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pandoit n'avoient pas besoin d'autres fondemens : ceux qui pénétroient davantage, n'ignoroient pas les conférences secrètes qui se faisoient à Versailles, où madame Guyon présidoit : les étrangers mêmes savoient que M. l'abbé de Fénelon n'étoit pas ennemi du quiétisme pour moi, je n'entrai en rien jusqu'à la fin de l'année 1693, date importante que je ne remarque pas sans nécessité, comme la suite le fera paroître.

17. J'ai semblablement avoué que sur ces bruits je souhaitois que M. de Cambray s'ouvrît à moi « dans l'espérance que j'avois de le ramener à la vérité, pour peu qu'il s'en écartât1. » La conséquence naïve de cet aveu, c'est que je l'aimois beaucoup, et que je craignois pour lui: s'il assure que je pensois bien plus à lui qu'à madame Guyon, je l'avoue encore; et je le devois d'autant plus, que sa personne en toutes façons étoit plus considérable.

§ IV. Si j'ai accusé M. de Cambray, comme il l'assure.

M. DE CAMBRAY.

18. « D'où vient que M. de Meaux parle ailleurs en ces termes : Ce n'étoit pas lui qu'on accusoit, c'étoit madame Guyon. Pourquoi se mêloit-il si avant dans cette affaire? qui l'y avoit appelé? C'est M. de Meaux lui-même qui m'y avoit appelé; il étoit inquiet pour moi, pour l'Eglise et pour les Princes..... D'un côté, dit-il, il avoit d'abord de la peine que je n'avois pas assez d'ouverture; d'autre côté, il se récrie: Pourquoi se mêloit-il dans cette affaire? Mais enfin il est clair comme le jour que j'étois le principal accusé 2. »

19. Je rapporterai à part le foible avantage qu'il tire de notre déclaration, pour prouver les accussations que je préparois contre lui: et il conclut : « Il est plus clair que le jour, que j'étois le principal accusé. »

RÉPONSE.

20. Mais par qui étoit-il accusé? par le public, comme l'étoit madame Guyon? il n'avoit point encore écrit par moi? pourquoi Ibid., chap. 11, p. 37.

1 Relat., 11 sect., n. 1.

me prenoit-il pour juge avec ces autres Messieurs? mais devant qui l'accusois-je ? devant moi-même, ou devant quelque autre? de quoi enfin l'accusois-je? où est mon accusation? quelle en est la preuve ? dit-on ce qu'on veut parmi les hommes ? Je l'invitois à écrire, à ce qu'il dit : je désirois savoir ses sentimens pour tâcher de le ramener, s'ils étoient mauvais : donc je l'accusois, ou du moins je lui préparois des accusations, et j'avois l'adresse cependant de l'obliger à me prendre pour son juge. Il faut fuir les hommes, renoncer à la société, croire être toujours au milieu des ennemis, si l'on permet de donner sans preuve des tours si malins aux actions les plus innocentes et les plus simples.

21. Mais encore remontons à la source. Sept ou huit mois au paravant, quand madame Guyon se remit à moi pour prononcer sur son oraison: quand M. de Cambray lui-même m'envoya un ami commun pour me presser d'accepter seul cet arbitrage: étoitce moi qui poussois encore ce prélat, ou qui avois conçu le dessein de tourner contre lui madame Guyon? c'est la première action, dont tout le reste dépend: et comme tout ici est connexe, ce sera moi aussi sans doute qui aurai obligé cette femme à demander M. de Châlons et M. Tronson pour me les associer dans cette affaire. Comment donc M. de Cambray étoit-il le principal accusé, si c'étoit madame Guyon qui demandoit d'être jugée ?

22. Il est public que ce prélat avec ses amis, qui étoient ceux de madame Guyon, vinrent à Issy, pour y reconnoître une assemblée qu'ils avoient eux-mêmes formée, ou madame Guyon par leur moyen. C'est ici (car tous ces faits ne sont point niés), c'est ici, dis-je, que je demande à M. de Cambray qui l'obligeoit alors à se mêler si avant dans les affaires de cette femme, s'il n'y avoit rien de commun entre eux ? Dira-t-il encore que c'est moi qui l'invitois avec ses amis à cette soumission, comme il prétend que je l'invitois à faire des mémoires? Quoi? je l'invitois à venir reconnoître pour juge son accusateur? disons mieux, ses accusateurs car ces deux Messieurs le sont comme moi, si je le suis, puisque nous n'avons point d'action qui ne nous soit commune. 1 Relat., IIIe sect., n. 2. - 2 Ibid., n. 1.

En vérité voilà des mystères inouïs et inexplicables, et on y abuse trop visiblement de la foi publique.

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23. S'il eût été question d'accuser M. l'abbé de Fénelon, il ne falloit pas tant de détours, tant d'examens, tant de mémoires; il n'y avoit qu'à nommer madame Guyon comme amie de cet abbé ; tout étoit conclu par ce seul fait, et avec raison; madame Guyon étoit trop connue : il étoit vrai qu'elle étoit son amie: dès 1689 il l'estimoit il avoit avec elle des liaisons qu'on n'ignoroit pas : on en eût eu aisément la preuve constante: car encore qu'il fit un mystère de cette amitié, qui faisoit peu d'honneur à sa capacité et à son esprit, elle n'étoit pas si cachée, qu'il ne fùt obligé de s'informer de la conduite de madame Guyon à la dernière rigueur et les personnes à qui il avoue qu'il l'a laissé estimer étoient bien connues. En falloit-il davantage pour le priver éternellement de toutes les graces, si on eùt songé à l'accuser? Cependant quel témoin veut-il qu'on lui allègue pour montrer qu'on ne l'a jamais accusé de rien? Y en a-t-il un que la vérité, plus encore que le respect, rende plus irréprochable que le Prince sous les yeux de qui tout s'est passé, et devant qui nous écrivons? On n'a donc jamais accusé M. de Cambray disons plus; on l'a laissé être archevêque : et quand il est parvenu à ce faîte des dignités ecclésiastiques, parce qu'on ne l'a pas perdu, il veut perdre de réputation ceux qui l'ont sauvé. Qu'on rendroit le genre humain odieux si l'on y souffroit de tels exemples!

M. DE CAMBRAY.

24. «On peut voir par là sur quel fondement M. de Meaux a pu dire au commencement de la Déclaration, que j'avois été le quatrième juge de madame Guyon ajouté aux trois autres: Ea consultores tres dari sibi postulavit, quorum judicio staret. His illustrissimus auctor quartus accessit. M. de Meaux a bien senti dans la suite que ce fait ne pouvoit convenir aux accusations qu'il préparoit contre moi; et dans sa traduction il a changé son texte, en disant seulement: Notre auteur s'est depuis uni à eux; mais enfin il est clair comme le jour que j'étois le principal accusé 1. » 1 Ci-dessus, art. 6, n. 7.- Rép., chap. II, p. 38.

RÉPONSE.

25. Remarquez que ce qu'on vient d'entendre, est la seule preuve littérale de M. de Cambray pour montrer que M. de Meaux qu'il avoit choisi pour son juge, s'étoit rendu son accusateur; · parce que dans la Déclaration on a traduit le mot, quartus accessit: Après trois juges donnés, M. de Cambray s'est uni à eux: au lieu de mettre qu'il fut le quatrième, ce prélat veut me faire accroire que j'ai bien senti que ce fait ne convenoit pas aux accusations que je préparois? Autant que le reproche est atroce, autant la preuve est légère et nulle: je ne comprends pas la finesse que M. de Cambray veut trouver ici; et après tout je m'en tiens à l'original sans croire que la version donne contre moi aucun avantage; d'où je conclus que l'envie de me contredire lui fait hasarder les accusations les plus violentes sans les pouvoir soutenir d'aucune raison.

§ V. S'il est vraiqu'on négligea, durant l'examen, d'instruire M. de Cambray, et d'être instruit de ses raisons.

M. DE CAMBRAY.

26. « M. de Meaux ne conféroit point avec moi sur la doctrine, et il expliquoit selon ses préventions les termes mystiques dont je m'étois servi sans précaution dans ces manuscrits informes. On se rencontroit tous les jours, dit ce prélat; nous étions si bien au fait, que nous n'avions pas besoin de longs discours 1. C'est le moyen de n'être jamais au fait de ne se voir qu'en se rencontrant et de n'avoir ni conférences, ni longs discours. Il parle encore ainsi: Nous avions d'abord pensé à quelques conversations de vive voix; mais nous craignions qu'en mettant la chose en dispute, etc. . Ainsi M. de Meaux lisoit seulement selon sa prévention ces manuscrits informes sans rien éclaircir avec moi : cette conduite ne montre-t-elle pas que j'étois le principal accusé? En faut-il davantage pour montrer combien j'avois besoin de me justifier ? »

1 Relat., I sect., n. 8. 2 Ibid.

Rép. à la Relat., chap. 11, p. 43.

RÉPONSE.

27. Il me veut donner l'air d'un homme prévenu qui n'écoute rien, et qui précipite un examen de doctrine sans être informé; mais il oublie précisément le principal. C'est qu'il m'avoit pleinement instruit de ses sentimens et de ses raisons, ainsi qu'il le reconnoît par ces paroles d'une de ses lettres : « Vous savez avec quelle confiance je me suis livré à vous, et appliqué sans relâche à ne vous laisser rien ignorer de mes sentimens les plus forts'. » Jugez maintenant s'il y a rien de négligé ni de précipité dans une affaire où la partie intéressée reconnoît qu'elle a dit tout ce qu'elle savoit, et que de sa part il ne manque rien pour l'instruction.

28. Il oublie encore un autre fait également important: c'est qu'il pressoit par toutes ses lettres une décision: «sans, dit-il, attendre les conversations que vous me promettiez. » De cette sorte, loin de demander des conversations qui assurément ne lui auroient jamais été refusées, on voit comme il coupe court sur ce sujet et quand on fait ce qu'il veut, il se plaint qu'on est prévenu et qu'on précipite les choses.

29. Ainsi quoi qu'il puisse dire, de son propre aveu nous étions parfaitement au fait si nous n'avions plus besoin de longs discours, c'est que nous avions lu à loisir de longs et amples écrits; c'est enfin, puisqu'il faut tout circonstancier à un homme qui semble vouloir oublier tout; c'est, dis-je, que nous avions eu de longs entretiens dans de longues promenades qui nous étoient assez ordinaires.

30. Il se plaint à toutes les lignes que je lisois ses mémoires avec prévention: mais lui-même encore à présent les estime aussi peu que moi ; et il montre qu'il ne les ose soutenir, puisqu'il ne cesse de répéter, et même dans l'endroit qu'on vient d'entendre, qu'ils étoient informes, et qu'il s'y étoit servi sans précaution des termes mystiques. Si lui-même il en parle ainsi, je puis bien pousser plus loin mes justes reproches.

31. Ma Relation explique souvent comme je craignois les dis

1 Lett. de M. de Cambray; Relat., IIIe sect., n. 4. Voyez ci-dessus, art. 3, n. 12.

2 Relat., II sect., n. 6.

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