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de leur union avec Dieu, ils sentirent au contraire qu'elle n'en seroit que plus grande par leur abandon.

CHAPITRE VI.

Deux autres principes.

VIII PRINCIPE.

Pour exciter sa paresse et s'encourager à courre dans la carrière, on peut en se proposant principalement la gloire de Dieu, agir aussi en vue de la récompense; et c'est ce qu'a fait David en disant : J'ai porté mon cœur à accomplir vos justices, à cause de la récompense': et Moïse, dont saint Paul écrit; qu'en méprisant les richesses et la gloire de Pharaon, il regardoit à la récompense: aspiciebat enim in remunerationem 2. C'est l'expresse définition du concile de Trente 3, qui montre dans les plus parfaits le motif subordonné de la récompense, uni au parfait et principal motif de la charité.

IX PRINCIPE.

Quand done on entend dire à des ames saintes que pour s'encourager à servir Dieu, et pour exciter le fond de la langueur que nous portons en nous-mêmes jusqu'à la mort, il ne leur sert à rien de regarder à la récompense, ou bien qu'elles ne se soucient ni d'être sauvées, ni d'être damnées, mais de la seule gloire de Dieu, ou autres choses semblables: si on poussoit leurs expressions à la lettre, on feroit ces ames plus parfaites que les plus parfaits, et on contrediroit ouvertement le saint concile. Ces neuf principes contiennent si bien la claire résolution de tous les passages, que les esprits un peu exercés les pourroient expliquer d'eux-mêmes mais pour en faciliter l'application, il faut selon le projet rapporter les propositions, et y comparer les passages. 1 Ps. CXVIII, 112. 2 Hebr., XI, 26.

:

3 Sess. vi, 11.

CHAPITRE VII.

Propositions du nouveau système.

1. PROPOSITION Sur l'abandon : que Dieu n'y fait voir aucune ressource, ni aucune espérance à l'intérêt propre même éternel1. 2. Que les sacrifices des ames désintéressées sont d'ordinaire conditionnels, mais que celui-ci est absolu2.

3. Que le cas qui paroissoit impossible dans le sacrifice conditionnel, paroît alors possible et actuellement réel 3.

4. Que l'ame est invinciblement persuadée, d'une persuasion réfléchie, qu'elle est justement réprouvée de Dieu.

5. Que la conviction en est invincible ".

6. Que l'ame est incapable de tout raisonnement; et ainsi qu'il n'est pas question de lui proposer le dogme de la foi, ni de raisonner avec elle.

7. Que l'ame est alors divisée d'avec elle-même, et qu'elle expire avec Jésus-Chrit en disant : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné??

8. Que cette divi ion consiste à faire le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l'éternité, et à regarder le cas impossible, comme réel et actuel.

9. Que l'ame fait en cet état avec le consentement de son directeur un acquiescement simple à la perte de son intérêt propre, c'est-à-dire, comme on vient de voir, de l'intérêt propre même éternel, de l'intérêt propre pour l'éternité, et à la juste condamnation où l'on croit être de la part de Dieu.

10. Que c'est par cet acquiescement que l'ame est délivrée : de sorte que sa délivrance dans cette tentation, qui est celle du désespoir, consiste à y succomber'.

1Explic. des Max. des Saints, p. 73. — 2 Ibid., p. 86, 90. — 3 P. 90. — ↳ P. 87. — Ibid. — 6 P. 88, 90.7 P. 90.- 8 P. 91.

- 9 P. 92.

CHAPITRE VIII.

Réflexions sur les propositions précédentes.

Au reste l'acquiescement simple à sa juste condamnation de la part de Dieu, n'est rien de moins ici que l'acquiescement simple à sa damnation éternelle, que l'ame qu'on introduit croit mériter par ses crimes, sans y voir aucune ressource.

C'est en vain que l'auteur répond1 que cet acquiescement n'est autre chose à cette ame, qu'une sincère reconnoissance qu'elle mérite d'être damnée : car sans parler encore des autres raisons, on n'a pas besoin d'un avis particulier de son directeur pour reconnoître qu'on mérite d'être damné : c'est un acte de tous les momens, qui ne présuppose que la persuasion qu'on est en péché mortel, où le directeur n'intervient pas. Cette humble reconnoissance n'est pas aussi un acte qu'on laisse faire seulement : c'est un acte que l'on conseille positivement, pourvu qu'il soit accompagné de la confiance qui fait demander pardon. Mais alors «loin d'acquiescer à sa perte, ce qui est d'un désespéré; loin de consentir à sa juste condamnation, l'on y oppose au contraire la miséricorde qui en empêche l'effet 2. »

Il est donc plus clair que le jour que l'acquiescement simple dont il s'agit en ce lieu, n'est autre chose qu'un consentement à sa damnation; c'est aussi ce qu'on appelle le sacrifice absolu, et quand après on avoue que dans cet acte consiste la délivrance de l'ame persécutée de la tentation du désespoir, on avoue une tentation, et encore une tentation aussi mortelle que celle du désespoir, à laquelle le vrai remède est d'y succomber.

Ces deux seules propositions renferment le venin de toutes les autres, et même de tout le système. On ne peut pas dire que les dix propositions sur lesquelles il roule, puissent être sauvées en disant qu'elles sont exagératives, puisqu'on a promis dans le livre toute la rigueur théologique. D'autre part, toutes précises qu'elles sont dans l'intention de l'auteur, elles passent ce qu'il y

1 Ve Lett, à M. de Meaux, p. 8. IIe Lett. en rép. de M. de Meaux, à quat. Lett. p. 21.-2 Rel. sur le Quiet., VIIe sect., n. 3.

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a de plus excessif dans les autorités qu'il veut mettre en comparaison avec elles. Ainsi loin de tempérer les sentimens des saints, comme l'auteur nous le promet, on va voir que ces propositions sont poussées beaucoup au delà de ce qu'il y a de plus outré dans les passages.

CHAPITRE IX.

Auteurs allégués en confirmation des propositions du nouveau systéme.

Notre dessein nous renferme dans les passages que l'on allègue pour justifier les excès du nouveau système sur les épreuves, et sur les suppositions impossibles. On les peut considérer, ou dans ceux qui les ont mises actuellement en pratique, ou dans ceux qui les considèrent par pure spéculation. Nous traiterons à part ces deux sortes d'autorités, et nous allons commencer par les premières, qui sont les plus fortes.

Jer auteur la bienheureuse Angèle de Foligny.

fer PASSAGE.

« Je criois, dans la douleur la plus amère : Seigneur, quoique je sois damnée, je ferai néanmoins pénitence 1. »

II PASSAGE.

«En me voyant damnée, je ne me soucie nullement de ma damnation, parce que je me soucie et m'afflige bien plus d'avoir offensé mon Créateur 2. »

III PASSAGE.

«Si je savois très-certainement que je serai damnée, je ne pourrois en aucune façon en être affligée; je n'en travaillerois ni n'en ferois pas moins oraison, ni n'en servirois pas moins Dieu; tant j'ai compris sa justice et la droiture de ses juge

mens 3. »

1 Princ. propos., p. 44.

-2 lbid. et 61. - 3 Ibid., p. 63.

Ive PASSAGE.

<< Priez la justice de Dieu que cette idole tombe et se brise, pour manifester ses œuvres diaboliques et ses mensonges, etc. Je prie le Fils de Dieu, que je n'ose nommer, que s'il ne me manifeste point par lui-même, il le fasse par la terre et qu'elle m'engloutisse, afin que je serve d'exemple1. »

ve PASSSAGE.

« Seigneur, si vous devez me précipiter dans l'abîme, ne tardez pas, mais faites-le soudainement et puisque vous m'avez abandonnée, achevez et jetez-moi dans cet abîme 2. »

RÉPONSE.

Il n'en faut pas davantage pour voir qu'elle parle avec transport, avec excès, avec exagération, et à la rigueur contre la règle qui défend d'attribuer aux ames saintes des sentimens impies. Elle parle donc avec une pleine sécurité, qu'il n'en étoit rien et qu'il n'en pouvoit rien être, et toujours en présupposant la condition impossible. Voilà une claire résolution par les principes posés 3.

Au reste il ne faut point ici de raisonnement. Car que l'on fasse pénitence (par le premier passage): que l'on continue l'oraison la plus parfaite et toujours à servir Dieu (par le troisième) : que l'on fasse un acte parfait de contrition, et que l'on veuille le faire et le continuer (par le second), en croyant avec cela être damnée, et sans voir très-certainement qu'il n'en peut rien être, ce seroit évidemment blasphémer : et attribuer de tels sentimens à une personne qu'on appelle bienheureuse, ce seroit non-seulement lui attribuer ce que la règle défend de penser des ames saintes, mais encore être soi-même visiblement dans l'erreur. Elle ne veut donc rien moins qu'être damnée, quelques paroles que le transport lui fasse dire; et tout ceci ne peut être que de ces excès, de ces amoureuses folies, que M. de Cambray reprend cent fois, sans

1 Princip. propos., p. 50, 51.

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