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mit notre salut, par deux choses selon lesquelles il est impossible que Dieu mente: quibus impossibile est mentiri Deum 1. » Le même Apôtre établit encore dans le même chapitre cette impossibilité, en disant : « Dieu n'est pas injuste, pour oublier vos bonnes œuvres. » Ainsi l'impossibilité dont il s'agit est de la foi: il est impossible que Dieu soit menteur : il est impossible que Dieu soit injuste: il est impossible, ni d'être damné, ni de croire qu'on le sera en voulant bien faire, à moins de renoncer à la foi.

III PRINCIPE.

De là il s'ensuit que les saints qui ont fait un tel sacrifice, comme on le suppose de Moïse et de saint Paul, l'ont fait avec une pleine sécurité qu'il n'en seroit rien, et qu'il n'en pouvoit rien être ce sont les paroles de saint Augustin sur Moïse: Securus hoc dixit: et l'impossibilité en étoit révélée de Dieu.

Ce que saint Augustin a dit de Moïse, le vénérable Bède l'applique à saint Paul. Moïse savoit qu'il ne seroit point effacé du livre de vie : saint Paul savoit qu'il ne seroit point anathème.

IV PRINCIPE.

Selon ces principes, la béatitude éternelle n'a jamais été arrachée du cœur de ces deux grands saints, pas même lorsqu'ils sembloient y renoncer pour la gloire de Dieu et pour le salut de leurs frères.

ve PRINCIPE.

Il est révélé de Dieu que la charité n'est pas une simple bienveillance qui ne seroit pas réciproque, mais un amour d'ami à ami: ce qui est fondé sur ce que tout amour est essentiellement unitif, ou plutôt c'est l'union même de celui qui aime, avec son objet; laquelle par conséquent doit être présupposée dans tout acte de charité, tel qu'étoit celui de Moïse et de saint Paul.

VI PRINCIPE.

Cela étant, on peut bien conclure de ces suppositions impos

sibles, que la charité pourroit avoir un motif plus haut pour

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aimer Dieu, que celui de sa bonté bienfaisante envers nous et de notre béatitude: ce motif sera l'excellence de la nature divine: mais elles ne font pas voir que ces motifs soient séparables, en quoi consiste l'erreur du nouveau système.

VII PRINCIPE.

Cette manière de dévouer son salut quand on sait avec une pleine sécurité qu'on ne le peut perdre, mais qu'on l'assure plutôt par un si grand acte, est un transport, un excès que de saints auteurs ont appelé une sage et amoureuse folie, à cause qu'un si beau transport étoit au-dessus de toute raison, et le pur fruit d'un amour qui n'a point de bornes.

CHAPITRE V.

Autorités des saints Pères pour les sept principes précédens.

Quoique j'aie traité à fond la matière de ces sept principes en divers endroits, et que j'aie rapporté au long les passages qui les établissent, il est de telle importance que le lecteur ne puisse douter de cette tradition, que je la remets encore une fois sous ses yeux.

Je commence par ces paroles de saint Augustin : « Quand Moïse a dit, Effacez-moi du livre de vie, il l'a dit avec une pleine sécurité Securus hoc dixit: pour conclure, que ne devant point arriver qu'il fut effacé du livre de vie, Dieu remettroit au peuple le péché qu'il avoit commis 2. >>

:

En un autre endroit : «Avec quelle sécurité a-t-il dit ces mots; Effacez-moi du livre de vie! Quam securus hoc dixit! considé rant la justice et la miséricorde de Dieu, afin qu'étant bien certain qu'un Dieu si juste ne perdroit pas un innocent, sa miséricorde sauvât les pécheurs. »

Saint Augustin ne parle ici que de Moïse; mais comme l'anathème de saint Paul dans le chapitre Ix aux Romains s'explique de la même sorte et par le même principe, le vénérable Bede y

1 Rép. à quatre Lett., n. 14, etc. Sch. in tut., quæst. XII, Ire part., art. 2. — Quæst. in Exod., CXLVII. 3 Serm. LXXXVIII, n. 24.

applique aussi la même solution1, et il prend de saint Augustin les passages qu'on va entendre. L'un est tiré du traité sur le Psaume cv et sur ce verset: Si non Moyses stetisset in confractione, etc. Objecit semetipsum pro eis dicens : Si dimittis illis peccatum, dimitte: si non, dele me de libro tuo. Ubi demonstratum est, intercessio sanctorum quantum pro illis valeat apud Deum. Securus enim Moyses de justitiâ Dei, quæ cum delere non posset, impetravit misericordiam, ne illos quos justè posset, deleret. «Moïse s'oppose pour eux à la colère de Dieu, en lui disant: Si vous ne voulez pas leur pardonner, effacez-moi de votre livre. Où parut ce que pouvoit la prière des saints devant lui, puisque Moïse ASSURÉ DE SA JUSTICE qui NE POUVOIT pas l'effacer du livre de vie : securus de justitiâ Dei quæ eum delere non posset: obtint de sa miséricorde qu'il pardonnât à ceux qu'il pouvoit en effacer avec justice.» On voit toujours cette pieuse sécurité de Moïse, qui entendoit parfaitement ce que la justice de Dieu rendoit impossible. Il parle dans le même sens sur le Psaume LXXVII, où il suppose toujours que Dieu NE POUVANT en aucune sorte l'ôter du livre de vie, se porteroit par sa miséricorde à y laisser ceux qu'il pouvoit priver de cette grace 3.

La tradition de cette sécurité paroît encore par les passages des autres Pères, que j'ai rapportés ailleurs; et pour ne pas oublier les auteurs mystiques, je produirai Denis le Chartreux, qui se conformant, comme il le déclare, à saint Augustin, a parlé dans le même esprit, et l'abrégé de son interprétation est dans ces paroles « De même, dit-il, Seigneur, que JE SUIS CERTAIN que vous ne m'effacerez point du livre de vie, je demande d'être assuré que vous pardonnerez le péché de votre peuple. » C'est ce qu'il fait dire à Moïse; et il fait dire aussi à saint Paul : « De même, Seigneur Jésus, que JE SUIS CERTAIN que vous ne permettrez pas que je sois séparé de vous, je demande d'être certifié de la conversion des Juifs 6. » Conformément à cette doctrine si constante dans toute l'Eglise et dans tous les temps, saint Chrysostome ap

3 In Ps. LXXVII, n. 22.

1 In cap Ix ad Rom. 2 Aug., in Ps. cv, n. 21. Quiet. red., sect. v, cap. II. 5 In Epist. ad Rom., IX. ad Rom. Hom. IV, in Ep. ad Philip.

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pose toujours à l'anathème de saint Paul la condition : S'il étoit possible: ce qui lui a fait tirer cette conséquence que j'ai remarquée 1, qu'il savoit au fond de son cœur que Dieu, loin de le bannir de sa présence, lui assuroit d'autant plus son éternelle union, qu'il sembloit en quelque façon l'abandonner pour l'amour de lui.

J'ai aussi rapporté ailleurs deux passages de ce Père, dans l'un desquels il a dit « qu'il savoIT TRÈS-BIEN qu'il ne seroit point anathème et dans l'autre que quand il a dit que « ni les anges, ni les autres puissances ne le pourroient séparer d'avec Jésus-Christ3, ce n'étoit pas que ces puissances voulussent tenter de l'en séparer, ce qu'à Dieu ne plaise; mais pour montrer l'excès de son amour,» comme nous l'avons entendu.

L'auteur du nouveau système ne veut entendre ni ces passages de saint Chrysostome déjà tant de fois produits, ni ceux que j'ai rapportés de saint Bernard sur les excès de la sainte Epouse, qui ne se possède plus, enivrée dans le cellier de l'Epoux et y oubliant tout ce qu'elle sembloit avoir de raison, de conseil et de jugement ni ces paroles expresses du vénérable Guillaume de Saint-Thierry son contemporain et l'historien de sa vie : « Ecoutez une sainte folie: Si nous excédons dans notre esprit, c'est pour Dieu, etc. Voulez-vous entendre une autre folie: Effacez-moi du livre de vie : En voulez-vous encore une autre, écoutez l'Apôtre : Je désirois d'être anathème, C'est l'ivresse des apôtres remplis du Saint-Esprit : c'est la folie qui fait dire à Festus : Paul, vous êtes insensé; vous extravaguez. » J'ai cité déjà plusieurs fois ces autorités dans les livres contre lesquels on a publié des réponses; et la marque bien assurée qu'on n'a rien à dire, c'est qu'en effet on n'en parle non plus que si ces autorités n'appartenoient pas à la question, au lieu qu'elles la décident : mais, comme si on y avoit répondu, on continue à me préparer un mauvais procès sur les pieux excès, sur les pieuses folies, en répétant ces mots à toutes les pages, comme s'ils étoient condamnables.

On me fait accroire que j'établis ces excès d'amour contre la

1 Rép. à quatre Lett., n. 8. 2 Hom. XVI in Ep. ad Rom. 3 Rom., VIII, 38. -Hom. XV, sub fin.. 5 In Cant., serm. VII, LXXIII, LXXIX, ubi sup.- 6 De nat. et dign. amor., c. III, n. 6.—7 Rép. à quatre Lett., n. 9; Sch. in tut., n. 344, 345.

raison d'aimer, encore que j'aie dit très-expressément qu'on y est poussé par la perfection de la nature divine, comme par un motif principal d'amour1; et encore que dans le fond il n'y ait rien de plus naturel à l'amour que de s'élever autant qu'on le peut audessus de toute raison pour ne consulter que son cœur.

Pour la vertu d'union qui est dans l'amour, j'en ai tant parlé ailleurs, qu'il ne me reste à remarquer que ce principe de saint Augustin Quid est amor, nisi quædam vita duo aliqua copulans, vel copulare appetens, amantem scilicet et quod amatur? « Qu'est-ce, dit-il, que l'amour, si ce n'est une vie qui unit deux choses, ou qui désire de les unir 2?» de sorte qu'imaginer de l'amour où l'on consente dans le fond d'être désuni sans se posséder l'un l'autre, c'est vouloir ôter à l'amour sa propre nature. C'est de là que vient cette doctrine unanime de toute l'Ecole, qui, comme nous avons dit 3, ne connoît de vraie charité que dans l'amitié réciproque.

ADDITION AU CHAPITRE V.

Passage de saint Basile sur le dévouement de Moise et sur l'anathème de saint Paul.

« Le fidèle serviteur de Dieu Moïse fit paroître une si grande charité pour ses frères, qu'il choisit d'être effacé du livre de Dieu où il étoit écrit, si le péché du peuple ne lui étoit pardonné. Et saint Paul osa désirer d'être anathème ou séparé de Jésus-Christ pour ses frères qui lui étoient unis par le sang, voulant à l'exemple du Sauveur, se donner en échange pour le salut de tous, quoiqu'il sùt bien qu'il étoit impossible d'être séparé de Dieu, en s'avançant par sa grace et pour l'amour de lui-même à la plus parfaite pratique du plus grand commandement; et même que par ce moyen il devoit recevoir beaucoup plus qu'il ne donnoit *. » Ainsi selon saint Basile, aussi bien que selon saint Chrysostome, Moïse et saint Paul aient laissé affoiblir en eux le désir

loin

que

1 Rép. à quatre Lett.. n. 14, ci-dessus, ch. IV, princ. 5. De Trinit., lib. VIII, cap. ult., n. 14.-3 Ci-dessus, ch. IV, princ. 5. S. Bas. Reg. fus., interrog., 3, p. 420.

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