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turel; il n'est point libre de dire tantôt l'un et tantôt l'autre, la doctrine de la perfection n'est point un jeu. Et on s'étonnera toujours que dans une matière si grave, après que vous avez paru dans les derniers temps vous arrêter inviolablement à soutenir que le motif d'intérêt propre étoit un principe intérieur d'affection naturelle, vous reveniez aujourd'hui à soutenir qu'il vous est indifférent de dire l'un ou l'autre ; car voici vos paroles : « Or il m'est très-indifférent, dites-vous, que ce motif soit l'objet en tant qu'excitant l'amour naturel mercenaire et propriétaire, ou bien qu'il soit ce principe d'amour naturel qui cherche l`objet. » Ce sera donc de ces vaines et creuses révélations que vous aurez rempli toute l'Ecriture, toute la tradition, toutes les prières de l'Eglise; il n'y a qu'à tourner l'esprit vers toute autre chose que celle dont il faudroit parler, ou oublier d'où l'on est parti, le fondement de la piété, et l'espérance par laquelle nous sommes sauvés deviendra une affection naturelle; et pourvu que vous disiez Toute subtilité à part, le monde croira que les noms, les imaginations que vous mettez à la place de vos premières et naturelles pensées n'ont rien que d'uni? C'est ce qui s'appelle se jouer de son esprit aussi bien que de ses paroles et de la crédulité des hommes: vous avez encore un autre moyen d'éluder les difficultés, c'est de les passer sous silence quand vous n'y pouvez trouver de réponse; ainsi quand M. de Chartres vous a reproché1 que vous connoissiez une prière (a) qui fait désirer, malgré l'Oraison Dominicale, la tentation du désespoir, et le délaissement du Père céleste; quand il a rapporté un extrait (6) qu'on lui a donné 'Lett. past. de M. de Chart., p. 6.

(a) O Sauveur! boive qui voudra votre Calice d'amertume; pour moi, je le veux boire jusqu'à la lie la plus amère; je suis prêt à souffrir la douleur, l'ignominie, la dérision, l'insulte des hommes au dehors, et au dedans la tentation du désespoir, et le délaissement du Père céleste... Je manquerois à l'attrait de votre amour, si je reculois.

(6) On ne trouve Dieu seul purement que dans la perte de tous ses dons, et dans ce réel sacrifice de tout soi-même, après avoir perdu toute ressource intérieure ; la jalousie infinie de Dieu nous pousse jusque-là; et notre amour propre le met pour ainsi dire dans cette nécessité, parce que nous ne nous perdons totalement en Dieu que quand tout le reste nous manque.

C'est comme un homme qui tombe dans un abime; il n'achève de s'y laisser aller qu'après que tous les appuis du bord lui échappent des mains.

L'amour-propre que Dieu précipite, se prend dans son désespoir à toutes les

comme de vous, et qui enseigne la perte de tous les dons de Dieu et de toute ressource intérieure dans ce réel sacrifice de tout soimême on s'attendoit à un désaveu de cette mauvaise doctrine, et on n'a rien vu de semblable; vous avez passé tout cela sous silence.

La suite de cet extrait n'est pas meilleure, puisqu'on y apprend « à se laisser aller dans l'abime où l'amour-propre que Dieu précipite, se prend dans son désespoir à toutes les ombres de graces', » etc. Ce désespoir ne vous effraie pas; vous vous taisez à la soustraction générale de ce que Dieu donne, ou, comme on disoit plus haut, de tous les dons divins, dans l'espérance que cette perte du don servira à en ôter la propriété, et que le don sera bientôt après rendu au centuple avec une pureté qui ne sera plus sujette à cette appropriation. Cette maxime: On ne trouve Dieu seul purement que dans la perte de tous ses dons, et dans ce réel sacrifice de tout soi-même, après avoir perdu toute ressource intérieure, nous apprend ce que c'est que l'amour pur de votre livre, et le sacrifice de purification qui y conduit: votre silence nous a fait penser que vous ne pouviez désavouer ces écrits, et nous y avons reconnu les magnifiques expressions dont vous couvrez votre sacrifice absolu avec le désespoir, et les autres maux qui l'accompagnent.

Nous avons tout sujet de craindre que ces écrits, que M. de Chartres a trouvés dans son diocèse, ne se soient fort multipliés ailleurs, et ne fassent estimer et désirer une telle perfection aux cœurs aveugles et trop crédules. Désavouez-les done aujourd'hui,

1 Lett. past. de M. de Chart., p. 7. - Ibid., p. 7 et 8; aussi ibid., p. 110.

ombres de grace, comme un homme qui se noie se prend à toutes les ronces qu'il trouve en tombant dans l'eau; il faut donc bien comprendre la nécessité de cette soustraction qui se fait peu à peu en nous de tous les dons divins ; il n'y a pas un seul don, quelque éminent qu'il soit, qui après avoir été un moyen d'avancement, ne devienne d'ordinaire pour la suite un piége et un obstacle par les retours de propriété qui salissent l'ame.

De là vient que Dien ôte ce qu'il avoit donné; mais il ne l'ôte pas pour en priver toujours il l'ôte pour le mieux donner, et pour le rendre sans l'impureté de cette appropriation maligne que nous en faisons, sans nous en apercevoir. La perte du don sert à òter la proprieté, et la propriété étant ôtée, le don est rendu au centuple. (Manuscrits de M. de Cambray.)

TOM. XX.

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Monseigneur, ou les rétractez pour en arrêter les progrès; car on les donne comme venant de vous.

D'autres que moi vous entreprendront peut-être sur votre se conde Lettre, d'autres attaqueront les foibles réponses que vous faites à M. de Chartres sur votre amour naturel; je me contente de remarquer seulement ici que vous l'avez absolument exclus des parfaits dans votre Instruction pastorale, p. 89. « Pour l'intérêt propre, ces ames ne se contentent point de n'y songer pas en certains momens par une simple abstraction; elles ne le peuvent jamais souffrir, elles croient que le mélange de cet intérêt propre altéreroit leur simplicité. » M. de Chartres vous a aussi cité les pages de votre livre, où vous excluez absolument l'intérêt propre de l'état des parfaits, qui dans votre livre est le motif de l'espérance 1; ce prélat vous a fait voir par vos propres écrits, que cet amour naturel, que vous excluez si absolument dans votre Instruction pastorale, est selon vous une affection naturelle, vertueuse, réglée par une soumission surnaturelle et de grace: et si l'on y joint le sens de votre livre, par une résignation méritoire, qui suppose par conséquent un rapport actuel par la charité; ainsi les affections naturelles, vertueuses et rapportées actuellement à Dieu, ne sont plus de votre prétendu état de perfection; ces nouveaux parfaits « n'en peuvent jamais souffrir, pas même en certains momens; et par une simple abstraction, ils croient ce mélange capable d'altérer leur simplicité. » Voilà donc l'homme prétendu parfait irréconciliable selon vous, non-seulement avec l'amour-propre vicieux, mais avec toutes les affections vertueuses de la nature; le voilà tout à fait passé dans l'ordre surnaturel, comme M. de Chartres vous l'avoit reproché, si votre nouvelle théologie est reçue. Et tout ce que vous dites aujourd'hui pour sauver la nouvelle idée de perfection que nous avoit donnée votre Instruction pastorale, ne peut justifier le nouveau système que vous avez substitué à celui de votre livre. On ne vous répétera pas ici ce que M. de Chartres yous a objecté sur les réflexions de l'état des parfaits; souvenez-vous de cette maxime que vous avez avancée : « Les actes discursifs et réfléchis ne sont 1 Lettre past. de M. de Chartr., p. 83.

plus de cet état: » on ne vous dit rien aussi de la séparation que vous avez établie entre la partie supérieure et inférieure; n'oubliez pas que vous avez dit que le trouble de l'inférieure est entièrement aveugle et involontaire dans cette séparation. Quelles conséquences ne tireront pas les quiétistes de cette maxime? D'autres vous pousseront sur le fond de la matière de l'amour pur, que vous expliquez dans un sens si différent de votre livre; pour moi, je me borne, Monseigneur, aux remarques que je viens de faire, et je me contente d'en tirer cette conséquence, que M. de Chartres vous a convaincu de quatre choses: la première, d'avoir altéré votre système dans les points sur quoi tout rouloit; c'est ce qu'on vient de montrer par une preuve abrégée tirée de vous-même, c'est-à-dire par votre propre Explication poussée par M. de Chartres jusqu'à la plus grande évidence: la seconde, qui suit de votre mème Explication, d'avoir rejeté par votre livre l'espérance chrétienne sous le nom d'intérêt propre, puisque vous avez été contraint d'abandonner le seul dénouement que vous nous aviez donné pour la sauver. La troisième chose dont M. de Chartres vous a convaincu, c'est d'avoir mis à la place de votre premier dénouement sur l'intérêt propre, un sens qui ne se peut soutenir dans le système de votre livre, sans attribuer au concile de Trente une doctrine inouïe, et directement opposée aux intentions de ce concile, et au sentiment unanime de tous les docteurs. Enfin la quatrième chose que M. de Chartres a prouvée, est encore étrange et c'est, Monseigneur, que pour sauver votre système, vous hasardiez tout, et que vous ne le souteniez que par les restrictions mentales les plus odieuses, et que vous fassiez une protestation, sous les yeux de Dieu, d'avoir toujours pensé ce qu'à la fin vous changez aux yeux de toute la terre sans le vouloir avouer.

FIN DE LA RÉPONSE D'UN THÉOLOGIEN, ETC.

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On s'aperçoit, il y a longtemps, que M. l'archevêque de Cambray ne multiplie ses écrits que par des redites continuelles, sans qu'il y ait rien de nouveau qu'un ton plus affirmatif, une hauteur extraordinaire, un style qui s'échauffe et qui s'aigrit en écrivant, et l'entier retranchement de je ne sais quelle douceur dont cet auteur se paroit au commencement.

Ce sont ces redites qu'il a voulu appeler des Préjugés, et afin que rien n'y manquât, des Préjugés décisifs: mais pour voir la vanité d'un si beau titre, il n'y a qu'à se souvenir de ce qu'on entend par le terme de préjugés. Ce mot naturellement signifie les choses jugées, ou en tout cas des raisons, sans entrer au fond, qui démontrent par elles-mêmes qu'une cause est bonne, ou tout au moins favorable.

II.

Des choses jugées en cette matière.

Y a-t-il, en cette affaire, des choses jugées? oui sans doute. On a jugé Molinos: on a jugé le Père Falconi: on a jugé madame Guyon qui a entrepris de les soutenir tous deux; telles sont les choses jugées dans cette matière: mais ces préjugés sont contre M. de Cambray. Ce n'est pas nous qui défendons madame Guyon: l'on connoît celui qui l'a nommée son amie: qui avoue que tout son commerce avec elle est fondé sur sa spiritualité : qui ne trouve dans ses écrits que des phrases mystiques dont le sens est inno

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