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§ II. Sur les altérations du texte.

M. DE CAMBRAY.

3. « J'ai prouvé à M. de Meaux qu'il avoit altéré mes principaux passages, pour m'imputer des sentimens impies: il n'a vérifié aucun de ces passages. J'ai montré des paralogismes qu'il a employés pour me mettre des blasphèmes dans la bouche, et il n'y répond rien. Je l'ai pressé, mais inutilement, de répondre sur des questions essentielles et décisives pour mon système. Il s'agit, si Dieu par les promesses gratuites a été libre, ou non, de nous donner la béatitude surnaturelle 1. Si Dieu ne l'eût pas donnée, n'auroit-il pas été aimable pour sa créature? Quand je le presse de me répondre sur des dogmes fondamentaux de la religion, il se plaint de mes questions, et ne veut point s'expliquer. Ce n'est pas que ces questions lui aient échappé : au contraire il les rapporte presque toutes, et prend soin de n'en expliquer aucune. » 4. Cet argument est répété à toutes les pages. M. de Cambray suppose partout que depuis longtemps « je cite mal son texte, et que j'explique mal toutes ses paroles. Il ne sert de rien, dit-il, de montrer à M. de Meaux les altérations les plus évidentes; M. de Meaux compte pour rien ce que j'ai vérifié, et il commence du ton le plus assuré comme si je n'avois osé rien répondre *. »

RÉPONSE.

5. C'est lui-même qu'il a dépeint dans ces dernières paroles. Il est sans doute bien aisé de s'adjuger la victoire et de feindre que son adversaire est abattu à ses pieds, désarmé et sans réplique : mais au fond, parmi tant d'endroits de sa Réponse, où ce prélat m'objecte des altérations de son texte, il n'en rapporte pas une seule. Il me renverra sans doute à ses livres, où il prétend les avoir prouvées : mais il doit donc me permettre aussi de le renvoyer aux endroits des miens où je les ai éclaircies.

6. C'en seroit assez pour fermer la bouche à un accusateur.

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Mais s'il en veut davantage, dira-t-il que je n'aie pas répondu à ses explications sur l'intérêt propre éternel; sur le sacrifice absolu; sur la persuasion et conviction invincible et réfléchie, et néanmoins apparente, et non pas intime; sur le simple acquiescement à sa juste condamnation; sur la séparation des parties de l'ame, jusqu'à mettre les vertus dans l'une, et les vices dans l'autre, pour les unir par ce moyen dans le même sujet 1? C'est là pourtant le fond des explications par où M. de Cambray tàche de couvrir l'impiété de son système. J'ai donc déjà satisfait de ce côté-là à celles des prétendues altérations qui sont les plus essentielles. Si l'on ne veut pas lire un livre aussi court que ma Réponse à quatre lettres, qu'on lise du moins les titres des questions qui sont à la tête; on verra que j'ai tout traité. Sur ces questions tant vantées, où l'on ne cesse de me rappeler à tous les états possibles et impossibles, où Dieu peut mettre ou ne mettre pas la nature humaine, que doit-on chercher davantage, que d'éclaircir précisément ce qui est utile, et d'éloigner tout le reste comme étranger à la question? C'est ce que j'ai fait : et on m'avouera que j'ai du moins autant de raison de supposer la solidité de mes réponses, qu'en a M. de Cambray à me supposer vaincu, et à s'attribuer la victoire.

7. Pendant qu'on me reproche des altérations dont je n'ai jamais été capable, j'ai démontré au contraire qu'on m'imputoit faussement des doctrines que je rejette en termes formels : qu'on attaquoit sous mon nom les sentimens et les propres termes de saint Thomas: qu'on prenoit positivement pour ma réponse, une objection que je me faisois à moi-même: ce dernier fait est positif et ne consiste que dans une simple lecture. M. de Cambray ne devoit-il pas le nier ou le confesser de bonne foi? mais j'ai vu trois lettres contre ma Réponse à quatre des siennes : il semble vouloir finir par la troisième, puisqu'il annonce d'abord qu'elle contient le reste de ses plaintes. Il ne dit pas un seul mot dans ses trois lettres, d'une altération de mon texte si clairement démontrée. Je pourrois dire que dans tout le reste il ne touche à son

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1 Rép. à quatre Lett., n. 2-7, 12, 13. - 2 Ibid., n. 12, etc. 3 lbid., n. 10, 16, 17, 22, 23. Ibid., n. 21.

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ordinaire aucune des principales difficultés je pourrois sans doute, comme M. de Cambray, chanter cent fois mes victoires, si j'étois d'humeur à prendre de tels avantages: mais je me réduis au fait. C'est assez que je montre à M. l'archevêque de Cambray que la gloire qu'il se donne est vaine; nous n'avons pas droit de supposer, lui que mes réponses sont foibles, ni moi que ses preuves soient nulles : c'est le fond dont il ne s'agit point ici : la question consiste à savoir si dans la dispute sur les procédés il doit prononcer d'autorité, que je suis vaincu, qu'il m'a ôté la parole, que ce n'est que par impuissance que je passe aux faits, parce que la doctrine me réussit mal. C'est là ce qui s'appelle discourir en l'air, et faire illusion aux yeux par de vains tours de souplesse.

8. J'en dis autant des reproches sur les souhaits de Moïse et de saint Paul: « Ce sont, dit-il, pays inconnus pour M. de Meaux 1: » Je n'y ai fait aucune réponse: je n'ai non plus répondu aux pieux excès, aux amoureuses extravagances, dont l'accusation est recommencée cent et cent fois dans la Réponse à ma Relation. Mais je ne demande au sage lecteur qu'un demi-quart d'heure pour lire huit pages de la Réponse à quatre lettres, et reconnoître que j'ai satisfait à tout. Et pour les pieux excès, les saintes folies, les amoureuses extravagances, je les ai montrées dans les paroles formelles des Saints, en explication des souhaits de Moïse et de saint Paul. J'ai démontré que ces deux Saints n'ont pas perdu un moment le désir de leur salut éternel, dans le temps qu'ils paroissoient le sacrifier le plus : cependant M. de Cambray répète sans fin, non pas que j'ai mal répondu, car c'est le point de la dispute, mais que je n'ai pas dit un seul mot, tant il présume qu'un tour éloquent et le ton affirmatif peut tout sur les hommes.

§ III. Sur le secret, et en particulier sur celui de confession.

M. DE CAMBRAY.

9. « Alors il a recours (M. de Meaux) à tout ce qui est le plus odieux dans la société humaine. Le secret des lettres missives, 1 Rép. à la Relat., Avert., p. 3, 4.

2 Depuis le n. 8 jusqu'au n. 10.

qui dans les choses d'une confiance si religieuse et si intime est le plus sacré après celui de la confession, n'a rien d'inviolable pour lui. Il produit mes lettres à Rome; il les fait imprimer pour tourner à ma diffamation les gages de la confiance sans bornes que j'ai eue en lui : mais on verra qu'il fait inutilement ce qu'il n'est jamais permis de faire contre son prochain 1.

10. » Il va jusqu'à parler d'une confession générale que je lui confiai, et où j'exposois comme un enfant à son père toutes les graces de Dieu et toutes les infidélités de ma vie 2. On a vu, dit-il3, dans une de ses lettres qu'il s'étoit offert à me faire une confession générale: il sait bien que je n'ai jamais accepté cette offre. Pour moi, je déclare qu'il l'a acceptée, et qu'il a gardé quelque temps mon écrit: il en parle même plus qu'il ne faudroit, en ajoutant tout de suite: Tout ce qui pourroit regarder des secrets de cette nature, sur ses dispositions intérieures, est oublié, et il n'en sera jamais question. La voilà cette confession sur laquelle il promet d'oublier tout, et de garder fidèlement le secret. Mais est-ce le garder fidèlement, que de faire entendre qu'il en pourroit parler, et de se faire un mérite de n'en parler pas quand il s'agit du quiétisme? Qu'il en parle : j'y consens: ce silence, dont il se vante, est cent fois pire qu'une révélation de mon secret: qu'il parle selon Dieu je suis si assuré qu'il manque de preuves, que je lui permets d'en aller chercher jusque dans le secret inviolable de ma confession. » Il insiste en un autre endroit sur cette même accusation, et il me reproche de « m'être fait un mérite de me taire par rapport au quiétisme sur sa confession générale. » Me voilà donc par deux fois positivement accusé sur le secret violé d'une confession générale, et il n'y a rien de plus sérieux que cette plainte.

RÉPONSE SUR LA CONFESSION.

11. Nous dirons un mot sur le secret des lettres missives; mais voici une accusation bien plus grave, et qu'on ne peut point passer si légèrement, « de n'avoir pas gardé fidèlement le secret d'une confession générale : j'ai fait entendre que je pouvois par

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ler de quelque chose dont il s'est confessé à moi sur le quiétisme, dont je me fais un mérite de ne parler pas; et ce silence, dont je me vante, dit-il, est cent fois pire qu'une révélation de son secret : » de ce secret de confession qu'il m'a confié. Je suis donc coupable d'infidélité dans un secret de confession : ce que j'ai fait est cent fois pire que de l'avoir révélé; et j'en conviens, si ce qu'il avance est véritable.

12. Tout le monde demeure d'accord qu'en quelque manière qu'un prêtre révèle un secret de confession, soit par la parole, soit par quelque autre signe, c'est un des crimes des plus qualifiés qu'il puisse commettre. Il n'est pas même permis de faire connoître par le moindre indice, qu'un pénitent soit coupable. Pierre de Blois, dans son Traité de la Pénitence, accuse un abbé de déshonorer son pénitent, quand il prend pour lui un air de dédain qui soit remarquable: et que par là il le rend suspect même en général : « Et, dit-il, il importe peu que ce soit ou par la parole ou par quelque signe, ou par un air de dédain sur le visage quodam vultuoso contemptu : » ou par quelque autre manière que ce soit, « qu'on divulgue le secret de la conscience d'autrui. » En tous ces cas, poursuit-il, « on est déposé par une censure canonique : et après être déchu de son ordre, on est condamné à de perpétuels et ignominieux pèlerinages: tales canonica censura deponit, etc. » Les peines sont augmentées depuis ce temps-là: la justice séculière met la main sur ces indignes violateurs du plus religieux de tous les secrets, et je n'ai pas besoin de rapporter à quelle peine elle les condamne.

13. Après ces règles sévères, si M. de Cambray ne prouve pas le crime digne du feu dont il m'accuse, il voit à quoi il s'oblige devant Dieu et devant les hommes. L'accusation est expresse : une de ses lettres portoit : « Quand vous le voudrez, je vous dirai comme à un confesseur tout ce qui peut être compris dans une confession générale de toute ma vie, et de tout ce qui regarde mon intérieur : » dire tout cela comme à un confesseur, c'eût été en effet se confesser, et je l'avois naturellement pris de cette sorte sur ce fondement, ma Relation porte ces mots : 1 Relat., III sect., n. 4.

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