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RÉPONSE.

12. Me veut-il louer ou blâmer quand il fait marcher ensemble ces deux qualités : je me montrois zélé contre l'illusion et prévenu contre les mystiques? Pour zélé contre l'illusion, qui ne l'est pas? pour prévenu contre les mystiques : c'est un trait qu'on me veut donner, mais sans raison; si ce n'est qu'il veuille appeler prévenus contre les mystiques ceux qui le sont contre Molinos, qui est un mystique d'une étrange espèce, favorisé toutefois par madame Guyon et par M. de Cambray. Voilà une des raisons qui eussent empêché M. de Cambray de me communiquer les manuscrits de madame Guyon, s'il les avoit lus : quoi qu'il en soit, il me les a mis entre les mains, ces livres remplis d'absurdités de toutes les sortes quelque précautionné qu'on soit, ou la confiance qu'on a dans un génie élevé qui sait tout tourner comme il lui plait, ou quelque autre semblable raison aveugle les hommes. Dieu se sert de ces dispositions, et c'est visiblement par un conseil de sa sagesse que contre toute apparence ces écrits sont venus à moi : Dieu vouloit que l'illusion en fût découverte, et M. de Cambray étoit trop disposé à les excuser.

13. Que sert maintenant de disputer s'il a lu ou s'il n'a pas lu ces manuscrits qu'il m'a mis en main? laissons-lui dire les choses les plus incroyables. Quoi qu'il en soit, il ne peut nier après son aveu qu'on vient d'entendre', qu'il n'en ait ouï de ma bouche le fond et les circonstances les plus aggravantes. C'est pourtant après ce récit qu'il l'appelle toujours son amie; qu'il croit, comme on a vu, sa réputation inséparable de celle de cette fausse béate; qu'il me refuse son approbation, de peur d'être obligé de la condamner. Après le récit de tant d'excès, il n'a rien voulu approfondir avec moi, parce qu'il ne vouloit pas être convaincu, ni forcé d'abandonner une amie qui le déshonore par ses fanatiques extravagances autant que par ses erreurs. Après cela je prends à témoin le ciel et la terre qu'il est seul, avec cette fausse prophétesse, la cause des troubles de l'Eglise, comme je l'en ai convaincu par ma Relation.

'Ci-dessus, n. 1-4.

ARTICLE VII.

Diverses remarques avant la publication du livre de M. de Cambray.

§ I. Sur mon ignorance dans les voies mystiques.

M. DE CAMBRAY.

1. « J'ai écrit: pourquoi écrivois-je ?... Le lecteur ne doit pas être surpris que j'aie donné des mémoires à M. de Meaux sur les voies intérieures, puisque ce prélat me les demanda: il doit se souvenir que quand on le fit entrer dans cet examen, il n'avoit jamais lu ni saint François de Sales, ni les autres livres mystiques, tels que Rusbroc, Harphius, Taulère, dont il a dit que, ne pouvant rien conclure de précis de leurs exagérations, on a mieux aimé les abandonner, etc. . »

2. C'est ce qui fait conclure à M. de Cambray dans sa Réponse latine à M. l'archevêque de Paris, que j'étois ignorant de la voie mystique rudis et imperitus hujus doctrinæ.

:

3. Il prouve aussi par une de ses lettres, qu'il écrivit des mémoires, mais par obéissance.

4. Il ajoute un peu après que « la doctrine des saints mystiques étoit en péril: M. de Meaux ne les connoissoit point, et vouloit condamner l'amour désintéressé, etc. »

RÉPONSE.

5. M. de Cambray avoit donc grand tort de se soumettre si absolument à un homme si ignorant dans la matière dont il étoit question.

6. C'est sans doute qu'il sent dans sa conscience qu'on peut être instruit dans les principes de la vie intérieure et spirituelle, sans ayoir songé à lire ni Rusbroc, ni Harphius, ni même Taulère, auteurs dont je ne vois pas que M. de Cambray se soit servi: car pour saint François de Sales, sans lire beaucoup, je l'avoue encore, son Traité de l'Amour de Dieu, j'avois donné de l'attention, 1 Rép., chap. II, p. 35, 36.

surtout depuis que je suis évêque et chargé de religieuses, à ses Lettres où je trouvois tous ses principes, et à ses Entretiens. Si je n'avois pas jugé nécessaire une profonde lecture du bienheureux Jean de la Croix, j'avois lu sainte Thérèse sa mère. Mais quoi? veut-on m'obliger à vanter ici mes lectures? J'ai assez lu les mystiques pour convaincre M. de Cambray de les avoir outrés en parlant sur l'oraison, j'ai fait mon trésor de la parole de Dieu, sans rien donner autant que j'ai pu à mon propre esprit ; et attaché aux saints Pères et aux principes de la théologie, dont la mystique est une branche, si d'ailleurs je déférois peu à l'autorité de certains mystiques à cause de leurs exagérations, comme M. de Cambray me le reproche il ne devoit pas oublier Suarez, que j'avois cité dans les Etats d'Oraison, qui est exprès pour ce sentiment 1.

7. Quant à ce qu'ajoute ici M. de Cambray, que je voulois condamner l'amour désintéressé: qu'on me réponde s'il est permis d'avancer un fait de cette importance sans en apporter la moindre preuve. Si l'on en croit M. de Cambray, je mets en péril la mystique par mon ignorance, je veux condamner la scolastique : est-il juste encore un coup de n'exiger que de moi la preuve en toute rigueur, à laquelle aussi je m'oblige, et d'en croire M. de Cambray sur sa parole?

8. Qu'importe au reste que ce soit moi qui l'aie invité à me donner des mémoires sur ces auteurs, puisque j'avoue sans façon que je souhaitois qu'il s'ouvrît à moi ? Nous verrons bientôt les conséquences qu'il prétend tirer d'un fait si indifférent; mais il faut voir auparavant d'autres vérités.

§ II. Des expédiens de M. de Cambray contre madame Guyon.

M. DE CAMBRAY.

9. Madame Guyon n'étoit pas le principal objet de M. de Meaux dans cette affaire. Une femme ignorante et sans crédit par elle-même, ne pouvoit faire sérieusement peur à personne3. » Inst. sur les Etats d'Or., liv. I, n. 2, 3. - 2 Rép., chap. 11, p. 36.

RÉPONSE.

10. C'est toujours où en veut venir M. de Cambray, comme je l'ai déjà remarqué dans la Relation: il s'étonne qu'on ait eu peur de « cette pauvre captive, affligée de douleurs et d'opprobres, et que personne n'excuse ni ne défend. » Peut-on parler de cette sorte pendant qu'on lui voit tant de zélés partisans? M. de Cambray qui la défend plus que personne, veut qu'on soit en repos sur son sujet, et qu'on lui laisse débiter ce qu'elle voudra pour fortifier un parti puissant. Il échappe néanmoins à ce prélat qu'elle est sans crédit par elle-même, pour faire sentir le crédit qu'elle avoit par ses amis.

M. DE CAMBRAY.

11. « Il n'y avoit qu'à la faire taire, et qu'à l'obliger de se retirer dans quelque solitude éloignée, où elle ne se mêlât point de diriger: il n'y avoit qu'à supprimer ses livres, et tout étoit fini; c'étoit l'expédient que j'avois d'abord proposé 2. »

RÉPONSE.

12. Quand on ne connoîtroit pas combien M. de Cambray favorise madame Guyon, on le verroit par les expédiens qu'il propose contre elle. Il n'y avoit en effet qu'à supprimer cinquante mille volumes qui courent dans tout le royaume avec tous les manuscrits anciens et nouveaux, que cent mains connues et inconnues transcrivent pour les distribuer de tous côtés : tout étoit fini sans faire tant de censures, ni tant de réfutations ou d'instructions contre une pernicieuse et insinuante doctrine. Il n'y avoit qu'à la faire taire, et permettre cependant à un archevêque de lui prêter sa plume. Voilà comme on établit le quiétisme en faisant semblant de l'éteindre.

M. DE CAMBRAY.

13. «Madame Guyon n'étoit rien toute seule : mais c'étoit moi que M. de Meaux craignoit 3. »

1 Relat., Ive sect., n. 19. 2

Rép., chap. II, p. 36.

3 Ibid., p. 37.

RÉPONSE.

14. Je le craignois en effet, comme saint Paul disoit aux Galates Timeo vos 1; Je vous crains, je crains pour vous et je remarque de nouveau qu'en effet madame Guyon, qui n'étoit rien toute seule, étoit redoutable par un défenseur tel que M. de Cambray.

§ III. L'intelligence entre M. de Cambray et madame Guyon, comment

connue.

M. DE CAMBRAY.

15. Cet article est important par ses conséquences. M. de Cambray répète ici ma Relation 2, où je raconte franchement que j'étois en inquiétude pour lui sur les bruits qui se répandoient, qu'il favorisoit secrètement madame Guyon et l'oraison des nouveaux mystiques. Il lui plaît de dire qu'en un certain temps c'étoit moi-même et mes confidens qui les répandions ou qui les faisions valoir: il faut montrer le contraire par lui-même.

RÉPONSE.

16. Rappelons en peu de mots les faits contenus dans le Mémoire de ce prélat et dans les deux Réponses à ma Relation3. il connoissoit madame Guyon dès l'an 1689: il l'estimoit : il la laissoit estimer il avoit des liaisons avec elle: elle venoit à Versailles, où les entrevues étoient assez fréquentes: il l'appeloit son amie tout le commerce rouloit sur la spiritualité et sur l'oraison. Il étoit si étroitement uni avec elle, qu'il se croyoit obligé à s'informer de sa conduite, par le contre-coup qu'elle portoit contre lui-même ; et c'est sur ce fondement qu'il a déclaré partout, et dans son Mémoire et dans sa Réponse, que sa réputation étoit inséparable de celle de cette femme. Voilà sans doute une liaison bien étroite et bien connue : les bruits que l'on ré1 Galat., IV, 14. - 2 Rép., chap. 1, p. 37;. Relat., IIe sect., n. 1. 3 Mém., Relat., Ive sect., n. 15; voyez ci-dessus, art. 2, n. 5; art. 4, n. 9, etc.; art. 5, n. 1, 2, etc. Ci-dessus, art. 4, n. 2. 5 Mém. de M. de Cambray; Relat., Ive sect., n. 23, etc.; Rép., chap. v, p. 99, 104, etc.

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