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§ III. Second témoignage de feu M. de Genève.

M. DE CAMBRAY.

8. « Quoique ce prélat ait défendu l'an 1688 les livres de madame Guyon, il paroît avoir persisté jusqu'au 8 février de l'an 1695 à estimer la vertu de cette personne '; ce qu'il prouve par les paroles de cette lettre où il écrit à un ami : « Je ne vous ai jamais ouï parler d'elle qu'avec beaucoup d'estime et de respect, » etc. Il assure qu'il en a usé de même; et il conclut en disant : « Si elle a eu quelques chagrins à Paris, elle ne les doit imputer qu'aux liaisons qu'elle a eues avec le Père Lacombe. Et l'on ajoute qu'elle s'est fait des affaires par des conférences et par des communications qu'elle a eues dans Paris avec quelques personnes du parti du quiétisme outré. Quelque éloignement que je lui aie toujours témoigné pour cette doctrine et pour les livres du Père Lacombe, j'ai toujours parlé de la piété et des mœurs de cette Dame avec éloge. >>

PÉPONSE.

9. Enfin M. de Cambray n'a rien pour autoriser l'estime dont il honoroit madame Guyon, que le témoignage d'un prélat qui en avoit déjà condamné les livres; qui avoit cru lui devoir parler si fortement contre le Père Lacombe son directeur, et contre les quiétistes outrés qu'elle fréquentoit. Voilà les beaux témoignages qui ont mérité à cette femme l'estime d'un archevêque ; ce lui est assez qu'on parle en général honnêtement de ses mœurs, comme on a coutume de faire, quand on ne veut pas s'en enquérir davantage. En effet depuis que ce saint évêque s'est senti obligé à entrer plus avant dans cet examen, il a chassé de son diocèse madame Guyon avec le Père Lacombe, non-seulement pour leurs mauvais livres, mais encore pour leur conduite scandaleuse. S'il a parlé plus doucement de la conduite de madame Guyon avant que d'être bien informé, il ne s'ensuit pas qu'il faille produire des paroles générales comme des attestations authentiques, ni que ce prélat ait eu intention de recommander sa vertu, et de la rendre 1 Rép. à la Relat., chap. 1, p. 12.

estimable. Il seroit bien étonné, s'il revivoit, de se voir citer comme défenseur de madame Guyon, et après ce qui s'est passé depuis il ne falloit pas remuer ses cendres contre sa pensée. Au reste il est évident que les lettres de ce prélat ne font pas voir dans madame Guyon la moindre teinture de cette haute spiritualité qui la pùt faire regarder par M. de Cambray comme si expérimentée et si éclairée dans les voies intérieures, qu'il en fit son amie spirituelle, et qu'il étudiât ses expériences. Mais voici quelque chose de plus fort.

§ IV. Sur mon témoignage de moi-même.

40. « Eh bien, citons à M. de Meaux un témoin qui ait lu et examiné à fond tous les manuscrits de madame Guyon: je n'en veux point d'autre que lui-même 1... Voici ce qu'il fit, quand elle fut dans son diocèse : il lui continua dès le premier jour l'usage des sacremens, sans lui faire rétracter ni avouer aucune erreur : dans la suite, après avoir vu tous les manuscrits et examiné soigneusement la personne, il lui dicta un acte de soumission sur les XXXIV Articles, daté du 15 avril 1695, où après avoir condamné toutes les erreurs qu'on lui imputoit, il lui fit ajouter ces paroles : « Je déclare néanmoins que je n'ai jamais eu intention de rien avancer qui fùt contraire à l'esprit de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, » etc.

RÉPONSE.

11. Ceux qui se sont laissé éblouir par un acte qui ne dit rien, doivent apprendre à n'être plus surpris par de telles choses. Il faut distinguer deux temps: celui qui a précédé l'acte qu'on rapporte, et celui où il fut signé.

12. Avant que de signer l'acte où madame Guyon commençoit àsouscrire ses soumissions particulières, j'ai dit, dans la Relation2, que comme elle les témoignoit en tout et partout dans toutes ses paroles et dans toutes ses lettres, je ne crus pas la devoir priver

1 Rép à la Relat.. chap. 1, p. 14. 20, 2!; ne sect., n. 13, etc.

2 Relat., Ire sect., n. 3, 4; 11 sect., n. 1-3,

TOM. XX.

13

des sacremens, où feu M. de Paris l'avoit conservée. Je la traitois avec toute sorte de douceur, n'ayant pas encore bien déterminé en mon esprit si ses visions venoient de présomption, de malice, ou de quelque débilité de son cerveau. On ne connoît l'indocilité et l'opiniâtreté que par les désobéissances, ou par les rechutes et les manquemens de paroles. Ainsi la voyant docile en tout à l'extérieur, je la laissois entre les mains de son confesseur, homme habile, docteur de Sorbonne et ancien chanoine de l'église de Meaux, sans m'informer du particulier; et je la traitai en infirme avec toute sorte de condescendance, selon le précepte de saint Paul: << Recevez celui qui est infirme dans la foi, sans dispute ni contention. » C'est une insigne témérité de condamner cette conduite, qui au contraire me donne lieu de dire à M. de Cambray avec l'Apôtre, dans une affaire de pure police ecclésiastique : « Qui êtes-vous pour juger votre frère ? »

:

13. A la signature, je ne fis que rédiger par écrit ce qu'elle m'exposoit de ses sentimens. Ainsi je lui laissai dire comme à une personne ignorante, mais docile, telle que je la croyois alers, << qu'elle n'avoit eu aucune intention de rien enseigner contre la foi de l'Eglise.» Est-ce là un crime qui méritât d'être relevé par un archevêque, qui de dessein prémédité ne voudroit pas tourner tout contre un confrère innocent? Eh bien, madame Guyon n'avoit pas un dessein formé d'écrire contre l'Eglise c'étoit foiblesse c'étoit ignorance: si l'on veut, je lui aidois 'quelquefois à s'expliquer dans les termes les plus conformes à ce qui me paroissoit être de son intention. M. de Cambray appelle cela dicter un acte; et il en conclut que j'autorise le sentiment que cette femme avoit d'elle-même. Mais un prélat exercé dans les procédures de cette sorte, devoit savoir le contraire, puisqu'après avoir écrit ce qu'elle vouloit, je ne fis que lui donner acte de sa déclaration, comme j'y étois obligé, et lui enjoindre en peu de mots ce qu'elle devoit croire et pratiquer. C'est ce qui paroîtroit par l'expédition de l'acte, si M. de Cambray l'avoit produite : pour moi je n'ai pas besoin de grossir un livre en transcrivant de longs actes, qu'on rapportera peut-être plus commodément ail1 Rom., XIV, 1. 2 Ibid., 4, 10.

leurs : quoi qu'il en soit, M. de Cambray qui s'en veut servir contre moi, doit l'avoir ou reconnoître qu'il m'accuse à tort.

14. En passant, on voit que cet archevêque éclairoit de près madame Guyon, pendant qu'elle étoit entre mes mains, et qu'elle lui rendoit bon compte de mes procédures; mais on va voir néanmoins qu'elle le trompoit, et qu'il vouloit se laisser tromper.

§ V. Autre témoignage tiré de moi-même.

M. DE CAMBRAY.

15. « M. de Meaux lui dicta encore ces paroles dans sa souscription à l'Ordonnance où il censuroit les livres de cette personne : « Je n'ai eu aucune des erreurs expliquées dans ladite lettre pastorale, ayant toujours intention d'écrire dans un sens très-catholique, etc. Je suis dans la dernière douleur que mon ignorance, et le peu de connaissance des termes, m'en ait fait mettre de condamnables 1. >>

RÉPONSE.

16. Tout cet endroit rapporté par M. de Cambray, comme composant la déclaration de madame Guyon, est inventé d'un bout à l'autre. Ce prélat en devoit produire l'expédition, s'il l'a en main, ou supprimer tout ceci s'il ne l'a pas, et ne pas faire dire à cette femme ce qu'elle ne dit point, ni insérer dans mon procès-verbal ce qui n'y fut jamais. M. de Cambray demeure d'accord de la souscription de Madame Guyon à l'Ordonnance où je censurois les livres de cette personne. Cette censure est publique: et si avant que d'en parler, M. de Cambray avoit daigné la relire, il y auroit trouvé le Moyen court, la Règle des associés, et l'Interprétation du Cantique des Cantiques, expressément condamnés avec la Guide spirituelle de Molinos, en ces termes : « lesquels livres déjà notés par diverses censures, nous condamnons d'abondant comme contenant une mauvaise doctrine, et toutes ou les principales propositions ci-dessus par nous condamnées dans les articles susdits, » qui sont les xxxiv d'Issy. De cette sorte M. de Cambray étant convenu que madame Guyon avoit souscrit à la condamna1 Rép. à la Relat., chap. 1, p. 15.

2 Ordonnance du 16 avril 1695.

tion de ses livres portée par cette censure, ne peut nier, sans une insigne infidélité qu'elle ne les ait condamnés comme contenant « une mauvaise doctrine, et toutes ou les principales propositions condamnées dans les Articles d'Issy, » qui aussi étoient insérés dans la censure, comme en faisant le fondement principal. J'ai rapporté en substance avec cette censure, l'acte où madame Guyon y souscrivit '. Je l'aurois rapporté entier s'il eût été nécessaire, et si l'on n'eût pas évité de grossir un livre, en y insérant de longs actes qui n'étoient pas contestés. Si à présent M. de Cambray y ajoute ce qu'il lui plaît, ou il l'a vu dans l'acte même, et dans quelque expédition authentique; ou il ne l'a pas vu, et il le raconte à sa fantaisie sur la foi de madame Guyon ou de quelque autre. S'il l'avoit vu, il en auroit fait mention; il auroit produit la pièce dont il se sert: s'il n'a rien vu, comme il est certain, puisqu'il ne peut pas avoir vu ce qui n'est pas, il doit avouer que son amie ou quelque autre sur sa parole lui a menti, et qu'il adhère trop facilement à un mensonge évident, en alléguant un acte faux.

17. Par ce moyen, plus de la moitié de la Réponse tombe, puisqu'elle est fondée dans sa plus grande partie sur un acte inventé. Toutes les fois qu'on trouvera dans la Réponse de M. de Cambray cet acte, où madame Guyon dit d'elle-même de si belles choses, c'est-à-dire cent et cent fois (car les redites ne sont pas épargnées), qu'on se souvienne qu'il est faux d'un bout à l'autre. Si l'on en doute, je le produirai avec tous les autres mais en attendant et pour abréger, il suffit qu'on n'ait osé ni produire, ni pas même mentionner, ni l'acte ni l'expédition, comme on a fait celle de l'attestation qu'on a tant vantée.

§ VI. Sur mon attestation, et sur celle de M. de Paris.

M. DE CAMBRAY.

18. « C'est sur ces déclarations de ses intentions faites devant Dieu, et dictées par ce prélat, qu'il lui donna l'attestation suivante : Nous: évêque de Meaux, etc. 2.

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