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des communautés. M. de Cambray demeure d'accord que l'autre lettre du même prélat avoit suivi la condamnation qu'il avoit faite de ses mauvais livres avec ceux de Molinos comme contenant la doctrine des quiétistes. On peut juger combien cet évêque estimoit madame Guyon infectée de ces sentimens. Il semble que M. de Cambray veuille se moquer quand il se fonde encore sur mon témoignage: mais pour cela il me suppose des actes faux: il hasarde tout ce qu'il lui plaît sur la foi de madame Guyon. Il avance contre la vérité du fait, que je ne réponds rien à ses objections, que je ne fais rien avouer ni rétracter à madame Guyon, pendant qu'il voit le contraire: pendant que dans le fait il est constant que je réponds amplement à tout, et qu'il est certain dans le droit que mes réponses sont sans réplique. Comment veutil qu'on appelle ces expresses oppositions à la vérité, et après cela de quelle croyance veut-il être digne dans ses récits?

32. Quand il dit pour autoriser son estime : « Je vois marcher devant moi les lettres de feu M. de Genève : Je vois marcher après moi l'attestation de M. de Meaux : » ne lui peut-on pas répondre avec vérité : Non, vous ne voyez point marcher devant vous les lettres du feu évêque de Genève et pour ne m'arrêter pas à la date postérieure d'une de ces lettres, quand vous avez commencé d'estimer madame Guyon en l'an 1689, vous voyiez marcher devant vous en 1683 une lettre qui convainquoit cette femme de renverser l'esprit des communautés les plus saintes. Vous voyiez marcher devant vous un ordre du même prélat, qui conformément à sa lettre l'éloignoit avec le Père Lacombe de son diocèse, où elle brouilloit les communautés. Vous voyiez encore marcher devant vous la censure du même évêque de 1688, où les livres de cette femme si estimable sont condamnés avec ceux de Molinos, comme contenant les maximes artificieuses du quiétisme. Vous voyiez marcher devant vous ce que fit ce prélat pour faire rappeler à Paris les filles des Nouvelles Catholiques, dont vous étiez alors supérieur, et vous n'avez pu ignorer ce qui se passa sur ce sujet environ en l'an 1686. Vous voyiez marcher de- vant vous les censures de Rome de 1688 et de 1689 contre les 1 Rép., chap. 1, p. 19.

livres du Père Lacombe et de madame Guyon1: les ordres du Roi pour enfermer ce religieux aussitôt qu'il fut revenu en France avec madame Guyon après leurs voyages, et les perpétuels soupçons que l'on eut de leur mauvaise doctrine et de leur mauvaise conduite encore cachée alors, mais qui n'a que trop éclaté depuis. La conduite du directeur faisoit-elle beaucoup d'honneur à la dirigée? Voilà ce qui précédoit le choix que vous avez fait de cette femme pour être votre amie dans ce commerce spirituel que vous racontez.

33. Ici toute votre ressource est de m'impliquer, si vous pouviez, dans votre erreur. Vous avez vu, dites-vous, marcher après vous l'attestation de M. de Meaux où madame Guyon est si estimée, « qu'on lui défend d'écrire, d'enseigner et de dogmatiser dans l'Eglise, ou de répandre ses livres imprimés ou manuscrits, ni de conduire les ames dans la voie de l'oraison ou autrement. » Vous faites encore marcher après vous un acte qui ne fut jamais, comme je viens de le montrer; et je perdrois trop de temps, si je voulois raconter ici tout ce qui a véritablement marché après vous contre cette femme, que vous estimez tant et que vous avez laissé tant estimer.

ARTICLE III.

Sur ma condescendance envers madame Guyon et envers M. de Cambray.

§ I. Mes paroles, d'où M. de Cambray tire avantage.

1. Je trouve deux choses qui ont grand rapport dans la Réponse de M. de Cambray : l'une est l'avantage qu'il tire de ma condescendance envers madame Guyon; l'autre est celui qu'il tire aussi de ma douceur envers lui-même.

2. J'avois raconté dans ma Relation3 la prière que m'avoit faite M. de Cambray, de garder du moins quelques-uns de ses écrits en témoignage contre lui, s'il s'écartoit de mes sentimens : et la réponse que je lui fis sur cette proposition: Non, monsieur, je

1 Actes contre les Quiét. 2 Attest. de M. de Meaux. Rép. de M. de Cambray, chap. I, p. 16, 17.3 Relat., III° sect., n. 14.

ne veux jamais d'autre précaution avec vous que votre foi. Par ce motif obligeant je rendis tous les papiers que l'on m'avoit confiés et ce procédé de confiance m'a attiré le reproche qu'on va entendre.

§ II.

M. DE CAMBRAY.

3. << Mais encore d'où vient que M. de Meaux n'a gardé aucun de ces manuscrits impies que je le priois de garder comme il le reconnoît dans sa Relation? Puisqu'il ne m'avoit pas encore désabusé de tant d'erreurs capitales, ne devoit-il pas garder mes écrits pour me montrer papier sur table en quoi je m'étois égaré? Qu'y avoit-il de plus propre pour cette discussion, que de garder selon mon offre dans l'attente d'un charitable éclaircissement, ces manuscrits où mes illusions étoient si marquées 1? »

2

4. Voici encore la réflexion de cet archevêque sur ce que je dis de ses lettres qui pouvoient peut-être servir à lui rappeler ses saintes soumissions en cas qu'il fût tenté de les oublier 2 : « Il croyoit donc, répondit-il, que je pouvois être tenté d'oublier mes soumissions. Pour s'assurer contre ce cas, n'étoit-il pas encore plus important de garder des preuves de mes erreurs que celles de mes soumissions 3? »

5. Il fait un autre raisonnement: « On peut juger de ce que M. de Meaux pensoit alors de mes égaremens par les choses qu'il en dit encore aujourd'hui. Je crus, dit-il, l'instruction des Princes de France en trop bonne main, pour ne pas faire en cette occasion tout ce qui servoit à y conserver un dépôt si important. Quelque soumission et quelque sincérité que j'eusse, pouvoit-il croire ce dépôt important en bonne main, supposé que je crusse que la perfection consiste dans le désespoir, dans l'oubli de JésusChrist, dans l'extinction de tout culte intérieur, dans un fanatisme au-dessus de toute loi? Ces erreurs monstrueuses sont-elles de telle nature, qu'un homme tant soit peu éclairé ait pu de bonne foi ignorer qu'elles renversent le christianisme et les bonnes

1 Rép., chap. II, p. 45. - 2 Relat., 11е sect., n. 15. 3 Rép., chap. II, p. 53. Ibid., p. 51, 53. 5 Relat., IIIe sect., n. 9.

mœurs? Est-ce un fanatique admirateur d'une femme qui se dit plus parfaite que la sainte Vierge, et destinée à enfanter une nouvelle Eglise? Est-ce le Montan de la nouvelle Priscille, dont la main est si bonne pour le dépôt important de l'instruction des Princes? Devoit-il me voir propre à une instruction si importante avec des erreurs si palpables, avec un cerveau si affoibli, avec un cœur si égaré?.. Ma soumission seule, si j'eusse eu tant d'erreurs impies, ne pouvoit justifier ce prélat. Ou il a trop peu fait en ce temps-là, ou il fait beaucoup trop maintenant. » M. de Cambray répète cent fois les mêmes raisonnemens sur ma douceur envers madame Guyon et envers lui-même. Je ne raconterai pas ces vaines redites, puisque je suis assuré qu'on me rendra témoignage d'avoir mis ici tout le fort.

RÉPONSE.

Premier point: raisons de ménager M. de Cambray.

6. Je réponds Mes motifs, pour ne pas pousser M. l'abbé de Fénelon, étoient justes malgré ses erreurs qui m'étoient con

nues.

1. C'étoit lui qui nous les découvroit avec une si apparente ingénuité, que nous ne pouvions douter de sa confiance, ni connoître sa confiance sans espérer son retour.

2. Il promettoit une entière soumission avec les termes les plus efficaces qu'on eût pu choisir, « jusqu'à promettre dès le premier mot sans discussion, comme un petit écolier, de se rétracter, de quitter tout, sa charge même, et se retirer pour faire pénitence. >> On n'a qu'à relire ses lettres,. et on jugera si jamais on a exprimé sa soumission en termes plus forts, et avec un plus grand air de sincérité.

3. Ses erreurs n'étoient pas connues: il y avoit bien des bruits répandus de son étroite liaison avec madame Guyon mais personne qui nous fùt connu, ne savoit qu'il fut son approbateur, ni qu'il en voulût soutenir ni pallier la doctrine. Il y avoit de l'inconvénient à faire paroître de la division dans l'Eglise sur cette matière: à donner de l'autorité à l'erreur par une approbation si

considérable : à pousser un homme important, et à lejeter peutêtre dans une invincible opiniâtreté.

4. Si ses erreurs étoient excessives, leur excès même nous persuadoit qu'il n'y pouvoit pas persister longtemps, surtout dans une matière qui n'étoit pas encore si bien éclaircie, qu'elle ne pût donner lieu à quelque surprise passagère.

5. Ce n'étoit pas lui seulement que nous croyions ramener, mais encore ses amis qu'il tenoit absolument en sa main ; et nous espérions, en les ramenant avec lui, sauver de dignes sujets.

6. A la vérité nous déplorions son entêtement sur le sujet de madame Guyon: mais nous la voyions elle-même à l'extérieur si disposée à la soumission, et à renoncer tant à sa mauvaise doctrine qu'à ses autres illusions, que nous ne pouvions nous persuader qu'il dût arriver à M. l'abbé de Fénelon de la soutenir plus qu'elle ne faisoit elle-même. Nous croyions même que l'honneur du monde nous aideroit en cela, et qu'un homme de cette conséquence ne voudroit pas commettre sa réputation à protéger cette femme, à se déclarer son disciple et son sectateur. Qui pouvoit imaginer tous les tours qu'il donneroit à son esprit pour la défendre, pour l'abandonner, pour la sauver, pour la condamner en même temps? Le monde n'avoit jamais vu d'exemple d'une souplesse, d'une illusion et d'un jeu de cette nature.

7. Je n'étois pas seul de cet avis : j'étois appuyé par les sentimens d'un prélat aussi sage que M. de Châlons, et d'un prêtre aussi vénérable que M. Tronson, qui avoit élevé M. l'abbé de Fénelon; et que cet abbé avoit toujours regardé comme son père. Nous ne désavouerons pas que l'amitié ne soit entrée dans nos sentimens on est bien aise de la concilier avec la raison, et cette disposition n'est pas malhonnête.

Second point: avantages que tire M. de Cambray de ma condescendance

7. Après toutes ces raisons, nous avons l'événement contre nous et c'est pourquoi je me tais, et je me laisse juger comme on voudra. Mais quant à M. l'abbé de Fénelon, pour me condamner comme il fait sur mon énoncé, il faut qu'il ait dépouillé tout sentiment humain, et qu'il parle contre lui-même plus que contre

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