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D'UN THÉOLOGIEN

A LA

PREMIÈRE LETTRE DE M. L'ARCHEVÊQUE DE CAMBRAY

A M. L'ÉVÊQUE DE CHARTRES.

MONSEIGNEUR,

Je ne sais si vous êtes informé de l'étonnement du public sur vos Lettres à M. l'évêque de Chartres, principalement sur la première. Si je révélois tous les sujets de cette surprise, je composerois un volume plutôt qu'une lettre; mais après qu'on a beaucoup écrit sur une matière, il faut se réduire à ce qui emporte le plus clairement la décision, et je le mets dans ces trois chefs, dont je ferai trois questions, que je prends la liberté de vous adresser à vous-même. La première, si vous avez bien prouvé les altérations de votre texte, que vous reprochez à ce prélat. La seconde, si le sens nouveau que vous donnez au concile de Trente est soutenable. La troisième, si votre première Explication adressée au même prélat, étoit la vraie explication de votre pensée, ou un simple argument ad hominem, une simple complaisance pour M. de Chartres, comme vous le dites à présent, sans en avoir jamais donné la moindre marque. Ces trois questions feront connoitre beaucoup de choses essentielles, non-seulement sur le fond de votre doctrine, mais encore sur la manière dont vous procédez dans cette affaire; et c'est à moi à les proposer d'une manière sensible.

I.

Altération

PREMIÈRE QUESTION.

Sur l'altération du texte imputée à M. l'Evêque de Chartres.

Le premier sujet de vos plaintes regarde l'altération de votre imputée à texte imputée à M. de Chartres: « En voici, dites-vous, un exemChartres. ple des plus sensibles1:» s'il est sensible, on pourra juger des

M. de

autres par celui-ci. Vous dites qu'on vous impose, quand on vous fait dire qu'il faut que les ames d'un certain état ne se servent plus, dans leurs tentations, du remède de la mortification intérieure et extérieure, ni des actes de crainte, ni de toutes les pratiques de l'amour par lesquelles elles se sont sanctifiées2. »> Vous trouvez tout le contraire dans l'endroit qu'on cite des Maximes des Saints, où vous parlez en cette sorte: « Il est capital de supposer d'abord que les tentations d'une ame ne sont que tentations communes, dont le remède est la mortification intérieure et extérieure avec tous les actes de crainte et toutes les pratiques de l'amour intéressé 3. » Par là vous prouvez très-bien en effet, que les tentations communes et les états ordinaires sont guéris par ces remèdes; mais vous oubliez ce qui suit immédiatement après: « Il faut être ferme pour n'admettre rien au dela, sans une entière conviction que ces remèdes sont absolument inutiles. » Ce sont les paroles que M. de Chartres vous objecte; et ainsi manifestement ce prélat a trouvé l'état où vous dites, non pas seulement a que les ames ne se servent plus dans leurs tentations de la mortification intérieure et extérieure, ni des actes de crainte, ni de toutes les pratiques de l'amour intéressé : » mais encore où l'on est « entièrement convaincu que ces remèdes leur sont absolument inutiles. » De cette sorte l'altération est toute entière de votre côté, puisque c'est vous seul qui supprimez dans votre texte ces paroles que M. de Chartres tourne contre vous.

Quelque outrées que soient vos paroles, vous ne manquez jamais d'excuses mais celle-ci est bien légère : « Il est vrai seu

1 Ire Lettre à M. de Chartres, p. 9. - Lettre past. de M. de Chartres, 3 Max., p. 144. - Ibid., p. 144, 145.

p. 106.

lement, dites-vous, que je remarque dans la page suivante le cas singulier de l'extrémité des épreuves, où il arrive que ces remèdes sont absolument inutiles pour apaiser la tentation 1; » mais c'est vous encore ici qui altérez votre texte. Vous vous faites dire seulement que ces remèdes sont inutiles « à la tentation, comme s'il s'agissoit seulement d'un genre particulier de tentation, où les ames ne doivent plus se servir de ces remèdes. » Mais outre que c'est toujours une erreur pernicieuse à la piété, de reconnoître une tentation quelle qu'elle soit, et en quelque état que ce soit, où la mortification intérieure et extérieure soient absolument inutiles; la suite de votre discours fait voir l'inutilité de ces remèdes à la tentation de cet état indéfiniment, puisque vous ajoutez aussitôt après qu'il ne faut pour apaiser la tentation, que le seul exercice du pur amour, qui est l'exercice de l'état 2.

Aussi est-ce en parlant des ames de cet état, que vous dites indéfiniment « qu'elles ne sont mises en paix au milieu de leurs tentations, par aucuns des remèdes ordinaires, qui sont les motifs d'un amour intéressé, du moins pendant qu'elles sont dans la grace du pur amour 3. » Ainsi vous parlez toujours indéfiniment. des tentations de l'état. Vous continuez: « Il n'y a que la fidèle coopération à la grace de ce pur amour qui calme leurs tentations, » encore indéfiniment : « Et c'est par là, ajoutez-vous, qu'on peut distinguer leurs épreuves des épreuves communes. » Il s'agit donc de l'état auquel appartiennent ces épreuves extraordinaires. Et vous concluez en cette sorte: « Les ames qui ne sont pas dans cet état, à qui appartiennent ces épreuves, tomberont infailliblement dans des excès terribles, si on veut contre leur besoin les tenir dans des actes simples du pur amour; et celles qui ont le véritable attrait du pur amour, ne seront jamais mises en paix par les pratiques ordinaires de l'amour intéressé. » Voilà done toujours deux états marqués, dans l'un desquels les actes simples du pur amour ne font que du mal; et dans l'autre aussi, les pratiques ordinaires de l'amour intéressé, parmi lesquelles

1 Lettre à M. de Chartres, p. 10, 11. 2 Ile Lettre à M. de Chartres, p. 11; Max., p. 145.3 Ibid., p. 147.

vous comprenez la mortification intérieure et extérieure, sont inutiles.

C'est aussi sans fondement que vous distinguez un genre particulier de tentation où la mortification intérieure et extérieure soient absolument inutiles. C'est de la plus forte de toutes les tentations et de laquelle le démon même, dont les Apôtres n'avoient pu venir à bout, étoit la figure, que Jésus-Christ a parlé, quand il a dit que ce démon ne peut être chassé que par l'oraison et par le jeûne. Mais qu'il y ait des tentations où le jeûne sous lequel Jésus-Christ a compris la mortification extérieure, et l'oraison sous laquelle l'intérieure est renfermée, fussent absolument inutiles, c'est ce que ce Maître céleste ne nous a jamais enseigné, et il n'y a que de faux mystiques qui soient entièrement convaincus de cette inutilité. Au lieu donc de reprocher à M. de Chartres qu'il altéroit votre texte, en y trouvant des tentations où la mortification intérieure et extérieure fussent absolument inutiles, vous lui deviez avouer le tort que vous avez eu de l'établir.

Que vous sert en effet, d'avoir reconnu la nécessité de la mortification intérieure et extérieure dans « les tentations communes, que vous appelez des commençans,» puisque vous ne parlez ainsi que pour en venir aux états où, par une entière conviction, on les croit absolument inutiles? Vous ne laissez donc « qu'aux commençans la mortification intérieure et extérieure, non plus que les pratiques de l'amour intéressé 3. » Il est réservé aux ames éminentes de repousser d'une autre manière les tentations de leur état, qui enferment celle du désespoir; et ce moyen de les repousser, c'est d'y succomber en acquiescant, comme vous le dites ailleurs, « à sa juste condamnation de la part de Dieu : ce qui d'ordinaire sert à la mettre en paix, et à calmer la tentation qui n'est destinée qu'à cet effet, » où vous mettez la purification de l'amour. Voilà, Monseigneur, tout le corps de votre doctrine sur les tentations de l'état parfait. Et M. de Chartres, en vous faisant dire que vous en avez exclu la mortification intérieure, et le reste, loin d'altérer votre texte, comme vous l'en accusez, nonseulement n'a fait que transcrire vos propres paroles, mais en3 Ibid., p. 144. Ibid., p, 91, 92.

1 Matth, XVII, 20. — 2 Max., p. 75.

-

core n'a fait que suivre tout l'enchaînement de vos principes. Telles sont ces altérations, dont vous nous aviez promis un exemple des plus sensibles. Il vous échappe des mains, et ce qui devoit être le plus clair pour votre dessein se tourne en preuve contre vous.

:

Vous ne vous plaignez pas avec moins de force d'une autre altération de M. de Chartres et vous l'accusez d'avoir deux fois ajouté à votre texte le terme de surnaturel qui n'y étoit pas, et qu'on n'en sauroit tirer. C'est un fait qui ne demande qu'une simple lecture, et je ne prétends aussi que conférer vos paroles avec celles de M. de Chartres que vous y avez insérées. Vous parlez ainsi à ce prélat1: « Pour me rendre ridicule à moi-même, vous rapportez cette proposition de mon livre : Cet amour d'espérance est nommé tel, parce que le motif d'intérêt propre y est encore dominant. Après quoi vous dites: Changez cette proposition, selon le sens de l'amour naturel il faut l'exprimer ainsi. Cet amour (surnaturel) d'espérance est nommé tel, parce que le principe intérieur de l'amour naturel de la beatitude pour vous-même y est encore dominant. Vous ajoutez: Et à la place de celle-ci : Dieu jaloux veut purifier l'amour, en ne lui faisant voir nulle espérance pour son intérêt propre, même éternels. Il faudroit dire: Dieu jaloux veut purifier l'a.. mour, en ne lui faisant voir nulle espérance (surnaturelle) pour son affection naturelle de béatitude, même éternelle. M. de Cambray pourroit-il porter la honte de telles propositions? » Après avoir rapporté ces paroles de M. de Chartres, vous vous élevez contre lui en cette sorte: «Non, Monseigneur, je ne mérite point de porter cette honte: retranchez ce que vous ajoutez sans le pouvoir tirer de mon texte, et toutes ces contradictions ridicules s'évanouiront. Vous ajoutez au terme d'amour, d'espérance, le terme de surnaturel. Vous ajoutez à celui d'espérance celui de surnaturelle; en ajoutant ainsi dans un texte sans se gêner, il n'y a rien dont on ne vienne facilement à bout. » Voilà votre plainte dans toute son étendue, et du moins vous ne direz pas qu'on l'ait

1 Ire Lett., p. 53; Lett past. de M. de Chartres, p. 31, 32. Ibid., p. 73.

TOM. XX.

2 Max., p. 5.

21

II. Autre al

teration imputée à M. de

Chartres.

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