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que j'en ai dit ailleurs 1, et surtout à cet argument auquel il n'a jamais répondu; que s'agissant de traduire, et non pas d'interpréter les Maximes des Saints, il n'y avoit qu'à rendre le texte de mot à mot, sans y insérer des additions que j'ai démontré être fausses. J'ajoute à cette démonstration, qu'elle convainc M. de Cambray d'erreur manifeste.

Quand on lui reproche son sacrifice absolu dans le renoncement à l'intérêt propre éternel, à l'intérêt propre pour l'éternité2: il ne se sauve qu'en disant que l'intérêt propre éternel n'est pas le salut éternel 3. Je ne répéterai plus les raisons que j'ai opposées à de si frivoles échappatoires; mais puis qu'on me rappelle aujourd'hui à la dispute sur l'altération de la version latine de son livre, elle confond manifestement M. de Cambray qui au lieu de ces mots françois : L'ame fait le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l'éternité, traduit en latin: absolutè proprii commodi appetitionem mercenariam, quantùm ad æternitatem pertinet, immolat; c'est-à-dire l'ame sacrifie Absolument le désir mercenaire de son intérêt propre en ce qui regarde l'éternité : où l'on voit à l'œil ces deux choses: l'une est les paroles que ce prélat ajoute à son texte : l'autre, encore plus essentielle, qui est que l'on sacrifie le désir de l'intérêt propre, en tant qu'il regarde l'éternité : ce qui ne peut être sans sacrifier l'éternité même. Je n'en dirai pas davantage sur ce prétendu préjugé : c'en est un grand, je l'avoue, mais contre l'auteur, puisqu'il n'y a rien qui démontre plus l'erreur et la fausseté dans un texte, que la nécessité de l'altérer pour le rendre, si l'on pouvoit, supportable.

V. Le cinquième et dernier préjugé commence ainsi : « Le texte d'un livre doit passer pour correct et pour clair, quand on ne peut, après une vive contestation de près de deux ans, y reprendre aucune expression qui ne se trouve d'une manière encore plus forte et moins précautionnée dans les auteurs mystiques qui sont canonisés ou révérés dans toute l'Eglise. » La règle est sûre il ne s'agit plus que d'en venir à l'application et à la

:

Relat., VIIe sect., n. 5; Rem. sur la Rép. à la Relat., art. 10, n. 4. — Rép. à quatre Lett., n. 2; Max., p. 72, 90. 3 Ire Lett. à M. de Meaux, p. 39. Max., p. 72, 90. Préj., p. 8.

preuve mais c'est à quoi M. de Cambray ne songera pas; et content d'une affirmation hardie: « Or est-il, continue ce prélat, qu'on ne marquera aucune des expressions de mon livre que je ne montre aussitôt, d'une manière encore plus forte, dans ces saints auteurs. » C'est ce qu'il faudroit examiner passage à passage si ce n'est que pour le plus court, on convienne sans discussion, par un préjugé merveilleux et sur la simple parole de M. l'archevêque de Cambray, qu'il est le plus modéré et le plus précautionné de tous les mystiques.

Voilà ce qu'il appelle les cinq préjugés; et de tous les noms, comme on voit, c'est celui qui convient le moins à un tel écrit. C'est un préjugé, mais contre vous, quand pour toute preuve vous répétez et vous supposez ce qui est en question : c'est sous un grand nom ne rien dire ajouter à ces préjugés qu'ils sont décisifs, c'est mettre le comble à l'illusion on montre que la raison manque, lorsqu'on prend sans raison de tels avantages.

V.

Conclusion de l'auteur des Préjugés.

Cependant la conclusion de M. l'archevêque de Cambray n'en est pas moins triomphante. Qu'il me permette de l'arrêter à chaque mot. « Quand il y auroit dans mon livre des ambiguïtés qui n'y sont pas » vous n'avouez même pas l'ambiguïté: vous étonnez tout le monde : « toute équivoque est levée par d'autres endroits : » il falloit l'éviter et non la lever. Mais si elle est si bien levée, que devient ce double sens, qui selon vous, règne partout, et dont vos amis n'ont pu encore convenir avec vousmême? « M. de Meaux devoit m'inviter à m'expliquer sur ces endroits, au lieu de rejeter avec tant de passion les explications que j'ai offertes avec tant de déférence. » Hélas! quelle déférence! ceux qui l'ont vue en sont encore effrayés: on déféroit tout, pourvu qu'on emportât tout ce qu'on vouloit, sans en rien rabattre. « M. de Meaux a prononcé lui-même contre sa conduite. Dans les expressions ambiguës, dit-il, la présomption est pour un auteur, etc. Puisqu'il vouloit me juger par mes paroles, il

1 Préj., p. 10. 2 Prem. Ecrit de M. de Meaux, n. 5.

falloit donc rapporter le passage entier ; le voici : « Nous approuvons les explications dans les expressions ambiguës: il y en peut avoir quelques-unes de cette sorte dans le livre dont il s'agit; et nous convenons que dans celles de cette nature, la présomption est pour un auteur, surtout quand cet auteur est un évêque, dont nous honorons la piété : mais ici où le principal de ses sentimens est si clair à ceux qui les examinent de près, il n'y a qu'à le juger par ses paroles expresses: » un peu au-dessus : « Les explications qui visiblement ne cadrent pas avec le texte, constamment ne sont pas recevables, parce qu'elles ne sont pas sincères. » Voilà le cas où nous étions: et supposer le contraire, c'est donner pour préjugé une fausseté manifeste.

Sur ce fondement néanmoins, on voit paroître dans les Préjugés, une pièce de rhétorique achevée, qui commence en cette sorte « Ici je ne veux point entrer EN PREUVE NI RAISONNER : je ne veux que faire des questions. Que doit-on penser d'un livre qui, loin de paroître ambigu à M. l'archevêque de Paris et à ces autres personnes si précautionnées, leur a paru au contraire correct et clair 1? » J'ai répondu à cette demande, et soit qu'on la donne comme un préjugé, soit qu'on la tourne en question, ce n'est qu'une redite sous un autre nom. C'en est une autre que de demander: « Que croira-t-on d'un livre que cinq grands théologiens ont trouvé dans la forme des paroles saines? » J'ai pareillement répondu à ce prétendu préjugé, qui n'en devient pas plus fort pour être changé en forme d'interrogation. Ces demandes répétées sans preuve, comme l'auteur en convient, seront-elles démonstratives, à cause qu'il les rebat douze ou quinze fois? Quand il aura dit mille fois que son livre est irréprochable, et que M. de Meaux n'a pu l'attaquer qu'en tronquant et altérant le texte 2, me fera-t-on l'injustice de ne pas voir mes réfutations plus claires que le soleil? Mais je n'ai pu attaquer ce livre qu'en attaquant toute l'Ecole. Cette fausse imputation tant de fois désavouée et tant de fois réfutée, non par des passages, mais par des traités exprès de M. de Meaux, deviendra-t-elle solide en la répétant sans preuve et sans raisonner? Il poursuit: « Que croira-t-on d'un 1 Préj., p. 10. 2 Ibid., p. 12.

livre que cet adversaire (M. de Meaux) aidé de tant de conseils, n'a pu attaquer qu'en se fondant sur des principes si faux qu'il n'ose les soutenir ouvertement, et si nécessaires à sa cause, qu'il ne peut encore aujourd'hui se résoudre à les abandonner, malgré toutes les instances que je fais pour l'obliger à se déclarer? » M. de Cambray veut-il être cru sur des allégations vagues et sur des discours en l'air, sans articuler ces doctrines que M. de Meaux, selon lui, n'ose ni avouer, ni désavouer? J'ai répondu cent et cent fois à ces vains reproches, et on n'a qu'à lire sans aller plus loin, cinq ou six pages des Remarques1, pour voir le contraire de l'embarras que m'impose M. de Cambray. J'ai répondu à la division qu'on impute à trois prélats unanimes : j'ai répondu aux autres demandes de cette éloquente péroraison, et en voici seulement deux des plus importantes que j'ai réservées pour la fin.

La première est : « Que croira-t-on d'un livre, quand on voit que ceux qu'on avoit si prévenus pendant que je demeurois dans le silence, ont ouvert les yeux, et m'ont fait justice dès qu'on a écouté les deux parties dans leurs écrits? » L'autre, qui tend à la même fin, et par où M. de Cambray conclut ses demandes : «Enfin que croira-t-on d'un livre, dont les défenses très-correctes sont déjà encore plus répandues que le livre même dans toute l'Europe?» A la fin donc M. de Cambray ne se contient pas : ravi de se faire lire par toute l'Europe, il croit l'avoir attirée à son sentiment. En effet il n'est pas jusqu'aux protestans qui ne le traduisent, ne l'impriment, et ne le louent. Mais sans entrer dans la thèse particulière, ni vouloir ôter à un auteur le petit plaisir de l'applaudissement dont il se flatte: si par de beaux tours d'esprit, et une agréable éloquence aidée de la nouveauté et de la curiosité, un orateur se fait lire, il croira que c'est préjuger en sa faveur, et ce sera là un argument de la solidité de sa doctrine? Prenons-le d'un ton plus sérieux avec saint Paul. Si ceux dont cet Apôtre a écrit qu'ils errent et jettent les autres dans l'erreur, et que leurs discours gagnent comme la gangrène 3, réus

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sissent durant un temps à se faire admirer dans le monde, ils n'auront qu'à dire qu'on a ouvert les yeux à la lecture de leurs livres, et à prendre pour un préjugé de la vérité, le succès qui achève de les plonger ou de les entretenir dans l'erreur? Les esprits solides ne se laissent pas éblouir si aisément ; et loin d'être flattés par les louanges qu'on donne à leur éloquence et à leur esprit, ils craignent dans de tels applaudissemens ce progrès en mal, dont parle l'Apôtre : Proficient in pejus1. Pour ce qui est des défenseurs de la vérité, la solidité doit être leur partage. Ainsi ils ne seroient pas étonnés, même d'un plus grand succès que celui dont se vantent leurs adversaires, ni des malheureux progrès de l'erreur, bien instruits par le Saint-Esprit que ces progrès ont leurs bornes et que leur erreur, leur égarement, que saint Paul appelle leur folic, sera connue de tout le monde.

Loin donc du milieu de nous les préjugés qu'on nous vante: si l'on en veut de solides et de véritables, je les exposerai en peu de mots, et je dirai à mon tour :

Que peut-on croire d'un livre, que dès le commencement l'on cache à ceux dont on vouloit expliquer la doctrine?

Que peut-on croire d'un livre qui est condamné par actes publics de ceux dont on vante l'approbation secrète ?

Que peut-on croire d'un livre dont l'auteur, après y avoir promis une entière précision et un éloignement de toute équivoque, n'en a pu venir à bout, et le remplit d'ambiguïtés?

Que peut-on croire d'un livre où il règne partout un double sens de l'aveu de son auteur, et, que ses amis ne peuvent défendre qu'en abandonnant le seul dénouement qu'il leur donne?

Que peut-on croire d'un livre dont les explications toujours variables, se détruisent les unes les autres en sorte que leur auteur, après les avoir données sous les yeux de Dieu comme son sens unique et primitif3, les élude dans la suite en les donnant comme empruntées ?

Que peut-on croire d'un livre dont l'auteur, invité par ses amis à une conférence amiable, la refuse constamment sous toutes les

1 II Timoth., III, 13. p. 56, etc.

2 Ibid., 9.

3 Ire Lett. à M. de Chartres,

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