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un langage de complaisance et d'accommodement qui doit être contradictoire avec son propre langage? Vous continuez: « Pour mes sentimens, les voici tels qu'ils sont dans mon cœur, et que je crois les avoir mis dans mon livre1. » Avez-vous mis dans votre livre les sentimens de M. de Chartres? On ne trouve dans cet écrit aucune distinction de ce que vous dites de vous-même, et de ce que vous prétendez avoir emprunté. Ce style est uniforme et perpétuel dans toute votre Explication, tout y est emprunté et feint, ou rien ne l'est en parlant du bonum mihi (ce qui m'est bon et avantageux) Voilà, dites-vous, ce que j'appelle des actes intéressés2; » et vous mettez ces actes parmi ceux de vraie espérance, par conséquent, selon vous, très-surnaturels. Le public. croira-t-il que vous expliquez les sentimens de M. de Chartres, quand il voit que vous ne cessez de répéter que vous expliquez les vôtres? Il faudroit réimprimer tout votre discours, pour marquer ici les endroits où l'on voit que vous ne parlez que votre langage naturel mais en voici un qu'on ne sauroit oublier : « Voilà donc, dites-vous, précisément, mon très-cher prélat, ce que j'ai pensé, en faisant mon livre, sur les actes que j'ai nommés intéressés, » qui sont rapportés un peu après, parmi les actes de vraie espérance. Ce que vous pensiez en faisant votre livre, est-ce, Monseigneur, ce que pensoit ou penseroit M. de Chartres, ou pensiez-vous dès lors à lui faire un argument ad hominem? Oh! qu'il en coûte, quand on veut défendre l'erreur, et soutenir une fausse excuse? Votre embarras est extrême sur cette première Explication que M. de Chartres a imprimée. Vous ne pouvez la reconnoître sans vous condamner vous-même, comme un homme qui nie l'espérance: vous ne pouvez la rejeter, parce que vous l'avez donnée à M. de Chartres avec tous les témoignages que vous y pouviez attacher de votre croyance. Vous n'osez absolument ni l'approuver, ni la renoncer; et ne sachant quel nom lui donner, vous lui appliquez à la fin celui d'argument ad hominem, que personne ne connoît en cette forme, ou, comme vous l'appelez, argument d'accommo2 Ibid.,

1 Prem. Rép. de M. de Camb. après la Lett. past. de M. de Ch, p. 1. 3 Ibid., p. 8.

p. 4.

TOM. XX.

22

V.

Embarras visible

dans la

à M. de

dement et de complaisance, qui ne se trouve que chez vous. Qui veut voir votre embarras sur cette objection, n'a qu'à lire votre Réponse: « J'avoue, dites-vous, qu'il règne partout dans Réponse cette lettre (dans celle où est contenue votre première ExplicaChartres. tion à M. de Chartres) un grand défaut de précaution; et si c'est une faute, que de n'en avoir pris aucune en écrivant une simple lettre à un ami intime, j'avoue que j'ai parlé improprement, et avec la négligence d'un homme qui ne craint pas de n'être pas bien entendu : mais il vous est moins permis qu'à un autre de me faire un crime de cet excès de confiance 1. » On ne comprend rien dans ce discours. Souvenez-vous, Monseigneur, que vous étiez si vivement pressé par M. de Chartres, que vos plus solides réponses n'étoient pas trop fortes. Il étoit donc temps ou jamais, de déployer vos meilleures armes, et si vous vouliez être entendu, vous deviez découvrir alors vos plus intimes pensées. Qui vous empêchoit de le faire? Vous écriviez, dites-vous, une simple lettre à un ami intime: appelez-vous une simple lettre, une explication si foncière et si ample de vos sentimens, et la raison que vous vouliez rendre de votre foi? est-ce à cause que vous y parliez à un intime ami, que vous lui cachiez le fond de votre secret? Vous appelez négligence et défaut de précaution une suppression si délibérée et si continuelle de votre dessein: Vous ne craignez pas, dites-vous, de n'être pas entendu. Mais par où vouliez-vous qu'on vous entendit, avec le grand soin que vous preniez de taire votre véritable et essentiel dénouement, et un choix d'expressions les plus significatives et les plus précises, pour exprimer que vous disiez votre sentiment. Vous avez de belles paroles : tout le monde les reconnoît; mais l'embarras qui est dans le fond ne se peut couvrir, et on voit que vous ne savez où poser le pied: car s'il faut dire ici encore un mot de la négligence des lettres, où vous mettez votre refuge, vous savez que les saints docteurs, les Basiles, les Jérômes, les Augustins, les Bernards, n'ont rien écrit plus exactement que les lettres où ils traitoient de la doctrine. Il s'agissoit dans celle-ci de mettre en repos la conscience de trois évêques, qui appelés en témoignage par vous-même, se 1 Ire Lett., p. 63, n. 8.

croyoient obligés à déclarer à toute l'Eglise leur sentiment sur votre livre; un de ceux qui vous pressoit le plus vivement, et qui étoit le plus occupé du besoin où vous étiez d'éclaircir, s'il étoit possible, la doctrine de ce livre, étoit M. l'évêque de Chartres, à qui vous faisiez alors profession d'ouvrir le plus à fond votre cœur; aussi a-t-on déjà vu que vous commencez cette Lettre si négligée, selon vous, par l'obligation où vous étiez de rendre compte de votre foi à toute l'Eglise, et surtout à vous, disiezvous à M. de Chartres, qui êtes mon confrère, mon bon et ancien ami 1. Après un tel préambule, on ne croiroit pas que vous dussiez vous sauver par la négligence de votre Réponse : au contraire vous prépariez les esprits à toute sorte de précision et d'exactitude.

Je ne sais pas au reste pourquoi vous voulez que M. de Chartres fùt celui à qui il fût moins permis qu'à un autre de vous faire un crime de l'excès de votre confiance, c'est-à-dire de vous reprocher vos variations. Sans doute, Monseigneur, vous ne direz pas que votre Explication dût être un mystère confié sous le secret à M. de Chartres, vous qui la citez le premier dans une Réponse imprimée contre la Déclaration des trois Evêques : mais si sous prétexte d'amitié et de confiance vous cachez vos sentimens à un intime ami; si vous lui donnez une réponse qu'ensuite vous détruisez par une autre formellement et contradictoirement opposée, et que par là vous cherchiez de la protection à un livre qu'on ne peut défendre que par de tels changemens, des évêques, parce qu'ils sont vos anciens amis, n'oseront s'en plaindre? Où prenez-vous, Monseigneur, ces nouvelles règles de morale?

VI.

Sur le

motif.

Par exemple, vous avez dit pour le terme de motif, «que vous vous accommodiez (dans le même livre des Maximes) à l'usage terme de de notre langue, où il veut d'ordinaire dire la fin dernière, ou du moins la principale qui fait agir 3. » Vous n'aviez point d'autre idée, et vous veniez de dire positivement que dans tout votre livre des Maximes « on doit toujours de bonne foi réduire le terme de motif au même sens. » C'est donc en toutes manières

1 Prem. rép., etc., à la fin de la Lett. past. de M. de Chartr. -21re Lett. en rép., p. 63, 64. 3 Prem. Rép. après la Lett. past. de M. de Ch., p. 13-15,

un fait constant, que du temps que vous envoyiez votre Explication à M. de Chartres, vous ne connoissiez, dans ce livre des Maximes, le sens de motif que pour signifier la fin qu'on se propose au dehors. Vous dites maintenant le contraire dans votre Lettre en réponse à la Lettre pastorale de M. de Chartres, et vous voulez qu'on devine, sans en dire mot, que dans votre première Explication à ce prélat, vous parliez dans un esprit de complaisance et d'accommodement: donnez-nous donc quelque règle pour deviner vos desseins, puisque vous ne daignez pas nous les expliquer.

Vous croyez peut-être que le lecteur perdra patience dans le détail où il faut entrer pour vous convaincre, et vous brouillez tant de choses, que vous croyez qu'on ne voudra pas se donner la peine de les démêler: mais pourvu qu'on gagne sur soi de lire trois pages, on verra en particulier toute votre adresse.

« J'assurois, dites-vous, qu'en distinguant l'objet formel et le motif, mon intention n'avoit point été de contredire le langage des théologiens, mais que j'avois voulu seulement m'accommoder à l'usage familier de notre langue pour le terme de motif. » Il est vrai, vous dites ces mots mais vous ajoutez en même temps, que cet usage de notre langue étoit de prendre le motif pour la fin qu'on se propose au dehors, et c'est en cela que vous prétendiez que cet usage de la langue françoise étoit différent de celui des théologiens qui prenoient motif pour objet formel. Ainsi toute la difficulté rouloit sur la différence entre prendre motif pour objet formel avec l'Ecole, ou le prendre pour fin au dehors, selon l'usage que vous prétendiez dans notre langage, et vous ne songiez pas encore alors à le prendre pour principe intérieur ni pour amour naturel.

Vous remarquez dans votre Lettre en réponse à M. de Chartres, ces paroles de l'Explication au même prélat On dit tous les jours: Le motif d'un courtisan est l'ambition; et vous concluez à présent que dans le vrai langage de votre livre expliqué dans la Lettre même, où l'on vous reproche la variation, motif n'est point l'objet extérieur, mais seulement l'affection intérieure. Il 1 Lett. en rép., p. 66. — 2 Ibid.

est vrai, vous le dites à présent; mais vous ne le disiez pas alors, et vous le laissiez à deviner.

Vous direz que votre exemple du courtisan, qui a pour motif son ambition, le prouvoit assez. Mais voici votre texte entier, dont vous supprimez la moitié. « On dit tous les jours: Le motif d'un courtisan est l'ambition; le motif d'un homme vain est la louange1, » etc. Mettez que cet exemple du courtisan et de l'ambition soit ambigu : l'exemple de louange détermine, puisque jamais on n'a dit qu'elle pùt être autre chose que l'objet extérieur d'une ame vaine, et qu'elle ne pouvoit pas être son affection intérieure. En tout cas vous vous expliquez très-clairement dans la suite, puisque vous y rejetez le mot de fin à cause que notre langue ne s'en accommode guère : C'est pourquoi, continuezvous, je l'ai joint au terme de motif. Pour ôter jusqu'au moindre doute de votre pensée, vous ajoutez que le terme de motif, pour signifier la fin, est le plus naturel et le plus usité. Ainsi vous vous déterminez à ce sens-là, et j'en ai cru, dites-vous, l'usage innocent de mon livre. » Constamment donc, c'étoit la fin que vous entendiez par motif, et vous ne permettiez pas qu'on prît ce terme autrement qu'en ce même sens.

C'est ce que vous avez changé depuis: le motif est devenu dans tous vos écrits suivans, le principe intérieur qui nous fait agir et la passion qui nous remue3. Vous avez donc manifestement altéré votre système la variation est démontrée. Radoucissez vos termes tant qu'il vous plaira : appelez-la négligence, complaisance, accommodement, langage emprunté pour dissiper les alarmes et les ombrages d'un ami : à travers ces belles paroles et la finesse de vos tours, et à travers toutes vos délicates couvertures, tout le monde perce le fond, excepté ceux qui tout à fait engagés dans le parti, déterminément ne veulent pas voir. Il nous faut encore un moment pour examiner votre dernière ressource. C'est qu'en parlant à M. de Chartres de l'intérêt propre, ressource bonum mihi; ou du salut, vous avez pris cinq ou six fois « la précaution de dire qu'on l'appelleroit, si l'on veut, mon intérêt. »

1 Prem. Rép. à M. de Ch., après la Lett. past., p. 14. 3 [re Lett. en rép., p. 63, 66.

Ibid., p. 13.

VII.

Dernière

des réponses à M. de Chartres.

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