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croyance certaine qu'ils sont remis à chacun de nous, et que c'est là ce qui constitue notre justification. Pour l'acte où l'on regarde le repos et la récompense éternelle, Luther et les luthériens soutiennent qu'en les pratiquant on est de ceux dont saint Paul a dit: Omnes quærunt quæ sua sunt: on cherche son intérêt, et non pas celui de Jésus Christ. Telle est la doctrine de Luther, comme Suarez l'a posée en très-peu de mots. N'est-il pas permis au concile d'opposer la contradictoire à un dogme si pervers?

Mais quoi qu'il vous plaise de supposer, encore êtes-vous bien loin de votre compte. Il n'est pas vrai que le concile se soit contenté de dire que l'espérance de la récompense n'est pas un péché : il la met au rang des désirs les plus vertueux, quand il l'attribue à des ames aussi parfaites que celle de David et de Moïse, dont l'un a dit qu'il a incliné son cœur à garder les commandemens divins à cause de la récompense 1; et saint Paul a dit de l'autre qu'il y regardoit dans l'acte éminent où il préféra l'opprobre de JésusChrist à tous les trésors de l'Egypte, et à toutes les grandeurs du monde: Aspiciebat enim in remunerationem.

2

Il faut avouer que M. de Chartres vous presse ici d'une manière bien vive voici vos paroles qu'il produit : « Parler ainsi, ditesvous, c'est parler sans s'éloigner en rien de la doctrine du saint concile de Trente, qui a déclaré contre les protestans que l'amour de la préférence, dans lequel le motif de la gloire de Dieu est le motif principal auquel celui de notre propre intérêt est subordonné, n'est point un péché 3. » Sur ces paroles expresses de votre livre des Maximes, où vous parlez du propre intérêt comme de la chose dont le concile a défini contre les protestans que ce n'est pas un péché, ce docte prélat a formé ce raisonnement : « Joignons, dit-il, présentement les paroles du concile de Trente à la définition de l'amour mélangé et de préférence donnée par le livre, et mettons la preuve dans la forme de l'Ecole. Le motif moins principal, qui est l'intérêt propre, rapporté et subordonné à la gloire de Dieu, est la même chose que la récompense éternelle, que le saint concile de Trente subordonne au désir principal de la gloire de Dieu (dans le passage cité): or est-il que ce second 1 Psal. CXVIII, 112. 2 Hebr., XI, 26. 3 Lett. past., n. 45. Max., p. 19.

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III.

Argument

de M. de

Chartres,

combien

invincible.

motif de la récompense éternelle, dans le sens du concile de Trente, est un motif surnaturel qui excite la paresse des justes et les encourage à marcher dans la carrière, tel qu'il étoit dans Moïse et dans David: donc le motif de l'intérêt propre dans le livre de l'Explication des Maximes, est un motif d'intérêt surnaturel, et non une affection naturelle, laquelle n'est plus, selon l'auteur, dans les parfaits, comme Moïse et David'. »

Voilà contre vous, Monseigneur, la plus claire et la plus complète démonstration que l'on pùt faire. Il s'agissoit de montrer que l'intérêt propre, selon votre livre, étoit quelque chose de surnaturel, et non pas votre affection naturelle. On vous presse par la citation du décret que vous rapportez du saint concile de Trente; ce décret parle de l'acte où l'on désire la récompense, qui sans doute est surnaturelle; mais ce décret par vous-même regarde l'intérêt propre; donc, selon vous, l'intérêt propre est surnaturel. Il n'y a rien de plus évident, ni de plus démonstratif; ce qui paroît par l'embarras manifeste où vous tombez dans votre Réponse.

« Pour me faire justice, dites-vous, il faut suivre ma pensée sur le sens du concile. Ma pensée a été que le concile se servoit de l'exemple de Moïse et de David pour prouver qu'on peut, sans pécher, mêler quelques actes d'affection naturelle pour la béatitude avec les désirs surnaturels de l'espérance 2. » Ce sont vos paroles, et je ne sais comment vous avez pu vous résoudre à les avancer. Car à qui en vouloit le saint concile? Les protestans, contre qui vous avouez que ce chapitre est composé, ont-ils jamais dit un mot contre votre désir naturel? Vous ne sauriez nommer, je ne dirai pas un seul protestant, mais un seul auteur qu'on ait repris d'avoir erré contre ce désir. Ce n'étoit point ce désir naturel; mais l'espérance elle-même que les protestans trouvoient illicite et désordonnée, comme cherchant son propre avantage. C'est donc cette erreur contre l'espérance que le concile a voulu bannir d'entre les fidèles; et il n'y a rien de plus vain que de tourner toute l'autorité d'un concile œcuménique et toutes les forces de l'Eglise contre un fantôme.

1 Lett. past., p. 46. -2 [re Lett., p. 44, 45.

En effet pesez, Monseigneur, les paroles du concile; ce qu'il a voulu soutenir contre Luther et les protestans, c'est «< qu'il est permis d'agir en vue de la félicité éternelle, d'exciter par là sa paresse, de s'encourager à courir à la récompense » qu'on doit recevoir à la fin de la course, « dans le dessein principal de glorifier Dieu » or tout cela c'est l'effet de l'espérance chrétienne et surnaturelle; on ne trouve point là de place pour les désirs naturels, dont vous voulez faire l'objet du concile. La récompense que saint Paul fait regarder à Moïse 1, est celle que cet Apôtre a fondée non sur un désir naturel, mais uniquement sur la foi. C'est le seul objet de saint Paul, depuis le premier verset de ce chapitre jusqu'au dernier. C'est pour cela que dès le commencement il a défini la foi le soutien des choses qu'on doit espérer: Sperandarum substantia rerum: pour montrer que l'espérance dont il parloit, et qu'il fait voir dans Moïse, étoit l'espérance chrétienne. La récompense qui inclinoit le cœur de David à l'accomplissement des préceptes, étoit celle que Dieu avoit révélée, celle qui lui faisoit dire : Dieu est mon partage; et ailleurs: Les justes m'attendent, jusqu'à ce que vous me rendiez ma récompense. Vous avez de beaux tours d'esprit, mais vous ne persuaderez à personne que tout un concile œcuménique se soit mis en peine de soutenir Moïse et David par vos désirs naturels, ou que ce fùt là alors la question de l'Eglise, et qu'on n'y eût rien de meilleur à faire qu'à définir votre système. Mais la manière dont vous coulez cette grossière défaite, et ce détour manifeste du sens du concile, est encore plus dangereuse que la chose même. Il n'y a rien là, dites-vous, contre la foi, ou pour répéter vos propres paroles : « C'est un fait qui n'importe rien au dogme3. » Il n'appartient point à la foi ni au dogme catholique, de donner à un décret d'un concile œcuménique un sens que personne n'y trouve que vous: disons plus, un sens où tous les théologiens vous sont directement opposés, un sens qui élude le dessein exprès du décret contre les protestans, un sens qui élude encore l'interprétation que donne ce même concile aux deux passages exprès de l'Ecriture, un sens qui réduit à rien et la décision et la preuve du concile même !

1 Hebr., XI, 26. - 2 Ibid., 1. - 3 Ire Lett., p. 43.

IV.

Consé

quences pernicien

ses de cette d'interpre

manière

ter les

conciles.

V.

Conclu

tout le

système

par là, et

la théolo

renversée.

Vous voudriez peut-être vous sauver par l'opinion téméraire et erronée de ceux qui ne prennent pour article de foi dans le concile, que ce qui est prononcé sous anathème dans les canons. Mais quand vous ajouteriez cette erreur aux autres, vous ne vous tireriez pas encore d'affaire avec le concile, et vous y trouveriez toujours votre condamnation, puisqu'à la fin des décrets, et avant que d'en venir aux canons de la session sixième dont il s'agit, il a décidé « que ceux qui ne tiendront pas fortement, et comme catholique, fidèlement, toute la doctrine précédente sur la justification, ne seront jamais justifiés 1. » Et quand on n'y liroit pas ce décret équivalent à un anathème, vous auriez toujours contre vous l'anathème exprès du canon XXXI, couché en ces termes : Si quis dixerit justificatum peccare, dùm intuitu æternæ mercedis bene operatur, anathema sit. » Si quelqu'un dit que le fidèle justifié pèche dans les bonnes œuvres qu'il fait en vue de la récompense éternelle, qu'il soit anathème. » Vous éludez cet anathème, vous trouvez en faveur d'un désir naturel ce que le concile entend manifestement de l'espérance chrétienne; et vous voulez établir qu'il n'y a rien contre la foi dans ce détour.

On dira peut-être que cet endroit n'est pas essentiel à votre sion: que système, et que vous pouvez le retrancher sans entamer le reste. nouveau Mais M. de Chartres ne vous laissera pas en repos pour cela, et il est détruit en reviendra sans cesse à vous dire, comme il a fait, pensez-y que toute bien, Monseigneur; car enfin, continuera-t-il, « ce que vous avez gie y est appelé notre propre intérêt subordonné et rapporté à la gloire de Dieu, est (selon vous) la même chose que le saint concile de Trente subordonne au désir principal de la gloire de Dieu 3: » c'est de quoi vous êtes convenu. « Or est-il, poursuit ce prélat, que ce second motif du concile est surnaturel. Car c'est celui qui excite la paresse des justes, et les encourage à marcher dans la carrière; c'est celui dont étoit poussé Moïse un si grand législateur, et David un si grand prophète. Donc selon vous, notre intérêt propre est surnaturel. Cependant vous nous avez donné pour règle dans votre Instruction pastorale, « que vous ne vous êtes jamais servi (dans votre livre des Maximes) du terme d'intérêt, 1 Sess. VI, cap. XVI. 2 Lett. pust., p. 46.

en y ajoutant celui de propre, que pour justifier le seul amour naturel de nous-mêmes1: » c'est là votre unique dénouement; c'est tout le fondement de votre système, mais par vous-même il est faux, la vérité nous force à le dire; et ne croyez pas pour cela qu'on vous manque de respect. C'est un faux, c'est un nego de l'Ecole. Donc la règle que vous nous donnez pour tout dénouement est fausse, et vous ne pouvez vous sauver de l'autorité du concile qu'en la démentant.

Cependant il est douloureux à toute l'Eglise de voir un prélat de votre importance si prêt à tout sacrifier à un nouveau système s'il ne faut, pour le sauver, que donner un sens inouï à un concile œcuménique, c'est-à-dire, en d'autres termes, que de se jouer de ses paroles, vous n'hésitez pas à le faire; l'Ecriture ne sera pas plus inviolable pour vous; vous ferez penser à David et à saint Paul sur Moïse, ce qui vous accommodera, sans fondement et sans témoignage; vous forcerez tout pour en venir à votre point; vous sauverez une erreur par une autre; et vous ferez passer imperceptiblement des nouveautés sous couleur d'un fait innocent, et qui ne fait rien au dogme. Vous avez les expressions les plus spécieuses, et les plus adroites insinuations pour faire couler ce qu'il vous plaît dans les oreilles crédules: vous hasardez tout sur cette confiance, et sur le fond inépuisable d'explications dont vous vous sentez plein. Faut-il se taire sur cela, ou bien avertir les peuples d'y prendre garde?

TROISIÈME QUESTION.

Sur la première Explication envoyée à M. de Chartres.

I.

On remet

Remettons le fait en peu de mots. Pressé par M. de Chartres, sur l'espérance chrétienne que vous ôtiez aux parfaits dans vos le fait. Maximes sous le nom d'intérêt propre, vous lui envoyàtes une ample Explication, où sans songer à votre clef d'amour naturel, ni à celle de motif pris pour principe intérieur, où vous mettez maintenant votre confiance, vous tâchiez de sauver l'espérance selon les notions communes que tout le monde avoit prises d'a1 Inst. past. de M. de Cambray, n. 3, p. 9, etc.

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