disoit revêtue d'un état prophétique et apostolique, avec pouvoir de lier et de délier; pleine de grace jusqu'à regorger; et d'une perfection tellement suréminente qu'elle ne pouvoit supporter le reste des hommes? Quand de tels excès se découvriront, l'excuse en est toute prête dans le livre de M. de Cambray : Madame Guyon aura parlé d'elle-même comme d'un autre : elle aura parlé par obéissance au Père la Combe son directeur, à qui elle adresse sa Vie, où se trouvent toutes les choses qu'on a rapportées.

18. Le Père la Combe étoit celui qui lui avoit été donné d'une façon particulière et miraculeuse : s'il étoit devenu son père spirituel, elle avoit premièrement été sa mère : c'étoit le seul à qui elle communiquoit la grace, quoique de loin, avec toute la tendresse qu'elle représente dans sa Vie, jusqu'à se sentir obligée pour la laisser évaporer, de lui dire quelquefois : « O mon fils, 1 Max. des SS., p. 249. — 2 Ibid., p. 221, 267, 269.

vous êtes mon fils bien-aimé dans lequel je me suis plue uniquement.» Dieu lui avoit pourtant donné dans sa prison, et comme le fruit de ses travaux, un autre homme encore plus intime que le Père la Combe; « et quelque grande que fùt son union avec ce Père, celle qu'elle devoit avoir avec le dernier étoit encore toute autre chose.» Sur cela je ne veux rien deviner, et je rapporte ici seulement cet endroit de sa Vie, pour montrer que le faux mystère se continue, et que nous ne sommes pas à la fin des illusions que nous promet cette femme.

19. Cependant ce Père la Combe est l'auteur de l'Analyse condamnée à Rome, et depuis par plusieurs évêques. Les circonstances de sa liaison avec cette femme ont été connues du défunt évêque de Genève de sainte mémoire, Jean d'Aranthon; et l'histoire en est devenue publique dans la Vie de ce saint évêque 1, que le docte et pieux général des Chartreux a mise au jour. Le temps est venu où Dieu veut que cette union soit entièrement découverte : je n'en dirai rien davantage, et je me contente de faire connoître celui par l'ordre duquel madame Guyon écrivoit sa Vie.

20. A toutes les pages de cette Vie elle se laisse emporter jusqu'à dire « O qu'on ne me parle plus d'humilité : les vertus ne sont plus pour moi : non, mon Dieu, qu'il n'y ait plus pour moi ni vertu, ni perfection, ni sainteté : » partout dans la même Vie les manières vertueuses sont les manières imparfaites: l'humilité vertu est une humilité feinte, du moins affectée ou forcée : c'est là aussi qu'on trouve la source du nouveau langage; où l'on dit qu'on ne veut plus les vertus comme vertus. M. de Cambray a adopté ces paroles: de là vient dans ses écrits tout ce qu'on y y voit pour rabaisser les vertus; et de là vient enfin la violence perpétuelle qu'il fait à tant de passages de saint François de Sales, qu'il falloit entendre plus simplement avec le Saint.

21. Nous n'avions rien dit d'approchant de tout cela dans nos Articles: ces explications ajoutées en faveur de madame Guyon n'étoient pas une explication plus étendue comme M. de Cambray la promettoit, mais une dépravation manifeste de nos sentimens et

Vie de Jean d'Aranthon, etc., liv. III, chap. IV, p. 261, etc.

des SS..

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2 Max.

de nos principes. Dans l'article xxxIII nous avions tout dit sur les conditions et suppositions impossibles : il n'en falloit pas davantage pour vérifier ce qu'en avoit dit saint Chrysostome et les autres saints, qui n'ont jamais introduit ces suppositions qu'avec l'expression du cas impossible. Mais ce qui suffisoit pour les Saints, ne suffisoit pas pour excuser madame Guyon: ainsi pour la satisfaire il a fallu inventer le sacrifice absolu, dont jamais on n'avait entendu parler, et toutes les circonstances qu'on en a souvent remarquées : toutes choses ajoutées à nos Articles, et inconnues à tous les auteurs, excepté à Molinos et à madame Guyon.

22. Pour en dire ce mot en passant, et remettre un peu le lecteur dans le fait, étoit-ce une explication de nos principes que cet acquiescement à sa juste condamnation, qu'un de nos Articles a expressément condamné 1? Nous y avions dit en termes exprès, « qu'il ne faut jamais permettre aux ames peinées d'acquiescer à leur désespoir et damnation apparente: » au contraire, M. de Cambray fait permettre cet acquiescement par un directeur et pour le rendre plus volontaire, pour l'attribuer à la plus haute partie de l'ame, il l'appelle un sacrifice, et un sacrifice absolu. Nous avions dit dans le même article, « qu'il falloit avec saint François de Sales assurer ces ames que Dieu ne les abandonneroit pas loin d'approuver cet article, M. de Cambray le réfute expressément, lorsqu'il dit qu'il n'est question, ni de raisonner avec ces ames qui sont incapables de tout raisonnement, ni même de leur représenter la bonté de Dieu en général. Il faut donc destituer de consolation des ames qu'on suppose saintes, et leur ôter avec la raison le culte raisonnable que saint Paul enseigne : il faut les livrer à leurs cruelles pensées, et pour dire tout en un mot, à leur désespoir? Etoit-ce là expliquer ou dépraver nos principes, et qu'avions-nous dit de semblable dans nos Articles?

1 Art. 31.

VII SECTION.

Sur les explications de M. l'archevêque de Cambray, et sur la nécessité de notre Déclaration.

1. S'il faut maintenant venir aux explications de M. l'archevêque de Cambray, trois choses sont à remarquer dans le fait : la première, que c'étoit des explications dont nous n'avions jamais entendu parler, et qu'il falloit pourtant avouer comme contenues dans nos articles d'Issy, puisque c'étoient ces articles que M. de Cambray vouloit avoir expliqués : la seconde, qu'il les changeoit tous les jours, en sorte qu'elles ne sont pas encore achevées : la troisième, que visiblement elles contenoient de nouvelles erreurs. 2. Qu'avions-nous affaire de son amour naturel, auquel nous n'avions jamais songé? et quand nous l'eussions admis, que servoit-il au dénouement des difficultés? La principale de toutes étoit l'acquiescement à sa juste condamnation du côté de Dieu : mais M. l'archevêque de Paris vient encore de démontrer qu'acquiescer à la perte de cet amour naturel, c'est si peu acquiescer à sa juste condamnation de la part de Dieu, que c'est au contraire en recevoir une grace, puisque selon l'auteur même, c'en est une des plus éminentes d'être privé d'un amour dont on fait le seul obstacle à la perfection? Qu'eussions-nous pu dire à un raisonnement si clair? et en falloit-il davantage pour nous empêcher de recevoir des explications dont le livre qu'on nous vouloit faire excuser ne tiroit aucun secours?

3. D'ailleurs cette explication est si mauvaise, qu'encore tout nouvellement et dans la dernière lettre qui m'est adressée, M. de Cambray la vient de changer. Dans cette dernière lettre 1, acquiescer à sa juste condamnation, ce n'est plus acquiescer à la perte de l'amour naturel, comme jusqu'ici il avoit voulu nous le faire entendre: « acquiescer à sa juste condamnation, c'est (à un pécheur) reconnoître qu'il mérite la peine éternelle : » ainsi l'amour naturel ne sert plus de rien à cet acte; ce n'est point par un amour naturel qu'un pécheur se reconnoît digne d'un supplice éternel. Mais cette nouvelle réponse n'est pas meilleure que les autres, et .1le Lett. à M, de Meaux, p. 5.

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