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Si on le veut, poursuivez-vous, marque clairement que ce n'est pas moi qui le veux, et que je sors de mon vrai langage pour m'accommoder à celui d'autrui qui le veut. J'ajoute, poursuivez-vous, que je n'ai garde de disputer sur les termes. Ce n'est donc que pour éviter une dispute sur les termes, que j'entre sur ce langage emprunté et contraire au mien1. » Mais pour dissiper ces fausses lueurs, il ne faut que vous entendre vous-même : « Je n'aurois eu garde de donner ainsi mon Explication au public comme le vrai sens de mon livre : du moins si je l'eusse donnée, j'aurois marqué bien plus expressément qu'encore qu'elle fût vraie en elle-même, elle n'étoit pourtant pas celle que j'avois eue dans l'esprit en écrivant mon livre; j'aurois fait là-dessus dans les formes toutes les protestations les plus fortes pour ne déroger pas au vrai langage de mon livre en le réduisant au vôtre 2. » A vous entendre, Monseigneur, on diroit que ces précautions et protestations dans les formes demandoient un long discours. Mais il ne falloit que trois mots. Ces argumens où l'on procède par les principes des autres et, comme on dit, ad hominem, ont leur formule réglée. Elle consiste à marquer une fois du moins ce qu'on emprunte de l'adversaire, et ce qu'on pense soi-même. Qu'y avoit-il de plus court et de plus aisé que d'ajouter à votre discours ces quatre lignes : « J'ai entendu par intérêt propre un amour naturel de nous-mêmes : mais quand j'entendrois comme vous par ce mot, mon salut est mon propre bien, ce qui n'est pas, je ne laisserois pas de pouvoir, selon vos principes, justifier mon système. » Si vous vous croyez obligé, pour déclarer la sincérité de vos intentions, de prendre cette précaution avec le public; pourquoi la négliger dans une lettre si grave à un ami intime, à qui vous écriviez avec le même sérieux et le même esprit que si c'étoit à l'Eglise pour lui rendre raison de votre foi?

Vous avez encore recours à la négligence d'une lettre écrite à la hâte à un intime ami. « J'ai omis dans cet esprit, dites-vous, toutes ces précautions rigoureuses, et j'ai parlé votre langage, comme s'il eût été effectivement le mien propre. » Quel moyen

1 Ire Lett. en rép., p. 64; Prem. Rép. impr. par M. de Chartr., après sa Lett. past. 2 [re Lett. en rép., p. 67.

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donc reste-t-il à M. de Chartres, dans un langage si semblable, d'imaginer de la différence dans les sentimens? De si foibles excuses ne répondent pas à l'importance de la matière: il n'étoit pas ici question de parler à la hâte : et si la facilité de votre génie devoit produire une prompte Réponse, il ne s'ensuit pas qu'elle dût être négligée, sous prétexte que vous la donniez en forme de lettre, puisqu'on traite en cette manière les affaires les plus sérieures. Ainsi vos raisons sont vaines, et vous n'en aviez aucune d'épargner à un ami si intime, à un si grave théologien, trois ou quatre lignes. D'autant plus que vous en vouliez venir à la fin, à la protestation qui l'a étonné, où vous prenez « à témoin celui qui sonde les cœurs, comme si j'allois, dites-vous, paroître devant lui, que votre Explication contient tout ce que vous avez prétendu que ce sont là les sentimens que vous portez dans le cœur, et le système que vous croyez avoir donné à votre lettre1. » Vous ne disiez point dans cette sérieuse protestation, que vous parliez à la hâte et avec négligence; vous paroissiez faire sérieusement tout l'effort de votre esprit : vous développiez toutes les distinctions et tous les tours. Vous parliez encore moins de complaisance, d'accommodement, de langage emprunté, d'argument ad hominem. C'étoient les sentimens de votre cœur que vous portiez sous les yeux de Dieu, dans le cœur d'un saint évêque, d'un si grave théologien et d'un ami si intime, qui attendoit de votre cordialité, non point une doctrine étrangère, mais la vôtre, pour régler sur cette connoissance les sentimens qu'il prendroit avec ses confrères et les vôtres sur votre livre.

VIII. Que l'ex

à M. de

parle sans

Au surplus, Monseigneur, ne croyez pas que nous prenions plication pour restriction du terme d'intérêt propre, ces clauses de l'Expli- Chartres cation à M. de Chartres que vous nous donnez pour preuve que restriction vous parliez ad hominem: Bonum mihi sera, si l'on veut, mon intérêt propre; et les autres de même nature que nous avons déjà remarquées. Vous voudriez qu'on crùt qu'en mettant ces clauses vous aviez en vue votre dénouement d'intérêt propre, pris pour amour naturel. Mais vous expliquez trop formellement un autre

1 Lett. past., p. 69, 79, 80; Explic., p. 12, 14, 15; Ire Lett., p. 68. Ci-dessus,

IX Conclu

réflexion

sens. En effet vous laissez en doute si l'espérance peut être fondée sur l'intérêt propre, parce que vous distinguez l'espérance simple ou commune qui ne s'élève point au-dessus de son bonum mihi, de son intérêt, de son motif propre, d'avec l'espérance commandée par la charité, qui la rapporte à son objet propre qui est la gloire de Dieu; vous dites donc, je l'avoue, de cette espérance commandée, qu'à raison de son motif on peut en un sens la nommer notre intérêt propre, en tant qu'elle renferme le bonum mihi comme son objet spécifique; et vous laissez ce langage libre. Ainsi les deux sens dont vous voulez parler dans votre Explication à M. de Chartres, signifient la mème espérance, suivant qu'elle est commandée ou non commandée 1. Vous n'aviez done point dans l'esprit d'autre intérêt propre que le motif de l'espérance que vous nommez simple, commune et non commandée, et votre restriction ne porte que sur celui-là, sans qu'il y ait le moindre vestige de l'intérêt propre pris pour l'amour naturel.

Au reste pour revenir à vos solennelles protestations sous les sion, et yeux de Dieu, qui ont tant étonné M. de Chartres, le sujet de son sur les étonnement est qu'il a vu ce que vous disiez, que vous aviez toujours eu devant les yeux les mêmes choses que vous avez tant de de Dieu. fois changées; vous les expliquez en cette sorte : « Je n'ai jamais,

protesta

tions sous

les yeux

dites-vous, voulu faire entendre par là, que le langage en question fût le vrai langage que j'avois voulu parler dans mon livre; mais seulement que la doctrine en question étoit toute la doctrine à laquelle je bornois le système de mon ouvrage. » C'étoit pourtant du langage de votre livre qu'il s'agissoit directement; c'étoit bien assurément par le langage qu'il falloit juger du vrai sens, de la vraie Explication de ce livre. Quand donc vous réduisez la protestation que vous n'avez point changé, au langage et non au fond, la restriction mentale est trop violente: c'est une foible défaite que croire avoir satisfait en répondant. « Je l'entends ainsi, si l'on veut en un sens, en un certain sens, » etc. Ces clauses vagues peuvent bien montrer un homme qui craint, qui hésite, qui n'est jamais assuré, qui se prépare des évasions, qui

1 Prem. rép. de M. de Camb. impr. dans la Lett. past. de M. de Ch., p. 2, 8, 2 [re Lett. en rép., p. 68.

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en tout cas a plusieurs sens dans l'esprit ou bons ou mauvais : mais elles ne seront jamais une sérieuse explication de ses sentimens sous les yeux de Dieu car en disant que notre salut est notre intérêt en un certain sens, ou l'on a ce sens dans l'esprit ; et on ne peut le dissimuler sans artifice à un ami qui s'attend à l'apprendre, à un grave théologien, à un évêque avec qui on traite un point de la foi ou l'on ne l'a point; et il est terrible d'assurer sous les yeux de Dieu qu'on l'a toujours eu.

:

Après des épreuves si démonstratives contre votre prétendu argument ad hominem, il est bon d'écouter encore vos merveilleuses vraisemblances. Car vous en avez toujours pour prouver qu'il est impossible que vous ayez pensé ce que vous pensez, ou que vous ayez fait les choses où l'on vous surprend. Voici donc vos raisonnemens: Ce seroit un changement trop grossier, ce seroit une variation trop prompte : quand on veut tromper, donne-t-on en si peu de temps à un même homme deux écrits formellement contradictoires depuis le commencement jusqu'à la fin? Si c'est une variation, c'en est une là plus ingénument déclarée, la moins déguisée qui fùt jamais '. » Quoi ? Monseigneur, il est impossible qu'un homme poussé à bout par démonstration, change de réponse, ou cherche de nouveaux détours pour éblouir les esprits, et de nouveaux artifices pour couvrir sa marche? Sur de si légers fondemens, on ne croira pas ce qu'on voit de ses deux yeux, ce qu'on tient de ses deux mains? Ces raisonnemens, Monseigneur, ne sont plus de saison, et permettez-moi de le dire, les ingénuités que vous vantez tant sont trop connues.

Vous direz tant qu'il vous plaira, qu'on n'y va pas si grossièrement quand on veut tromper. Pour tomber dans ces terribles inconvéniens, il suffit d'être trompé et vouloir ensuite se défendre. Il n'y a que la vérité qui se soutienne uniformément, et qui ne soit jamais contraire à elle-même l'erreur se contredit malgré elle, et les esprits les plus suivis sont entraînés par l'esprit d'erreur à des contradictions et à des variations inévitables : on ne se souvient plus à la fin de ce qu'on a dit au commencement; on est tout occupé du soin de se défendre; on dit le oui et le 1 Ire Lett., p. 56-58.

non, sans s'en apercevoir que longtemps après; et cette incertitude a paru dans toutes vos Réponses sur l'argument ad hominem.

Si l'on en peut encore douter après les preuves qu'on vient de voir, il n'y a qu'à lire une Lettre que vous avez écrite depuis. Après avoir vu les fortes Réponses de M. de Chartres à votre Explication qu'il a imprimée', vous vous engageâtes à le satisfaire sur le même pied et sans y rien changer. C'est ce qui paroît dans cette Lettre rapportée par ce prélat, où vous assurez que « l'explication simple et naturelle du texte de votre livre selon vos véritables sentimens est contenue dans votre Lettre à M. de Chartres, » c'est-à-dire dans l'Explication qu'il a imprimée à la fin de sa Lettre pastoralc : ce n'étoit donc pas une complaisance qui l'avoit produite, ni un argument ad hominem, comme maintenant vous vous avisez de le dire c'étoit votre propre sens : et tout ce que vous y avez ajouté depuis soit dans votre Instruction pastorale ou dans vos autres Explications, est étranger à votre système, selon que vous l'exposiez à ce prélat.

Pesez, Monseigneur, les paroles de cette Lettre; elle est écrite après votre Explication à M. de Chartres, et sur les objections qu'il faisoit contre: vous les trouvez « naturelles, fortes, poussées aussi loin qu'elles peuvent l'être, soigneusement ramassées de tous les endroits de votre livre qui peuvent les fortifier, démêlées avec précision et fortement écrites. Je doute fort, ajoutez-vous, qu'on puisse mieux embrasser mon système pour le renverser3. » Pour répondre à de si fortes objections, vous n'aviez qu'à dire que M. de Chartres ne vous avoit point entendu, et que, sans agir par vos principes, vous ne faisiez qu'un argument ad hominem. Loin de parler ainsi, vous supposez que M. de Chartres approuve votre système. Il n'y auroit rien de fort merveilleux, si vous n'aviez fait que raisonner selon ses principes. Vous ajoutez ces paroles : « L'explication simple et naturelle du texte de mon livre selon mes véritables sentimens est contenue dans ma Lettre à M. de Chartres. » C'est celle dont nous parlons, où vous voulez dire maintenant que vous avez parlé un autre langage que le

1 Lett. past. de M. de Ch., p. 72, 73. - Ibid., p. 73. 3 Lett. de M. de Cambr., rapportée par M. de Ch., dans sa Lett. past., p. 72, 73.

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