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on peut perdre, durant un temps, le sentiment du bien qu'on a, mais non pas avec le bien même ou le don de Dieu, le désir et la confiance de l'avoir au fond: ce qui rend entièrement inutiles tous les passages de comparaison qu'on fait tant valoir.

CHAPITRE XXI.

Autres propositions du nouveau système, sur le désir de plaire à Dieu.

Outre les dix propositions du nouveau système que nous avons rapportées, en voici deux étonnantes : «On aimeroit autant Dieu, quand même par supposition impossible il devroit ignorer qu'on l'aime'. » Sans doute on ne plaira pas à celui qui ne connoît rien, et ne sait pas même si on l'aime, puisqu'on ne lui plaît qu'en l'aimant d'où il s'ensuivra selon les principes de cet auteur, que le désir de l'aimer sera séparé du désir de lui plaire.

La démonstration en est claire, si l'on joint à la proposition qu'on vient d'entendre, celle où il est dit que par ces suppositions impossibles on prouve la séparation, non des choses, mais des motifs, parce que « les choses qui ne peuvent être séparées du côté de l'objet, le peuvent être du côté des motifs. » Si donc on peut aimer Dieu sans désirer de lui plaire, le motif de plaire à Dieu peut être séparé du motif de l'amour qu'on a pour lui: pensée qui n'entra jamais dans l'esprit humain.

C'est aussi à quoi aboutissent les désirs de ceux qui voudroient cacher à Dieu ce qu'ils font pour son service, afin de l'aimer sans aucune vue de la récompense; ce qui emporte en même temps qu'on le veut aimer sans aucun désir de lui plaire, puisqu'on voudroit le pouvoir aimer sans qu'il le sùt.

Mais cela étant, que deviendront tant de passages de l'Ecriture et des saints, où toute la piété est réduite au désir et au bonheur de plaire à Dieu? Hénoch plaît à Dieu, et par là devient son ami: Placens Deo factus est dilectus3. David ne demande qu'à lui plaire dans la région des vivans. Le caractère de tous les saints est d'être ceux qui lui plaisent: Le Saint des saints met sa gloire à faire toujours ce qui plaît à son Père: et on croiroit 1 Max., p. 10, 11.- - Max., p. 28. Sap., IV, 10.

TOM. XX.

3

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Joan., VIII, 29.
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pouvoir séparer du parfait amour de Dieu la volonté de lui plaire? Saint Paul met l'essentiel de la religion à connoitre Dieu, ou plutôt à être connu de lui1: on ne peut donc pas désirer sérieusement de n'en être pas connu : tout ce qu'on trouve au contraire ne reçoit d'excuse que par ces sortes d'excès dont nous avons tant parlé; et les porter jusqu'à ôter au parfait amour le motif de plaire à Dieu, ne peut être qu'un mépris formel de sa parole.

CHAPITRE XXII.

Autre proposition sur l'indifférence à être heureux et malheureux.

« On aimeroit autant Dieu, quand même par supposition impossible il voudroit rendre éternellement malheureux ceux qui l'auroient aimé : » c'est dans le lieu déjà allégué une autre proposition sur laquelle je fais quatre brièves remarques.

Ire REMARQUE.

Par cette supposition, l'auteur introduit l'indifférence à être heureux ou malheureux, d'où suit dans la créature une entière indépendance de tous les jugemens de Dieu, qui ne peut faire ni bien ni mal à ceux que ni le bonheur ni le malheur, ni l'être même ou le non-être, n'intéressent en aucune sorte, puisqu'ils mettent la perfection à s'élever au-dessus de tout intérêt : comme il est clair de soi par les termes mêmes, et qu'il a été démontré ailleurs3.

Que répondre ? Car ces prétendus parfaits sont en effet au-dessus du bonheur, et du malheur même éternel: ce sont des dieux indépendans de Dieu même; ou sans y être, ils s'y mettent en paroles seulement, et par un vain effort de leur esprit ils ajoutent l'enflure à l'erreur.

II REMARQUE.

Aussi cette indifférence à être heureux ou malheureux est inouïe parmi les hommes: on a bien vu des passages sur les sup

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2 Max., p. 11. 3 Ve Ecrit de M. de Meaux, n. 15. Rép. à

positions impossibles; mais on n'a vu dans aucun auteur qu'on aimât Dieu toujours autant quand il voudroit rendre malheureux ceux qui l'auroient aimé, cette supposition étant directement contraire à la bonté infinie de Dieu et à la nature de l'amour.

III REMARQUE.

Saint Chrysostome dit bien que saint Paul se dévouoit aux feux éternels, si Dieu le vouloit, pour sauver les Juifs mais il n'a garde de supposer qu'il fût malheureux, puisqu'il auroit eu ce qu'il vouloit, et que par la définition du bonheur, on est heureux lorsqu'on a ce que l'on veut, et que l'on ne veut rien de mal: Beatus qui et habet quod vult, et nihil vult malè comme dit saint Augustin1. Conformément à cette doctrine, sainte Catherine de Gênes parloit ainsi : « L'amour pur non-seulement ne peut endurer, mais ne peut pas même comprendre quelle chose c'est que peine ou tourment, tant de l'enfer qui est déjà fait, que de tous ceux que Dieu pourroit faire et encore qu'il fût possible de sentir toutes les peines des démons et de toutes les ames damnées, je ne pourrois jamais croire que ce fussent peines, tant le pur amour y feroit trouver de bonheur 2. »

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IV REMARQUE.

Il est étonnant que l'auteur rejette si loin l'indifférence du salut, puisqu'il admet celle de la béatitude éternelle, qui comprend en soi tous les biens et le salut même. Voilà donc dans ces deux chapitres deux nouvelles propositions des plus condamnables du système, quoique l'auteur ne les compte point parmi celles qu'il entreprend de justifier.

CHAPITRE XXIII.

Notes de M. de Cambray sur les propositions.

M. de Cambray donne d'abord une belle idée de son livre par ces paroles: «En justifiant ainsi, dit-il, chaque proposition par

1 Rép. à quatre Lett., n. 15. Aug., de Trin., lib. XIII, n. 8. 2 Vie, ch. XXIII, Etats d'Or.., liv. IX, n. 3.

une simple comparaison de mes paroles avec celles des Saints, je ne dois pas être accusé d'éblouir le lecteur par de vaines subtilités1. » Cela seroit vrai en partie, s'il n'omettoit pas plusieurs propositions des plus condamnables ou qu'il n'eût point attaché à celles qu'il rapporte, une note qui les affoiblit et qui les déguise; c'est ce qui nous reste à considérer en peu de mots.

Le discours seroit infini, si nous avions à examiner, parole à parole, les subtiles interprétations que donne l'auteur à l'intérêt propre éternel, à l'intérêt propre pour l'éternité, à la persuasion réfléchie, et aux autres expressions singulières et d'un sens du moins équivoque, qui composent le nouveau système. Selon le projet du livre que nous examinons, il ne s'agit pas de savoir, si en corrigeant les propositions que nous reprenons dans les Maximes des Saints, on les fera venir bon gré ou malgré aux passages des pieux docteurs dont on s'autorise : il faut voir si ces saints auteurs ayant des paroles propres et mème usitées, en ont cherché d'ambiguës, d'extraordinaires et qui sonnent si mal d'abord, qu'on n'y peut trouver assez de correctifs. Par exemple, que dirons-nous du personnage qu'on fait faire à un directeur dans les Maximes des Saints? On n'en vit jamais de semblable à celui-ci, qui persuadé que dans les épreuves, les hommes incapables de tout raisonnement ne seront point soulagés, ni par les bonnes raisons ni par le dogme de la foi, ne trouve point d'autre parti dans la direction, que celui de laisser faire à ces malheureux un sacrifice absolu par un acquiescement simple à leur juste condamnation. Si l'on trouve un tel directeur dans les livres spirituels, qu'on nous le montre; et s'il n'y en eut jamais, pourquoi en faisant semblant de tempérer les expressions excessives des auteurs pieux, en emploie-t-on de plus excessives, auxquelles ils n'ont jamais pensé ?

Mais, dira-t-on, j'apporte mes explications. Premièrement, vos explications ne se trouvent non plus dans vos auteurs que votre texte; mais après tout, ce n'étoit pas là ce que vous aviez promis. Vous ne vouliez que comparer vos propositions avec les passages. A entendre votre projet, nous croyons trouver dans ces 1 Princ. prop., p. 3.

passages toutes vos propositions, et nous n'y trouvons que des tours d'esprit, et pas un mot approchant.

CHAPITRE XXIV.

Les notes sur la xue et la xive proposition et leur absurdité manifeste.

Vous avez recours à vos notes sur la xi proposition qui regarde le sacrifice absolu. «Cette proposition a deux parties : l'une, qu'on fait le sacrifice absolu de son intérêt propre; l'autre, qu'on est dans une impression de désespoir où l'on dit comme JésusChrist Mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé 1?» Pour la première partie, vous la tranchez en un mot comme étant sans difficulté. Pour la seconde, voici, dites-vous, les expressions des saints. Vous ne les employez donc que pour celle-là; la première passe toute seule à la faveur de vos notes, sans que vous osiez la soutenir d'aucune autorité.

Mais voyons encore quelles sont les notes qui vous affranchissent de la preuve que vous nous devez par des passages des saints plus forts que les vôtres. C'est, dites-vous, que le sacrifice absolu de l'intérêt propre ne regarde pas le salut: on sacrifie seulement la propriété ou la mercenarité: et vous ajoutez, c'est aussi ce qu'on avoit à sacrifier, en passant de l'état des justes imparfaits à celui des parfaits. Tel est le dernier effort de votre théologie dans vos notes. Voilà deux choses précises: Il ne s'agit pas du salut, c'est la première; elle est étonnante; consultons l'exemple que vous alléguez du sacrifice absolu, de l'acquiescement simple vous le remarquez dans ces paroles de saint François de Sales, lorsqu'il dit que, «puisqu'il sera privé dans l'autre vie de voir et d'aimer Dieu, il vouloit l'aimer du moins pendant qu'il seroit sur la terre. » Le voilà ce sacrifice que vous prétendez absolu; le voilà cet acquiescement que vous voulez être simple. Pour l'expliquer, il faut donc dire selon vos principes, que ces expressions de voir Dieu ou ne le voir pas, d'aimer ou de n'aimer pas dans l'éternité, ne regardent pas le salut. C'est déjà une absurdité inouïe mais celle-ci est bien plus visible: car 1 Princ. prop., p. 54. 2 Ibid., p. 45.

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