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LES

PASSAGES ÉCLAIRCIS.

CHAPITRE PREMIER.

Proposition du sujet.

Quelque peine que je ressente de tant écrire sur une matière épuisée et dont le monde paroît rebuté, je ne dois pas mépriser le moyen que l'on me présente de pousser à la dernière évidence la démonstration des erreurs du livre des Maximes. S'il est vrai qu'on en ait choisi les principales propositions pour les confronter aux passages les plus exprès; et qu'il ne s'agisse, comme dit l'auteur, que « de justifier chaque proposition par une simple comparaison des paroles du même auteur avec celles des saints'; » le procès sera bientôt fait, et le résultat sera clair : car encore qu'on se prépare dans le nouveau livre une espèce d'échappatoire, en disant pour conclusion « qu'on n'a rapporté qu'une trèspetite partie des expressions des saints auteurs pour en faire une espèce d'essai ; » il ne faut point s'arrêter à cette exagération, puisqu'un homme d'un si bel esprit, et si attaché à son livre, aura sans doute choisi ce qu'il avoit de meilleur et de plus pressant pour sa défense. Il est vrai qu'on ne pourroit éviter beaucoup de longueur en examinant passage à passage. Mais il y a encore ici un expédient à prendre, pour ne tenir pas son jugement en suspens durant cette discussion. Parmi ces propositions principales, choisissons d'abord la principale de toutes, celle du sacrifice absolu, et du simple acquiescement à sa juste condamnation de la part de Dieu. C'est dans cette proposition que se doit trouver selon M. de Cambray, l'acte le plus parfait du christianisme, et selon nous, le venin le plus manifeste du livre. Commençons par là, sans préjudice du reste qu'on pourra voir dans la suite: c'est 1 Princ. prop., p. 3. 2 Ibid., p. 125.

à en effet que tout aboutit : c'est là que l'on nous oppose les passages les plus affreux. On est glacé, quand on lit les vœux de tant de pieux auteurs pour l'enfer, et les passages terribles, où à quelque prix que ce soit, ils veulent être damnés. Voyons s'il est véritable qu'il ne s'agisse, comme le déclare M. de Cambray à la tête de son livre, que « d'une simple comparaison de ses paroles avec celles des saints. » Mais d'abord il est réfuté par le titre de son livre même.

CHAPITRE II.

Réflexion sur le titre et sur le dessein du livre des Propositions.

Principales propositions justifiées par des expressions plus for tes des saints auteurs: je demande pourquoi plus fortes? que ne sont-elles précises? c'est la justesse et la précision qu'il faudroit chercher, et à ne dire ni plus ni moins que ce qu'il faut. Mais c'est là ce que l'auteur n'ose nous promettre. Ainsi dès son titre il sort de l'idée de la simple comparaison qu'il avoit promise, et il nous prépare à entendre quelque chose d'exagéré. « Son excuse, c'est, dit-il, que les expressions (des auteurs qu'il cite) sont quelquefois exagératives, et qu'on ne doit pas les prendre au pied de la lettre 1. » Ce quelquefois, qui semble restreindre la proposition, est étendu par ces paroles de la même page par où commence le livre: «Chaque proposition attaquée est beaucoup moins forte, que celles des saints canonisés ou révérés de toute l'Eglise » remarquez ces mots : Chaque proposition, où tout est compris. et ces autres : Est beaucoup moins forte; ce qui entre si bien dans tout le système, qu'il est compris dans le titre même, où l'on ne promet que des expressions plus fortes des saints auteurs. C'est donc à dire, qu'on va ramasser dans les livres ce qu'il ya de plus poussé, de plus excessif, pour en composer un système cela est-il juste? mais ce qu'ajoute l'auteur à la conclusion, où il ramasse les idées de tout son livre, est encore plus surprenant.

« Ce petit recueil suffit, dit-il, pour montrer que les plus fortes 1 Princ. prop., p. 3.

expressions de mon livre le SONT BEAUCOUP MOINS que celles de ces maîtres de la vie spirituelle1. » Lisons encore: « Il y a même dans les passages que j'ai rapportés, beaucoup de choses que le lecteur ne doit pas prendre AU PIED DE LA LETTRE, tant elles iroient loin au delà des bornes : » d'où il conclut, que ses propositions, loin d'être aussi fortes que les passages auxquels il les compare, en sont des espèces d'explications pour les tempérer, et pour empêcher que les mystiques indiscrets, les prenant à la lettre, n'en fassent un mauvais usage. »

Mais qui a donné la liberté à M. l'archevêque de Cambray de diminuer la force des expressions des saints, si ce n'est qu'il trouve dans toutes ou dans la plupart, un caractère manifeste d'excessive exagération, qui nous mèneroit si loin au delà des bornes, qu'il craint lui-même cet excès, et sent bien le malheur où il tomberoit, de prouver plus qu'il ne veut, sans le recours nécessaire à de bénignes interprétations? Mais voici pour lui un autre embarras; car quelle règle nous donnera-t-il pour fixer ces tempéramens qu'il est contraint de chercher à la déposition des témoins qu'il nous produit? et comment nous montrera-t-il qu'il n'est pas lui-même « de ces mystiques indiscrets, qui, prenant au pied de la lettre les expressions des saints, en font un mauvais usage?» car c'est là précisément de quoi on l'accuse. Lorsqu'il répète cent fois que ses auteurs sont bien moins précautionnés que lui, il ne veut pas dire par là qu'il soit plus prudent, qu'il soit plus sage: il veut dire que ces saints auteurs ayant écrit avant les livres de Molinos et des autres mystiques de nos jours, ont parlé, comme disoit saint Augustin des Pères qui ont écrit avant la naissance ou avant la déclaration des hérésies, avec plus de sécurité: securiùs loquebantur : et que depuis, comme dit le même Saint, il a fallu prendre de nouvelles précautions que les Pères eux-mêmes auroient prises pour confondre de manifestes erreurs, s'ils n'avoient écrit avant qu'elles eussent si ouvertement et si dangereusement troublé l'Eglise : Ut manifesto resisteretur errori.

Il faudra donc examiner avant toutes choses, si l'auteur mème ne s'est point trop laissé frapper à ces exagérations contre les1 Princ. prop., p. 125. - 2 lbid.

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:

quelles il nous met en garde s'il ne s'en est point servi trop à la lettre, et à la manière outrée des nouveaux mystiques: si par conséquent il n'est point de ceux contre lesquels il faut encore se précautionner; et si ce qu'il appelle des précautions ou des correctifs, n'est pas plutôt une foible mitigation, colorée ou palliative de grandes erreurs. Il ne faut point se fâcher de ces expressions, qui sont nécessaires à expliquer précisément la difficulté : et quoi qu'il en soit, on ne doit point oublier que dès le premier pas, et dans son titre, l'auteur du nouveau système est sorti du dessein de la simple comparaison, qu'il nous avoit proposée, puisqu'il est contraint d'avouer que tout est plein d'exagération dans les passages qu'il cite.

CHAPITRE III.

Régle pour juger des expressions exagératives.

On dira Vous nous rejetez dans la discussion pénible et embarrassante que vous promettiez d'éviter. Vous nous montrez bien par l'auteur qu'il s'est servi de passages exagératifs, mais il faudroit une règle pour bien entendre ce qu'il en faut rabattre. Il est vrai; et l'auteur du nouveau système, qui met le fort de sa cause dans des passages d'une manifeste exagération, devoit donner cette règle: autrement il se rend le maître de pousser ou de tempérer à sa fantaisie les expressions excessives, et il compose un système arbitraire. Mais ce qu'il n'a pas voulu ou qu'il n'a pu faire, je le vais faire pour lui : voici la règle.

Toutes les fois qu'on fait avancer à ceux qu'on suppose saints des impiétés, des blasphèmes, de manifestes erreurs contre le fondement de la foi, il faut croire que c'est exagération, et en rabattre ce qui renferme l'erreur, ou ce qui y conduit. La règle est simple autant que sùre: autrement on ferait les saints téméraires, blasphémateurs, errans contre les principes de la foi : ce qui est impie et contradictoire.

Je me confie en Notre-Seigneur, que la seule proposition de cette règle commence à ouvrir les yeux d'un sage lecteur sur la plupart des passages du nouveau système : et lorsqu'il entend les

TOM. XX.

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saints ou les pieux spirituels, par exemple, une bienheureuse Angèle de Foligni, un saint François de Sales, un Louis de Blois; si l'on veut, un frère Laurent et les autres, ne parler que de désespoir et de désespoir horrible, et tout ensemble vouloir aimer, faire pénitence, continuer à servir Dieu jusqu'à la fin, pendant qu'ils se croient damnés ou le voulant être, on voit bien que c'est un transport qui emporte une visible exagération mais pour ici rectifier toutes ses idées et n'en prendre que de certaines, je donnerai quelques principes de solution à tous ces passages évidemment dérivés de cette règle.

CHAPITRE IV.

Sept principes généraux de solution tirés de la règle précédente et de l'autorité des saints.

1er PRINCIPE.

Le sacrifice du salut n'a été proposé par aucun des saints, que sous condition et par supposition impossible exprimée ou sousentendue. La preuve en est claire, par les exemples du dévouement de Moïse et de l'anathème de saint Paul, qui sont les deux seuls qu'on allègue en ce sujet. Ils parlent tous deux absolument : Je voulais être anathème, dit saint Paul 1: Si vous ne pardonnez pas à ce peuple, effacez-moi du livre de vie, et ainsi la condition impossible n'est point énoncée dans leurs discours. Néanmoins saint Chrysostome, c'est-à-dire le plus grand auteur en cette matière l'a sous-entendue: «Saint Paul, dit-il, se dévouoit pour les Juifs, et vouloit être anathème, s'il étoit possible. » La même raison oblige d'en dire autant de Moïse, qui n'a pas moins vu que saint Paul l'impossibilité de sa demande.

II PRINCIPE.

L'impossibilité dont il s'agit, n'est pas celle qu'on recherche dans des spéculations abstraites et métaphysiques; mais celle qui est révélée de Dieu, selon ce que dit saint Paul, que Dieu affer1 Rom., IX, 3. Exod., XXXII, 32.3 Hom. XVI, in Ep. ad Rom.

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