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sent qu'il innove, et à qui malgré qu'il en ait, sa conscience reproche ses innovations. C'est ce que je vois, maintenant qu'il a égalé son obstination à son erreur : c'est ce que je ne voyois pas dans le temps que la soumission qui m'a trompé, lui cachoit peutêtre à lui-même son propre fond. Quoi qu'il en soit, s'il a voulu me surprendre par les plus fortes expressions, et avec le plus grand air de sincérité, n'est-il point peiné en lui-même du succès d'un tel dessein? Que s'il me parloit sincèrement, et qu'il eût vé ritablement dans le cœur tout ce qu'il montroit par de si vives expressions, pourquoi dans l'opinion que j'avois de lui, trouvet-il si étonnant que je l'aie cru? ne puis-je pas lui rendre ses propres paroles, et lui répondre ce qu'il dit lui-même touchant madame Guyon? « Il me parut que je voyois en elle ces marques d'ingénuité, après lesquelles les personnes droites ont tant de peine à se défier de la dissimulation d'autrui 1. » Pourquoi ne voudroit-il pas que j'aie cru voir en lui les mêmes marques? Veut-il dire qu'il étoit visible qu'il ne les avoit pas ? N'est-ce pas là s'accuser lui-même en me voulant faire mon procès ? Mais il sait bien d'autres détours, et il est temps de découvrir plus à fond encore toutes ses adresses.

ARTICLE IV.

Détours sur l'approbation des livres imprimés de madame Guyon, et de sa doctrine.

1. Ceux qui ne veulent pas croire toutes les souplesses de M. l'archevêque de Cambray, en vont découvrir une preuve surprenante car on lui va voir à la fois condamner et absoudre madame Guyon, l'accuser tout ensemble et s'en déclarer le protecteur et l'Eglise n'a point d'exemple de semblables subtilités.

§ I. Ambiguités.

M. DE CAMBRAY.

2. « Je supposois qu'on pouvoit excuser une femme ignorante sur des expressions irrégulières et contraires à sa pensée, pourvu Rep, chap. 1, p. 21.

qu'on fût bien assuré de sa sincérité. De là vient que j'ai parlé ainsi dans le Mémoire que l'on a produit contre moi Je n'ai pu ni dû ignorer ses écrits: quoique je ne les aie pas examinés tous à fond dans le temps, du moins j'en ai su assez pour devoir me défier d'elle, et pour l'examiner en toute rigueur1. Ainsi je l'excusois sur ses écrits par ses intentions, sans vouloir néanmoins approuver les livres : quoique je les eusse lus assez négligemment, ils m'avoient paru fort éloignés d'être corrects.

3. » Pour l'examen rigoureux de ces deux ouvrages (du Moyen court et du Cantique), par rapport au public, c'étoit son évêque qui devoit y veiller : n'étant que prêtre, je croyois assez faire en tâchant de connoître ses vrais sentimens.

4. » Il ne s'agissoit que des livres imprimés jusqu'alors je ne les avois jamais lus dans une rigueur théologique, une simple lecture m'avoit déjà fait penser qu'ils étoient censurables. Je ne les excusois ni ne les défendois, comme mon mémoire le dit expressément : mais la bonne opinion que j'avois de cette personne ignorante, me faisoit excuser ses intentions dans les expressions les plus défectueuses 2. >>

RÉPONSE.

:

5. On ne sait si M. de Cambray veut approuver ou improuver les livres de madame Guyon. D'un côté, c'est les improuver, que de les croire fort éloignés d'être corrects, que de les trouver censurables par une simple lecture de l'autre, c'est les approuver que de chercher dans l'intention secrète d'un auteur une excuse à ses expressions les plus défectueuses, après un examen à toute rigueur que ce prélat convient d'avoir fait.

6. Cependant, il nous échappera bientôt car malgré cet examen rigoureux, vous trouverez trois lignes après, qu'il y a un examen rigoureux par rapport au public, que M. de Cambray ne veut point avoir fait; et il ajoute qu'il n'avoit jamais lu les livres de madame Guyon dans une certaine rigueur théologique3. Il y a donc une rigueur théologique et par rapport au public, où M. de

1 Mém. de M. de Cambray. Relat., Ive sect., n. 9, 15. chap. I, p. 21, 25. 3 Ibid., p. 20.

2 Rép. à la Relat.,

Cambray n'est pas entré: et il y a pourtant outre cela un examen à toute rigueur, auquel il avoue qu'il se croyoit obligé.

7. S'il s'agissoit de faits personnels, j'avoue que l'on pourroit distinguer l'examen d'un livre d'avec l'examen rigoureux de la personne : mais que dans l'examen d'un livre il y en ait un d'une rigueur théologique et par rapport au public, et un autre qui soit rigoureux sans être théologique, et sans aucun rapport avec le public, c'est ce que la théologie avoit ignoré. Mais cette réflexion va paroître encore dans une plus grande évidence.

§ II. Sur l'approbation des livres de madame Guyon.

M. DE CAMBRAY,

8. « M. de Meaux assure du ton le plus affirmatif, que j'ai donné ces livres à tant de gens: mais si je les ai donnés à tant de gens, il n'aura pas de peine à les nommer: qu'il le fasse donc, s'il lui plaît 1. »

RÉPONSE.

9. M. de Cambray me regarde comme si j'avois entrepris de lui prouver la distribution manuelle des écrits de madame Guyon. Mais ce n'est pas là de quoi il s'agit : un docteur met un livre en main à ceux qu'il dirige quand il l'estime et l'approuve : c'est ce qu'a fait M. de Cambray. Car que veulent dire ces paroles de son Mémoire : « J'ai vu souvent madame Guyon : je l'ai estimée : je l'ai laissé estimer par des personnes illustres dont la réputation est chère à l'Eglise, et qui avoient confiance en moi. » Il donne assez à entendre ce que c'est que de laisser estimer madame Guyon par ces personnes qui avoient confiance en lui, en ajoutant tout de suite : « Je n'ai pu ni dû ignorer ses écrits; » un peu après : « Je l'ai connue je n'ai pu ignorer ses écrits: moi prêtre, moi précepteur des Princes, moi appliqué depuis má jeunesse à une étude continuelle de la doctrine, j'ai dû voir ce qui étoit évident3. >> En entendant ces paroles naturellement, tout le monde en a tiré avec moi cette conséquence : que c'étoit avec ses écrits

1

Rép., p. 21. 2 Mém. de M. de Cambray. Relat., Ive sect., n. 9.

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qu'il l'avoit laissé estimer : ces personnes qui se fioient en lui visiblement, étoient des personnes qu'il dirige : sur qui il a tout pouvoir qui règlent leur estime par la sienne: il leur a laissé estimer madame Guyon avec ses écrits: pouvant les en détourner par un seul mot, il ne l'a pas voulu faire. Voilà le sens naturel et inévitable du Mémoire de M. de Cambray. Mais qu'est-ce à un docteur, à un directeur de mettre en main un livre à ses pénitens, à ceux qu'il conduit, si ce n'est l'approuver ? En l'approuvant on le met entre les mains de mille personnes beaucoup plus que si actuellement on en faisoit la distribution. Car faudra-t-il croire que ceux à qui on laissoit estimer madame Guyon comme une personne si spirituelle et d'une si haute oraison 1, ne lisoient point ses livres, où toute sa spiritualité étoit renfermée ? M. de Cambray avoue qu'il les connoissoit. C'étoit donc délibérément et en connoissance de cause qu'il les laissoit lire et estimer par ceux à qui une de ses paroles les auroit ôtés pour jamais. Ils disoient : M. l'abbé de Fénelon n'a pu ni dù ignorer ces livres : lui prêtre, lui précepteur des Princes, lui qui a dû savoir ce qui étoit évident, n'a dù ni pu ignorer s'ils étoient évidemment estimables. Il nous les laisse lire dans cette pensée : ils sont donc évidemment bons nous pouvons régler sur ces livres notre conscience. Où est le zèle, où est la prudence, où est l'autorité d'un directeur si ces conséquences sont douteuses? Sans doute il falloit deviner qu'il avoit examiné madame Guyon avec ses livres en toute rigueur; mais non pas en toute rigueur théologique, ni par rapport au public: se moque-t-on quand on pense éblouir le monde par ces vaines distinctions?

§ III. Illusion sur l'intention et sur la question de fait.

M. DE CAMBRAY.

10. « Le sens d'un livre n'est pas toujours le sens ou l'intention de l'auteur. Le sens du livre est celui qui se présente naturellement en examinant tout le texte : quelle que puisse avoir été l'intention ou le sens de l'auteur, un livre demeure en rigueur cen1 Ci-dessus, p. 192.

:

surable par lui-même sans sortir de son texte, si son vrai et propre sens, qui est celui du texte, est mauvais alors le sens ou intention de la personne ne fait excuser que la personne même, surtout quand elle est ignorante. En posant cette règle reçue de toute l'Eglise, je ne fais que dire ce que M. de Meaux ne peut éviter de dire autant que moi : d'un côté il a condamné les livres de madame Guyon: de l'autre, il lui fait dire qu'elle n'avoit aucune des erreurs portées par sa condamnation 1. »

RÉPONSE.

11. J'arrête ici le lecteur, pour le faire souvenir que ce qu'on fait dire ici à M. de Meaux est inventé d'un bout à l'autre, comme il a déjà été dit 2: après cela, reprenons la suite de la réponse.

M. DE CAMBRAY.

12. « Cette distinction est très-différente de celle du fait et du droit qui a fait tant de bruit en ce siècle. Le sens qui se présente naturellement, et que j'ai nommé SENSUS OBVIUS, en y ajoutant NATURALIS, est selon moi le sens véritable, propre, naturel et unique des livres pris dans toute la suite du texte, et dans la juste valeur des termes ce sens étant mauvais, les livres sont censurables en eux-mêmes et dans leur propre sens : il ne s'agit donc d'aucune question de fait sur les livres 3. >>

RÉPONSE.

13. Veut-il introduire dans l'Eglise une nouvelle question de fait? Non, dit-il, et il ne s'agit d'aucune question de fait sur les livres de madame Guyon. Il y a pourtant une nouvelle question de fait, puisqu'en avouant que ces livres sont condamnables en leur propre sens, il veut trouver un moyen de les sauver au sens de l'auteur: car écoutons ses paroles: « Ces livres sont condamnables au sens véritable, propre, naturel et unique pris dans toute la suite du texte, et dans la juste valeur des termes. » Et en même temps il saura trouver le moyen de disculper son amie, et

1 Rép., chap. 11, 3e obj., p. 55. 3 Rép., ibid., p. 56.

2

Voy. ci-dessus, art. 2, n. 15, 16, etc.

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