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RÉPONSE.

On ne voit dans ce passage, non plus que dans les passages précédens, nulle mention de perte absolue de l'intérêt propre, ni de juste condamnation méritée du côté de Dieu. Il s'agit du sincère acquiescement à la volonté divine, qui nous envoie cette peine sans nous en montrer la fin, si ce n'est, ajoute le saint, «‹ à la partie haute où la foi nous assure que le trouble finira. » Il s'agit donc d'une peine qui de sa nature doit finir, et non de la juste condamnation dont l'effet est interminable. Voilà comme on prouve ce qui est promis si précisément et si solennellement.

CHAPITRE XV.

Réflexion sur les derniers passages.

Non-seulemant on ne trouve rien, dans les passages de l'auteur, qui revienne à ce qu'il promet: mais on y trouve le contraire.

Le premier passage regarde la résignation: or nous avons démontré ailleurs que la résignation aussi bien que l'indifférence, à la porter au plus loin, se borne dans les privations des graces sensibles, sans jamais passer au delà, ainsi qu'il est accordé par les Articles d'Issy.

Par là s'explique le second passage qui n'est qu'une suite du précédent.

J'en dis autant du troisième, qui se trouve six lignes après dans la même page et dans la continuation du même sujet. Il est donc très-clairement démontré que les trois passages, qui devoient être précis, ont un sens tout opposé à l'auteur.

La réflexion qu'on doit faire ici, c'est que dans l'endroit le plus essentiel du nouveau système, où son auteur avoit besoin des passages les plus précis et les avoit promis tels, il n'a fait que se jouer de son lecteur : par où l'on peut juger des autres passages, non-seulement dans cette matière, mais encore dans toutes les autres.

1 Am. de Dieu. liv. IX, ch. III.

CHAPITRE XVI.

Suite des auteurs.

IVe auteur: Louis de Blois.

« Un homme, dit-il, dans les épreuves, abandonné à lui-même, croit qu'il ne lui reste aucune connoissance de Dieu : il croit avoir perdu tout son temps, et dans ses actions, quelque bonnes qu'elles soient, il croit offenser le céleste Epoux. Celui qui n'est pas abandonné (irresignatus dans le latin, qui n'est pas résigné, qui n'est pas soumis à souffrir ces peines), croit avoir tout perdu; et par là étant tombé dans une profonde tristesse et un horrible désespoir, il dit : C'est fait de moi, je suis perdu 1. »

Blosius ajoute « qu'on doit alors s'efforcer, afin que d'un esprit abandonné et libre on puisse dans l'intérieur être privé de Dieu même, de soi et de toutes les créatures, conservant une véritable paix. » Jusqu'ici sont les paroles citées de Louis de Blois, et l'on voit qu'il parle des épreuves comme un homme qui y a passé.

RÉPONSE.

Nous dirons bientôt ce que c'est que ces Je crois, d'imagination. Tout le reste n'est qu'exagération : c'en est une d'un grand excès que cet horrible désespoir : l'on appelle de ce nom la tentation qui nous y porte, et à laquelle on croit souvent avoir consenti, quoiqu'il n'en soit rien.

Cette perte intérieure de Dieu, avec ce total délaissement à soimême, est durant certains momens une privation de tout secours perçu et sensible, pendant laquelle la concupiscence déploie tout ce qu'elle a de malins désirs. Mais ces assurances de sa damnation sont accompagnées d'une sécurité, qu'il n'est rien de tout cela et n'en peut rien être, puisque toujours on continue à servir Dieu d'un esprit résigné et libre, animo resignato et libero. De sorte que ce sont là, comme dans la bienheureuse Angèle, et dans les

Princ. prop., p. 47, 59, 124. Blos., Inst. sp., app. I, p. 330, 331, 332. Princ. propos., p. 59. Ibid., p. 124.

autres, de pieux excès et de ces sages folies du saint amour, semblables à celle de la Croix où Jésus-Christ a signalé son amour par des excès au-dessus de toute raison, quand il a dit: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé? A Dieu ne plaise que son ame sainte ait pu perdre sa sécurité dans cet effroyable délaissement. En cela il est imité par ses serviteurs, à leur manière et selon la mesure qui leur est donnée, dans les épreuves les plus violentes.

Nous avons vu néamoins que l'auteur du nouveau système refuse de convenir de cette sécurité 1; mais c'est disputer contre les saints et contre une tradition constante que de la nier : et ce qui la montre dans l'homme peiné de Blosius, c'est que cet homme exercé par une épreuve si rude est en paix 2, comme le rapporte l'auteur. J'ajoute que Blosius lui fait embrasser sa peine en ces termes : « Je vous salue, ô amertume très-amère, pleine de toutes graces » Salve amaritudo amarissima, omni gratià plena: sa sécurité est si grande au milieu de sa damnation prétendue, qu'il y voit les graces jusqu'à l'abondance.

Ce sont donc là de pieux excès, de pieuses exagérations pour exprimer une peine extrême. Mais quelque fortes qu'elles soient, elles sont beaucoup au-dessous de ce que dit de sang-froid l'auteur du nouveau système, puisqu'il y ajoute avec la réflexion, dont Louis de Blois ne parle pas, «l'acquiescement simple à sa juste condamnation de la part de Dieu, l'incapacité de raisonner » en aucune sorte et par conséquent l'inutilité de parler à cette ame désespérée, ni des dogmes de la foi, ni de la raison : choses si éloignées de Louis de Blois, qu'on n'y en voit pas le moindre vestige.

Il se faut bien garder de prendre pour acquiescement cet abandon, ou pour mieux parler cette résignation, animus resignatus, dont parle ce pieux abbé : c'est autre chose d'être résigné à porter sa peine, autre chose d'acquiescer à sa juste condamnation, qui comprend sa perte totale et irrémédiable.

Je reçois donc aisément ce que dit Blosius, mais non pas ce qu'y ajoute le nouvel auteur: et c'est en vain qu'il rapporte les grandes 1 IIe Lett. en rép. à celle de M. de Meaux, p. 23. - 2 Princ. prop., p. 59.

approbations qu'a méritées un docteur qui est différent de lui par des caractères si marqués.

CHAPITRE XVII.

Régle pour entendre le croire des ames peinées.

Avant que de passer outre, pour entendre comment on a dit tant de fois dans les passages précédens qu'on croyoit être damné, il faut distinguer trois sortes de croire. Il y a premièrement le croire de la partie raisonnable et supérieure, soit par opinion, soit par démonstration et par science, soit par la foi.

Le croire de la science et de la démonstration, s'appelle conviction et jugement fixe; ce que saint Paul attribue aussi à la foi, qu'il a nommée une conviction des choses qu'on ne voit pas1: et ailleurs aussi jugement, conformément à cette parole: Je n'ai pas jugé que je susse autre chose parmi vous, si ce n'est JésusChrist".

Il y a en second lieu le croire des songes, que l'on exprime aussi quelquefois par voir: Je croyois voir, je voyois. Vous voyiez, & Roi! disoit Joseph à Pharaon, et Daniel à Nabuchodonosor. C'est un croire d'imagination, auquel aussi se peut rapporter le croire de ceux dont l'imagination est blessée : il croit être prince, il croit être ange: on ne dit pas qu'il le juge, ni qu'il en est convaincu, mais seulement qu'il le croit.

Enfin le troisième croire est celui des ames peinées, qui croient consentir aux tentations, qui se voient perdues même sans ressource, et ne croient pas se pouvoir jamais arracher cette impression funeste.

Ce dernier croire de sa damnation tient quelque chose du précédent; mais il suppose dans les ames saintes cette pleine sécurité qu'il n'en est rien, ainsi qu'elle est expliquée ci-dessus, dans les principes.

Quand l'auteur du nouveau système croit sauver ses persuasions et convictions invincibles de sa juste réprobation par ces croire d'imagination qu'on vient d'entendre, il abuse visiblement 1 Hebr., XI, 1. — I Cor., II, 2. 3 Chap. IV.

son lecteur. Car son croire, quoi qu'il puisse dire, n'est plus un croire d'imagination, non-seulement par le caractère de réflexion et de conviction qu'il y ajoute; mais encore à cause qu'il le réalise par ces trois effets positifs, par l'acquiescement simple, par l'avis du directeur, par le sacrifice absolu; ce qu'on ne trouve dans aucun des saints. Ils n'ont jamais supposé que les ames saintes, qui sont dans les peines, fussent incapables de tout raisonnement, contre la parole expresse de saint Paul : Que votre service soit raisonnable: ni par conséquent qu'il ne soit plus question de leur proposer, ni la raison, ni le dogme de la foi. Toute la pratique des saints, et notamment celle de saint François de Sales, est directement contraire à celle-là. Nous avons démontré ailleurs, selon les maximes de ce saint, qu'en quelques peines que soient plongées les ames, on leur doit toujours proposer la bonté de Dieu, qui ne leur manquera jamais; et l'auteur du nouveau système l'a supposé avec nous dans les Articles d'Issy3. Ces vérités établies, continuons à examiner les auteurs qu'on nous objecte.

CHAPITRE XVIII.

Suite des auteurs.

Ve auteur le bienheureux Jean de la Croix.

En pesant toutes les paroles d'un auteur si profond et si solide, on remarquera aisément ce qu'y ajoute le nouveau système.

Ier PASSAGE.

<< L'ame voit plus clair que le jour qu'elle est pleine de maux et de péchés, car Dieu le lui fait entendre *. »

RÉPONSE.

Elle voit tous les péchés dans la concupiscence qui en est la

2 Trois. Ecrit, n. 14. Entr. v, liv. III, Ep. 26, en d'aut

1 Rom., XII, 1. édit. 29. 3 Art. XXXI. reux Jean de la Croix.

Princ. prop., p. 48. Prologue des œuvres du bienheu

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