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condamne les faux mystiques. M. l'archevêque de Paris en a découvert l'artifice; on s'embarrasse naturellement quand on ne veut pas condamner ce qu'on n'ose défendre à pleine bouche. On outre ailleurs le quiétisme pour passer par-dessus le vrai mal. Quel quiétiste a jamais « consenti de haïr Dieu éternellement, ni de se haïr soi-même d'une haine réelle, en sorte que nous cessions d'aimer en nous pour Dieu son œuvre et son image 1? » Qui jamais « a consenti à se haïr soi-même d'une haine absolue, comme supposant que l'ouvrage du Créateur n'est pas bon : à porter jusque-là le renoncement de soi-même, par une haine impie de notre ame qui la suppose mauvaise par sa nature, suivant le principe des manichéens 2? » Quand on tire de tels coups, on tire en l'air on passe par-dessus le corps, et à la manière des poëtes on contente la juste aversion des fidèles contre le quiétisme, en leur donnant à déchirer un fantôme.

SECTION X.

Procédés à Rome : soumission de M. de Cambray.

1. La relation seroit imparfaite si l'on omettoit les écrits italiens et latins qu'on a mis à Rome au nom de M. de Cambray, entre les mains de tant de gens, qu'il en est venu des exemplaires jusqu'à nous. Un de ces écrits latins que j'ai en main sous le titre d'Observations d'un docteur de Sorbonne, dit que « les jansénistes se sont liés avec l'évêque de Meaux contre M. de Cambray, et que les autres évêques se sont unis contre lui comme contre une autre Susanne, à cause qu'il n'a pas voulu entrer dans leur cabale et dans leurs mauvais desseins. » Le même écrit fait valoir M. de Cambray « comme nécessaire pour soutenir l'autorité du saint Siége contre les évêques, par lesquels il est important de ne pas laisser opprimer un si habile défenseur.» Nous sommes dans d'autres endroits les ennemis des religieux dont il est le protecteur. On voit par là toutes les machines qu'il a voulu remuer. Mais le Pape qui gouverne l'Eglise de Dieu ne souffrira pas que rien affoiblisse la gloire du clergé de France, toujours si Max., art. 11, faux, p. 31, 32.- 2 Art. 12, faux.

obéissant au saint Siége. La vérité ne se soutient pas par des mensonges et pour ce qui est des religieux, dans quels diocèses de la chrétienté sont-ils traités plus paternellement que dans les nôtres? M. de Cambray répondra peut-être que tout cela se dit sans son ordre: mais je laisse à juger au sage lecteur si dans une accusation aussi visiblement fausse, où il s'agit également de la religion et de l'Etat, et de la réputation des évêques de France, qui font une partie si considérable de l'épiscopat, ce seroit assez de désavouer en l'air, quand on l'auroit fait, des calomnies manifestes, après qu'elles auront eu leur effet sur certaines gens: et si la justice et la vérité ne demandent pas une déclaration plus expresse et plus authentique.

2. On vante dans les mêmes écrits le grand nombre d'évêques et de docteurs qui favorisent les sentimens de M. l'archevêque de Cambray, et que la seule crainte empêche de se déclarer. Il faudroit du moins en nommer un seul : on n'ose: l'épiscopat n'a pas été entamé, et M. l'archevêque de Cambray ne peut citer pour son sentiment aucun docteur qui ait un nom.

3. Un des reproches les plus apparens que me fait cet archevêque, c'est qu'il ne méritoit pas d'être traité, étant soumis, à la manière dont on traite les pélagiens : comme si l'on ne savoit pas que ces hérétiques ont joué longtemps le personnage de gens soumis, même au saint Siége. Je ne souhaite que de voir M. de Cambray parfaitement séparé d'avec ceux dont la soumission est ambiguë; mais de bonne foi et en conscience, peut-on être content de la demande, que malgré ses soumissions précédentes, ce prélat vouloit faire au Pape pour déterminer la manière dont il devoit prononcer, comme il le déclare dans sa lettre du 3 d'août 1697? Il est vrai que par une lettre suivante il dit cesots: A Dieu ne plaise que je fasse la loi à mon supérieur: ma promesse de souscrire, et de faire un mandement en conformité, est absolue et sans restriction. » Que vouloient donc dire ces mots de la lettre du 3 d'aoùt? « Je demanderai seulement au Pape qu'il ait la bonté de marquer précisément les erreurs qu'il condamne, et les sens sur lesquels il porte sa condamnation, afin que ma souscription soit sans restriction?» Sans cela donc, la restriction

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est inévitable mais c'est pousser le Pape et l'Eglise à l'impossible. Il n'y auroit jamais eu de décision s'il avoit fallu prévoir tous les sens que la mauvaise fertilité des esprits subtils auroient produits à cette condition nous n'aurions eu ni l'homousion de Nicée, ni le theotocos d'Ephèse. On voit donc qu'il s'en faut tenir à cette sagesse modérée de saint Paul : autrement on tombe dans les questions désordonnées et interminables proscrites par cet Apôtre 2.

4. On dira que M. de Cambray se rétracte de cette absurde proposition dans sa seconde lettre : mais non, puisqu'il continue à demander que le Pape « ait la bonté de marquer chaque proposition digne de censure, avec le sens précis sur lequel la censure doit tomber » c'est là encore se replonger dans l'impossibilité où toutes les décisions ecclésiastiques sont éludées. Si M. de Cambray déclare qu'il sera soumis, et « qu'on ne le verra jamais, quoi qu'il arrive, écrire ni parler pour éluder la condamnation de son ouvrage : » c'est en déclarant « en même temps qu'il se bornera à demander au Pape une instruction particulière sur les erreurs dont il devra se corriger. » A cette condition, il proteste d'être tranquille, tant sur le droit que sur le fait: mais c'est après avoir auparavant dénoncé à tout l'univers que bien éloigné d'être en repos au dedans, il ne cessera de questionner le Pape pour lui faire dire autre chose que ce qu'il aura décidé.

5. Le monde complaisant dira encore que c'est pousser trop loin le soupçon mais je ne fais cependant que répéter les paroles de deux lettres imprimées, que M. de Cambray ne rétracte pas. Je prie Dieu au reste, qu'il s'en tienne aux termes généraux de sa soumission; et quoique la vérité me force de remarquer ce qu'il publie de mauvais, « j'espérerai toujours » avec saint Paul, «< ce qu'il y aura de meilleur : « Confidimus meliora, tametsi ita loquimur 3.

1 I Timoth., I, 4.

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2 II Timoth., II, 23.

3 Hebr., VI, 9.

SECTION XI.

Conclusion.

1. Il a donc enfin fallu révéler le faux mystère de nos jours: le voici en abrégé tel qu'il a paru dans le discours précédent : une nouvelle prophétesse a entrepris de ressusciter la Guide de Molinos, et l'oraison qu'il y enseigne : c'est de cet esprit qu'elle est pleine mystérieuse femme de l'Apocalypse, c'est de cet enfant qu'elle est enceinte l'ouvrage de cette femme n'est pas achevé; nous sommes dans les temps qu'elle appelle de persécution, où les martyrs qu'elle nomme du Saint-Esprit auront à souffrir. Viendra le temps, et selon elle nous y touchons, où le règne du Saint-Esprit et de l'oraison, par où elle entend la sienne qui est celle de Molinos, sera établi avec une suite de merveilles dont l'univers sera surpris. De là cette communication de graces; de là dans une femme la puissance de lier et de délier. Il est certain par preuves qu'elle a oublié ce qu'elle a souscrit entre mes mains et en d'autres plus considérables, sur la condamnation et de ses livres et de la doctrine qui y étoit contenue. Chaque évêque doit rendre compte dans le temps convenable, de ce que la disposition de la divine Providence lui a mis en main: c'est pourquoi j'ai été contraint d'expliquer que M. l'archevêque de Cambray, un homme de cette élévation, est entré dans ce malheureux mystère, et s'est rendu le défenseur, quoique souvent par voies détournées, de cette femme et de ses livres.

2. Il ne dira pas qu'il ait ignoré cette prodigieuse et insensée communication de graces, ni tant de prétendues prophéties, ni le prétendu état apostolique de cette femme, lorsqu'il l'a, de son aveu propre, laissé estimer à tant d'illustres personnes qui se fioient en lui pour leur conscience. Il a donc laissé estimer une femme qui prophétisoit les illusions de son cœur. Sa liaison intime avec cette femme étoit fondée sur sa spiritualité, et il n'y a pas d'autre lien de tout ce commerce: c'est ce qu'on a vu écrit de

sa main; après quoi on ne doit point s'étonner qu'il ait entrepris la défense de ses livres.

3. C'est pour les défendre qu'il écrivoit tant de mémoires devant les arbitres choisis; et il n'a pas été nécessaire que j'en représentasse les longs extraits que j'ai encore, puisque la substance s'en trouve dans le livre des Maximes des Saints.

4. Pour avoir lieu de défendre ces livres pernicieux, dont le texte lui paroissoit à lui-même si insoutenable, il a fallu avoir recours à un sens caché que cette femme lui a découvert; il a fallu dire qu'il a mieux expliqué ces livres que ces livres ne s'expliquent eux-mêmes : le sens qui se présente naturellement n'est pas le vrai sens : ce n'est qu'un sens rigoureux, auquel il répond qu'elle n'a jamais pensé : ainsi pour les bien entendre, il faut lire dans la pensée de leur auteur; deviner ce qui n'est connu que du seul M. de Cambray; juger des paroles par les sentimens, et non pas des sentimens par les paroles: tout ce qu'il y a de plus égaré dans les livres de cette femme, c'est un langage mystique dont ce prélat nous est garant ses erreurs sont de simples équivoques; ses excès sont d'innocentes exagérations, semblables à celles des Pères et des mystiques approuvés.

5. Voilà ce que pense un si grand prélat des livres de madame Guyon, après avoir, si nous l'en croyons, poussé l'examen jusqu'à la dernière rigueur: c'est ce qu'il a écrit de sa main quelque temps devant la publication de son livre; et après tant de censures, on n'a pu encore lui arracher une vraie condamnation de ces mauvais livres au contraire c'est pour les sauver qu'il a épargné la Guide de Molinos, qui en est l'original.

6. Cependant malgré toutes les mitigations du livre des Maximes des Saints, on y voit encore et madame Guyon et Molinos trop foiblement déguisés pour être méconnus; et si je dis après cela que l'ouvrage d'une femme ignorante et visionnaire, et celui de M. de Cambray, manifestement sont d'un seul et même dessein, je ne dirai après tout que ce qui paroît de soi-même.

7. Je ne le dirai qu'après que la douceur et la charité ont fait leurs derniers efforts. On n'a point chicané madame Guyon sur ses soumissions: on les a reçues bonnement, j'emploierai ce mot,

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