Page images
PDF
EPUB

conditions les plus équitables, encore qu'il n'ait à craindre que la seule force de la vérité?

Que faut-il croire d'un livre dont l'auteur ne cherche qu'à éviter le jugement par la continuelle introduction de nouvelles questions', et en jetant ses juges, s'il pouvoit, dans des discussions infinies?

Je n'en veux point d'autre preuve que ces paroles des Préjugés: « Ces défenses (de son livre, répandues par toute l'Europe) ne peuvent plus être séparées du livre qu'elles justifient: elles ne font plus avec ce livre qu'un seul ouvrage indivisible dans son tout. » Ainsi l'examen du livre qu'il a lui-même déféré au saint Siége, ne suffit plus : ce livre est inséparable de l'infinité des livres publiés pour sa défense: tout cela ne fait qu'un même tout, sur lequel il faut prononcer par un seul et même jugement : on ne doit prononcer qu'après un examen de ce tout. S'il plaît à M. de Cambray avec son inépuisable fécondité, d'écrire de nouveaux livres, il faudra les joindre au procès; et la décision du saint Siége, qu'il fait semblant de presser, sera prorogée jusqu'au jugement universel: y a-t-il une illusion plus manifeste?

Enfin que peut-on croire d'un livre dont l'obscurité et l'ambiguïté fait la défense? Expliquons-nous : les défenseurs de M. de Cambray sauvent son livre à son exemple, parce que s'il y a des obscurités en un endroit, elles sont éclaircies en d'autres, en sorte que le tout est bon mais c'est là un des artifices dont on s'est servi pour excuser tous les mauvais livres : les auteurs suspects n'ont point eu d'autres ressources, et ils ont tâché de trouver dans leurs écrits des correctifs de tout ce qu'ils ont avancé contre la saine doctrine. On ne trouve dans aucuns auteurs plus de ces sortes de correctifs que dans Origène : mais cela ne l'a pas sauvé des justes censures de Théophile d'Alexandrie, du pape saint Anastase et du concile V, encore que plusieurs saints l'eussent appelé le maître des églises. Si l'on eùt consulté les équivoques des demi-ariens sur l'éternité et sur la divinité du Fils de Dieu, et qu'on eût voulu excuser une parole par une autre, on n'auroit pu les confondre, ni condamner leur erreur. On n'ignore pas les 1 Rem., Concl., § 3, n. 17. — 2 Préj., p. 13.

2

équivoques de Nestorius sur l'unité de la personne en JésusChrist, et sur la qualité de Mère de Dieu. Celles de Théodore de Mopsueste ont donné lieu à un Facundus et à d'autres grands hommes, de lui chercher des excuses et des correctifs dans ses livres, lors même qu'on en condamnoit la doctrine; mais elles n'ont pas suspendu l'effet d'une si juste condamnation. Les eutychiens n'ont pu se soustraire à la censure de l'Eglise en conformant leur langage à celui des orthodoxes, avec une telle adresse que souvent on a peine à les distinguer. Cependant l'Eglise a persisté à ne pas prendre des contradictions pour des correctifs, ni des ambiguïtés pour des excuses. Mais où l'on voit l'équivoque et l'obscurité régner avec le plus d'artifice, c'est dans l'erreur des monothélites. On n'a qu'à voir les expressions sublimes en apparence d'un Théodore évêque de Pharan, et des autres chefs de cette secte1 mais l'Eglise n'a point reçu leurs excuses, ni leurs prétendus correctifs, encore que quelquefois, et quelques-uns d'eux le plus souvent parlassent si bien le langage des orthodoxes, qu'on a encore aujourd'hui beaucoup de peine à trouver des caractères certains pour les distinguer. L'esprit de l'Eglise est de dire à ces correcteurs ambigus de leurs propres propositions Parlez nettement: ne tenez point un langage douteux: ne laissez aucune ressource aux novateurs : et au lieu de les excuser sous prétexte qu'ils auront dit en quelques endroits des choses peu accordantes avec l'erreur; au lieu, dis-je, de les excuser par cette contrariété, elle leur a attiré, ainsi que nous l'avons expliqué ailleurs, comme une nouvelle qualification de s'être combattus eux-mêmes: Qui etiam sui ipsius extitit impugnator. Les béguards n'ont pu tromper le jugement de l'Eglise par toutes les excuses que leur ont fourni un Eckard, et les autres hommes dont la piété fut trompée par leurs belles expressions. Vous devez savoir les mauvais sens que Molinos, que madame Guyon et les autres ont enveloppés de belles paroles: parlez nettement, encore un coup, vous qui dites que vous n'écrivez que pour confondre les faux mystiques; et loin d'espérer que vos ambiguïtés, ou vos

1 Concil. Later., sub Mart. 1; collat. 3; ap. Labb., Concil., tom. VI, act. XIII, col. 957. - 2 Inst. sur les Etats d'Or., liv. X, n. 1.

contrariétés que vous donnez pour des correctifs, tiennent lieu d'excuse, elles seront une des raisons pour vous condamner.

Voilà de véritables préjugés, c'est-à-dire des choses jugées, comme je l'ai remarqué au commencement: ou en tout cas des argumens, sans entrer au fond, qui condamnent M. de Cambray. J'ajouterai ce dernier et inévitable préjugé. On doit préjuger contre celui qui change l'état de la question, et qui veut nous faire accroire que nous condamnons la pureté de l'amour telle qu'elle est enseignée par l'Ecole, au lieu que nous n'attachons notre juste condamnation qu'au faux amour pur que ce prélat veut établir. Il est vrai qu'il faut un peu entrer dans le fond pour bien entendre ce préjugé mais c'est très-légèrement, et d'une manière si facile et si décisive, qu'on peut dire que l'embarras de la discussion ne s'y trouve point. Car il n'y a qu'à lire quelques lignes du livre des Remarques', pour y voir ces deux faits constans l'un, que nous n'avons jamais attaqué l'amour pur de l'Ecole l'autre, que j'ai mis en fait que l'amour pur de M. de Cambray distingué et mis au-dessus de celui-là, n'avoit jamais été enseigné par aucun docteur : c'est un fait qu'on a articulé, sur lequel on ose encore assurer que M. l'archevêque de Cambray ne répondra jamais qu'en biaisant. On l'a sommé de nommer un seul auteur, s'il en avoit : il n'en a nommé aucun: il n'a pas même répondu un seul mot à cette précise interpellation de nous indiquer ses auteurs : c'est pourtant à quoi il falloit répondre ; et faute de l'avoir seulement tenté, on peut donner avec confiance pour dernier et invincible préjugé contre le livre de ce prélat, qu'encore qu'il ait cité tant d'auteurs, il n'en a pu nommer un seul pour son prétendu amour pur distingué de son quatrième degré, qui est principalement ce qu'il avoit à prouver.

Pour ce qui est des préjugés qui ne consistent, comme il l'avoue, qu'à des demandes sans preuves, et à des propositions qui désireroient une discussion qu'il ne fait point; c'est, sous le nom de préjugés des redites perpétuelles. Un auteur persuadé qu'il impose à ses lecteurs autant qu'il lui plaît, se joue de leur crédulité; c'est ce que fait trop visiblement un prélat qui n'étoit pas né 1 Rem., Concl., § 3, n. 3, 4.

TOM. XX.

24

pour prendre de tels avantages; et au lieu de se défier en homme grave de la trop facile croyance qu'on pourroit prêter à ses préjugés sans raison, il les donne pour argumens décisifs de la bonté de sa cause.

En finissant ce petit ouvrage, il me tombe entre les mains un écrit intitulé: Les principales propositions du livre des Maximes des Saints, justifiées par des expressions plus fortes des saints auteurs. Je ne sais pas de quelle date il est, non plus que celui-ci, que les affidés ont vu, à ce que j'apprends, il y a déjà quelque temps. M. de Cambray dit lui-même dans sa Réponse aux Remarques3, qu'il y a des livres qu'il ne veut répandre qu'à Rome. C'est encore un préjugé de la bonne cause, de négliger ces petits mystères, et donner d'abord à toute la terre ce que nous écrivons, en sorte que ce prélat le voie aussitôt que nous. Je réponds actuellement au livre que j'ai indiqué, car il ne faut pas être moins infatigable à défendre la vérité qu'on l'est à l'attaquer; et ceux qui répandent dans le monde avec tant de soin, à l'exemple de toutes les sectes nouvelles, que ce sont ici des querelles et des intérêts particuliers; ou, comme disoient les pélagiens, des questions de pure dispute, et non point de la foi; res quæstionis, non fidei s'ils ne sont pas encore désabusés de cette erreur, qui a servi d'introduction à toutes les nouveautés, verront bientôt qu'on ne seroit jamais entré dans cette dispute, s'il ne s'agissoit du fond de la piété, de la règle de l'Evangile, en un mot de l'essence du christianisme,

1 Rép. aux Rem., p. 107.

FIN DE LA RÉPONSE AUX PRÉJUGĖS DÉCISIFS.

LES

PASSAGES ÉCLAIRCIS

OU

RÉPONSE AU LIVRE INTITULÉ

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DU LIVRE DES MAXIMES DES SAINTS, JUSTIFIÉES PAR DES EXPRESSIONS PLUS FORTES DES SAINTS AUTEURS

Avec un Avertissement sur les signatures des docteurs, et sur les
dernières lettres de M. l'archevêque de Cambray.

[ocr errors][merged small][merged small][merged small]

ET SUR LES DERNIÈRES LETTRES DE M. L'ARCHEVÊQUE DE CAMBRAY A L'AUTEUR.

Pendant que j'achève cet ouvrage, et que j'en prépare la suite, si elle est encore jugée nécessaire pour l'instruction des fidèles, il tombe deux nouveaux livres entre mes mains, avec ce titre qui me surprend : Première lettre de M. l'archevêque de Cambray à M. l'évêque de Meaux, sur les douze propositions qu'il veut faire censurer par des docteurs de Paris: la seconde lettre paroit sous une inscription semblable. Tout le monde sait, et M. de Cambray ne l'ignore pas, que ces douze propositions ont été extraites, qualifiées et signées, sans que j'en aie seulement entendu parler, loin que j'eusse la moindre part, ni à l'exécution, ni au conseil même. Il nous est venu de Cambray une Relation toute à l'avan

« PreviousContinue »