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son Mémoire et dans sa Réponse1, que la réputation de cette femme étoit inséparable de la sienne propre.

M. DE CAMBRAY.

4. « On savoit que j'avois vu et estimé cette personne: ceux qui me pressoient de la condamner l'appeloient mon amie. C'étoit en leur répondant que je parlois leur langage, et que je donnois le nom d'amie à une personne que j'avois fort estimée 2. >>

RÉPONSE.

5. M. de Cambray ne sait non plus s'il doit nommer madame Guyon son amie, que s'il doit reconnoître qu'il l'a vue souvent. Ce n'étoit pas lui qui l'appeloit son amie; et s'il lui donne maintenant ce titre si répandu dans son Mémoire, ce n'est que par complaisance, par imitation, et à cause que ceux qui le pressoient de la condamner la nommoient ainsi : il donne tel tour qu'il veut à ses paroles, autant sur les moindres choses que sur la doctrine: on ne sait jamais si c'est lui qui parle de son propre fonds, ou s'il parle dans l'esprit des autres, par une impression du dehors, ad hominem si l'on veut. Qu'on est malheureux et incertain de soi-même, lorsqu'il faut toujours échapper par quelque finesse. Puisque tout son commerce n'a roulé que sur la spiritualité de madame Guyon, il ne s'en excuseroit pas tant, s'il ne sentoit en sa conscience que cette spiritualité qu'il trouvoit si belle, étoit dans l'esprit de tout le monde, non-seulement odieuse, mais encore, pour me servir de ses termes, abominable".

1 Mém. de M. de Cambray; Relat., Ive sect., n. 23, etc.; Rép. à la Relat., chap. v, p. 99, 104, etc. 2 Rép., 1re édit., p. 88. 3 Relat., IV sect., n. 15, 19, etc. Ibid., n. 15.

ARTICLE VI.

Sur l'approbation des livres manuscrits de madame Guyon.

§ I. Que M. de Cambray a su toutes les visions de cette femme.

M. DE CAMBRAY.

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1. «< Venons maintenant au fait que M. de Meaux raconte. Il assure qu'il me montra sur les livres de madame Guyon, toutes les erreurs et tous les excès qu'on vient d'entendre. Veut-il dire par là qu'il m'apporta les livres, et qu'il m'y fit voir ces erreurs et ces excès? on pourroit croire qu'il veut le faire entendre: mais il ne le dit pourtant pas positivement. Sa mémoire, qu'il dépeint fraîche et sûre, ne lui permet pas d'avancer ce fait 1. »

RÉPONSE.

2. M. de Cambray ne voit que ce qu'il veut, et il nie même ce qu'il a sous les yeux. Il n'y a rien de plus clair que ces paroles de ma Relation: « J'entrai dans la conférence (avec M. l'abbé de Fénelon) plein de confiance, qu'en lui montrant sur les livres de madame Guyon les excès qu'on vient d'entendre, il conviendroit qu'elle étoit trompée ??» On ne montre pas des faits sur des livres qu'on n'apporte point: aussi venois-je de dire en parlant de cette même matière, que M. de Cambray avoit vu ces choses et plusieurs autres aussi importantes 3 : » ce n'étoit point un récit que je lui en faisois j'assure qu'il les a vues. Je ramassois tous ces faits pour les lui représenter, et la suite fut en effet de les lui montrer sur les livres : pourquoi aussi n'aurois-je pas apporté des livres qu'on avoue que j'avois en main? Mais que sert à M. de Cambray de nier que je lui en aie fait la lecture, puisqu'il avoue après tout, par les paroles suivantes, que je lui en ai fait le récit.

4

3

M. DE CAMBRAY.

3. « Il est vrai seulement que dans une assez courte conversation, qu'il nomme une conférence, il me raconta ces visions 3. »

1 Rép., chap. 1, p. 27. n. 17. — 5 Rép., chap. 1, p. 27. Relat., 11e sect., n. 20.

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RÉPONSE.

4. Je ne sais encore quelle finesse peut trouver M. de Cambray à nous avouer ce récit, plutôt sous le nom de conversation que sous celui de conférence. Quoi qu'il en soit, il ne niera pas qu'elle se fit chez lui, à heure marquée, et ses amis appelés durant une après-dînée et tant qu'il voulut, puisque j'étois venu pour cela. Ce que je lui récitai est étendu plus au long dans la première édition de sa Réponse. « Il me raconta, dit-il (M. de Meaux), que madame Guyon s'imaginoit crever par une plénitude de graces, et la répandre sur les personnes qui étoient en silence auprès d'elle. Il ajouta qu'elle avoit prédit qu'il viendroit bientôt un temps où l'oraison se répandroit abondamment dans l'Eglise qu'elle étoit la femme de l'Apocalypse, et l'épouse au-dessus de la Mère du Fils de Dieu. » Qu'il ne s'avise donc plus de nier que je lui aie raconté ces faits importans. Des visions qu'il avoue lui-même avoir été suffisantes à faire condamner madame Guyon, « ou comme folle ou comme impie, si elle avoit parlé ainsi d'ellemême sérieusement, » méritoient d'être approfondies.

§ II. Que M. de Cambray affoiblit et excuse tout.

M. DE CAMBRAY.

5. « Je répondis 1, qu'elle étoit folle et impie si elle avoit parlé ainsi d'elle-même sérieusement: 2, je remarquai que beaucoup de saintes ames avoient raconté par simplicité certaines graces particulières, mais dans un genre très-inférieur aux prodiges insensés dont il s'agissoit. 3, Je dis que cette personne m'avoit paru d'un esprit tourné à l'exagération sur ses expériences. 4, J'ajoutai les paroles de saint Paul: Eprouvez les esprits3.»

RÉPONSE.

6. Veut-il avoir dit toutes ces choses? je passe tout, et je conclus: 1. Que selon M. de Cambray, madame Guyon paroissoit tournée à exagérer ses expériences, c'est-à-dire celles qui lui pa1 Rép.. 1re édit., p. 24. 2 Rép., p. 27.

3 Ibid.

roissoient avantageuses: ce qui est un caractère d'orgueil qu'il est forcé d'avouer. 2. Que M. de Cambray vouloit affoiblir la vérité de mon récit par cette conditionnelle, si elle avoit parlé ainsi d'elle-même sérieusement. C'est ce qu'il fait plus à découvert dans la suite.

M. DE CAMBRAY.

7. « Ces choses que M. de Meaux me racontoit m'étoient nouvelles et presque incroyables. J'avoue que je commençai à me défier un peu de la prévention de ce prélat contre cette personne. Je ne reconnoissois en toutes ces choses aucune trace des sentimens que j'avois toujours cru voir en madame Guyon1. »

RÉPONSE.

8. Quoi? M. de Cambray ne savoit rien de ces prodigieuses communications de graces? ses amis ne lui en avoient jamais rien dit? ou bien c'est qu'elles n'étoient pas véritables? Veut-on me faire produire les lettres originales qui en font la preuve? J'ai marqué dans ma Relation celles de madame Guyon qui confirment tout ce que j'avance: il faut me croire ou me démentir nettement sur des faits contre lesquels on n'allègue rien, et dont j'ai la preuve en main. Si M. de Cambray en doutoit, il devoit approfondir la matière pendant que j'avois, outre les lettres que j'ai encore, les livres que j'ai rendus et qu'il m'avoit fait confier luimême mais alors il ne doutoit point de la vérité de mes discours, et maintenant même il n'ose les accuser de fausseté, content de se sauver par des subterfuges.

:

M. DE CAMBRAY.

9. « Madame Guyon m'avoit dit plusieurs fois qu'elle avoit de temps en temps de certaines impressions momentanées, qui lui paroissoient dans le moment même des communications extraordinaires de Dieu, et dont il ne lui restoit aucune trace le moment d'après... Elle ajoutoit que selon la règle, elle demeuroit dans la voie obscure de la pure foi, ne s'arrêtant jamais volontairement à aucune de ces choses... Cette règle est celle du bienheureux 1 Rép., chap. 1, p. 28.

TOM. XX.

15

Jean de la Croix... du père Surin, approuvé de M. de Meaux. Cet auteur remarque que de très-saintes ames peuvent être trompées par l'artifice de Satan, comme sainte Catherine de Boulogne le fut durant trois ans par un diable sous la figure de JésusChrist. » Il tourne ce raisonnement durant cinq ou six grandes pages avec de ces sortes de répétitions, où l'on voit un homme qui, n'étant jamais content de ce qu'il dit, ne fait que le répéter.

RÉPONSE.

10. On voit comme il exténue et comme il excuse les excès de madame Guyon: mais il erre; elle s'arrêtoit si bien à ces visions, qu'elle en venoit à des pratiques, les inculquoit sérieusement et avec une certitude étonnante, et les faisoit servir de fondement à son état, comme je l'ai fait voir dans la Relation. Elle appuie d'une manière terrible sur le songe que j'ai raconté, et M. de Cambray affecte cent fois de ne trouver rien de mauvais que de s'être préférée à la sainte Vierge, en dissimulant l'idée infâme que je ne veux pas rappeler : c'est ce que le père Surin ni aucun spirituel n'auroit jamais approuvé : cependant M. de Cambray excuse autant qu'il peut son indigne amie, et voudroit nous la donner comme une autre sainte Catherine de Boulogne.

§ III. Que M. de Cambray a voulu pouvoir justifier madame Guyon.

M. DE CAMBRAY.

11. « Quand je proteste devant Dieu que je n'ai point lu les manuscrits, le lecteur ne doit soupçonner aucun artifice... S'il étoit vrai que je les eusse lus, et si j'étois capable d'artifice, je n'aurois garde de faire donner à M. de Meaux, par madame Guyon, ces manuscrits que j'aurois connus si capables de le scandaliser... Ce prélat faisoit entendre qu'il étoit zélé contre l'illusion et prévenu contre les mystiques3. » Il répète et tourne encore ce raisonnement en cent manières différentes.

1 Rép., chap. I, p. 28, 29. 2 Relat., 11e sect., n. 9, 10, 14, 18, 19, etc. 3 Rép., chap. 1, p. 22-24, etc., p. 32, etc.

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