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enfin qu'a voulu sacrifier le Saint, si ce n'est pas le salut? Il est aisé, répondent vos notes: ce sont les restes de propriété et de mercenarité1. J'entends les paroles dévoilons-en le mystère : les restes de propriété, de mercenarité, d'intérêt propre, sont dans tous vos livres les restes de l'amour naturel de soi-même, dont on se dépouille; et c'est là qu'on fait ce grand sacrifice du soin inquiet et de l'amour naturel de soi-même. Mais si c'est là ce grand sacrifice qu'a offert saint François de Sales, en disant que s'il étoit privé de l'amour de Dieu dans l'éternité, il le pratiqueroit du moins de tout son cœur dans ce temps il faut qu'il ait voulu dire: Mon Dieu, puisque dans l'éternité je ne vous aimerai plus avec un soin naturel et inquiet, ni avec un amour naturel de moi-même, je vous aimerai du moins avec ce soin inquiet et cet amour naturel dans tout le cours de ma vie.

Que si l'on veut séparer le soin inquiet d'avec l'amour naturel des consolations, on n'évite pas l'inconvénient, puisque toujours le Saint aura voulu dire que puisque dans la vie future il devoit être privé de consolation et d'appui sensible, il vouloit du moins les goûter dans celle-ci, qui est précisément le contraire de l'état où l'on prétend qu'il entroit, et où toutes les consolations sensibles devoient se perdre.

Il en faut donc revenir à nos principes: le sacrifice du Saint, où il s'agissoit de voir Dieu ou ne le voir pas, d'aimer ou de n'aimer pas dans l'éternité, ne pouvoit regarder autre chose que la perte du salut: mais sous condition impossible; mais avec la sécurité qui demeuroit dans le cœur accompagnée des saints transports, des pieux excès d'un amour sans bornes.

Loin donc d'avoir rien prouvé par tant de passages, vous n'avez pas même touché la difficulté. Je n'ai pas besoin de vos notes: celles-ci me désabusent de toutes les autres; l'intérêt propre n'est plus l'amour naturel : c'est le vrai désir de voir Dieu dans l'éternité; et c'est celui-là que vous faites sacrifier par un sacrifice absolu à saint François de Sales, à la bienheureuse Angèle, aux autres que vous citez. La réflexion qui vous fait nommer réfléchie, la persuasion invincible de sa juste réprobation, n'est pas 1 Princ. prop., 54. - 2 IIo Lett. en rép. à M. de Meaux, p. 21.

une réflexion qui donne simplement occasion à cette même persuasion, mais qui l'approuve si bien qu'on en vient à sacrifier son salut par un acquiescement simple avec le consentement trèsvéritable et très-réfléchi d'un directeur.

Quand vous vous sauvez en disant et en répétant dans vos notes, qu'apparent et imaginaire, ou de la seule partie inférieure sont synonymes dans votre langage', je ne vous puis croire, puisque ces persuasions, que vous nommez apparentes, ont des effets si réels dans le sacrifice absolu et dans l'acquiescement simple. Aussi n'ignoriez-vous pas que Molinos n'eût pris autrement l'apparent. Les crimes qu'il autorisoit sous ces mots n'étoient que trop intimes et trop réels: et pour vous éloigner autant de lui qu'il le méritoit, il falloit choisir d'autres termes que ceux qui vous sont communs avec ce faux spirituel.

Je n'ai non plus besoin de répéter le reste du nouveau système : tout aboutit à ce sacrifice, à cet acquiescement comme à l'acte le plus parfait de la piété : ces désirs généraux pour toutes les volontés de Dieu, et même les plus cachées, préparent la voie à cet acquiescement; l'espérance n'est plus un motif, dès qu'il en faut venir jusqu'à la sacrifier: c'est là, comme je l'ai dit 3, et je ne crains point de le répéter encore une fois : c'est là, dis-je, le point décisif et la source de l'erreur, puisque c'est par là qu'on est mené pas à pas « à cet acte barbare et désespéré, de sacrifier par un sacrifice absolu son bonheur même éternel, et d'acquiescer à sa perte malgré la nature et malgré la grace: » c'est aussi ce qui conduit insensiblement par l'indifférence du salut au dégoût du Sauveur; et sur cela j'ai encore à examiner une dernière proposition qui appartient aux épreuves.

CHAPITRE XXV.

Dernière proposition touchant la privation de Jésus-Christ dans les épreuves. « Les ames contemplatives sont privées de la vue distincte, sensible et réfléchie de Jésus-Christ en deux temps différens: mais elles ne sont jamais privées POUR TOUJOURS en cette vie de la 1 Princ. prop., p. 57. — 2 Max., p. 61. 3 Rép. à quatre Lett., n. 19.

vue simple et distincte de Jésus-Christ'. » C'est une des propositions du nouveau système, où il faut d'abord remarquer ces mots: Privées pour toujours; et ceux-ci : Vue simple et distincte de Jésus-Christ; ce qui emporte qu'on pourroit être privé de cette vue simple et distincte, à condition que ce ne fût pas pour toujours en cette vie.

L'auteur passe de là à marquer deux temps pour cette privation, dont le premier est la ferveur de la contemplation naissante: ce temps ne me regarde pas; mais le second temps est de mon sujet, puisqu'il appartient aux épreuves. «Secondement donc une ame PERD DE VUE Jésus-Christ dans les dernières épreuves 2:» remarquez ces mots : perd de vue; et un peu après : « L'ame ne perd pas plus de vue Jésus-Christ que Dieu. Mais toutes ces pertes ne sont qu'apparentes et passagères, après quoi Jésus-Christ n'est pas moins rendu à l'ame que Dieu même. » Il n'y a nulle vérité dans ce discours. Ces pertes sont plus qu'apparentes, puisque ce retour de Jésus-Christ qui sera rendu, n'empêche pas la réalité de la privation, tant que dure ce temps d'épreuves. D'où l'auteur conclut que, « hors ces cas, l'ame la plus élevée peut dans l'actuelle contemplation être occupée de Jésus-Christ présent par la fois par conséquent dans ces deux cas, et en particulier au cas des épreuves, l'ame n'en peut être occupée : on ne peut dire avec saint Paul Je vis en la foi du Fils de Dieu, qui m'a aimé et s'est donné pour moi: car c'est encore en être occupé : c'est en être occupé, que d'invoquer Dieu expressément et distinctement par Jésus-Christ, qui est alors présent par la foi : et encore qu'on puisse dire avec lui: Pourquoi me délaissez-vous? ce doit être sans aucune vue distincte et particulière. Sur cette proposition, qui est la xxx du livre que nous réfutons, la note dit « qu'on n'est pas privé pour toujours de la vue simple et distincte de Jésus-Christ: » mais elle ne répond rien à cette induction. naturelle, qu'on peut donc en être privé très-longtemps, pourvu que ce ne soit pas pour toujours.

:

L'excuse que donne l'auteur à cette privation de Jésus-Christ - Gal., 11, 20.- 5 Princ.

1 Max., p. 194. - Ibid., p. 195. - Ibid., p. 196. 3 prop., p. 121-123.

dans les épreuves, c'est qu'elles sont courtes. Il oublie le docte et pieux cardinal Bona dans le livre et dans le chapitre qu'il en a cité, où il dit que « sainte Thérèse a été dans ces épreuves affreuses dix-huit ans; saint François, deux ans ; sainte Claire de Montfalco, quinze ans; sainte Catherine de Boulogne, cinq; sainte Marie Egyptienne, dix-sept; sainte Marie-Madeleine de Pazzi, cinq ans, et seize ans encore dans ces extrêmes délaissemens; Henri Suzo, dix; Balthasar Alvarez, seize; et Thomas de Jésus, vingt 1. >>

Enfin on fera durer cette privation aussi longtemps qu'on voudra, puisque la condition est seulement qu'on n'y soit pas pour toujours en cette vie : et durant tout ce temps, selon la note, nonseulement on sera privé de la vue sensible et réfléchie de JésusChrist, ce qui ne laisseroit pas d'être pernicieux et insoutenable, mais encore de la vue distincte du même Jésus-Christ présent par la foi. On n'aura qu'une vue confuse et très-générale de JésusChrist en Dieu; et sous prétexte que l'ame croit alors avoir tout perdu pour toujours, car c'est la supposition, elle ne le verra plus que confusément. Dans quel endroit de l'Evangile trouvera-t-on cette nouvelle doctrine?

CHAPITRE XXVI.

Quatre auteurs cités pour le cas des dernières épreuves.

Jer auteur saint Augustin.

« On voit par là combien il est vrai que nulle chose ne doit nous arrêter, puisque le Seigneur même, en tant qu'il est la voie, a voulu non pas nous arrêter, mais que nous passassions au delà, de peur que nous ne nous attachassions avec imperfection aux choses temporelles qu'il a faites pour notre salut, afin que nous méritions de parvenir à lui-même qui a délivré notre nature des choses temporelles, et qui l'a élevée à la droite du Père 3. »

1 Inst. past., p. 33. Errata sur cette page. Via comp., cap. 10. - 2 Princ. propos., Note de la page 122. 3 Princ. prop., p. 124. S. Aug., lib. I de Doct. christ.,

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. 38.

RÉPONSE.

Je prends à témoin les yeux du lecteur, s'il y a là un seul mot des dernières épreuves, ni de la privation de Jésus-Christ dans quelque temps que ce soit, ni d'autre chose que d'être introduit, mais toujours et en tout état par Jésus-Christ comme voie à luimême, comme vérité et comme vie. Cite-t-on de si longs passages, qui n'approchent pas seulement de la question, si ce n'est quand on veut manifestement éblouir le monde?

Ile auteur: Blosius. IIIe auteur : le bienheureux Jean de la Croix.

RÉPONSE.

Pour abréger, on n'a qu'à jeter les yeux un moment sur ces passages expliqués ailleurs, pour voir qu'ils ne font rien à la question, et ne contiennent pas un seul mot de Jésus-Christ.

IVe auteur: saint François de Sales.

<< Prenez courage: car s'il vous a dénué des consolations et sentimens de sa présence, c'est afin que sa présence ne tienne plus à votre cœur. »

RÉPONSE.

Etre dénué des consolations et sentimens de présence, est bien éloigné de perdre Jésus-Christ présent par la foi, de ne le voir plus que confusément et sans vue simple et distincte ; et cela pour autant de temps qu'on voudra, pourvu seulement que ce ne soit pas pour toujours en cette vie.

En un mot nous avons fait voir dans les auteurs, que le temps d'épreuve n'ôte pas la sécurité qu'on ne trouve qu'en Jésus-Christ, comme perpétuel Médiateur et Pontife toujours vivant afin d'intercéder pour nous.

1 Ci-dessus, ch. XVI, XVIII; IIIe pass. - 2 Princ. prop., p. 125.

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