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RÉFLEXIONS

OU DERNIER ÉCLAIRCISSEMENT

SUR LA

RÉPONSE DE M. L'ARCHEVÊQUE DE CAMBRAY

AUX REMARQUES DE M. DE MEAUX.

(INÉDIT.)

Tout le monde demeure d'accord que la réponse de M. de Cambray à mes remarques n'a presque rien de nouveau que la violence de ses expressions, qui se réfute par son propre excès: en sorte que jamais livre ne mérita moins de réplique que celui-ci. Car encore que l'auteur déclare dès les premiers mots qu'il me veut rendre plus inexcusable que jamais 1, loin d'alléguer contre moi de nouveaux faits qui aggravent les fautes dont il m'accuse, il fait plutôt, comme on le va voir, un pas en arrière, et relâche de la rigueur de l'accusation. Il ne fait cependant qu'enflammer et aigrir, et il semble vouloir regagner par la véhémence de ses expressions ce que la raison lui fait perdre. C'est ce que ses amis appellent une éloquence tonnante, et le dernier effort de l'esprit humain. Pour moi, j'en ai en effet avoué sans peine dans mes Remarques, qu'il « faisoit de prodigieux efforts et les plus grands peut-être qu'on eùt jamais vus; » mais en même temps malheu reux, puisqu'il vaudroit bien mieux avoir une cause qui ne demandat point de ces violences. Il les redoute cependant: mais pourquoi? J'ai honte de le dire: c'est pour défendre plus que jamais madame Guyon, pour s'emporter contre moi avec d'autant plus de hauteur que je donne de plus solides et de plus sincères éclair1 Rép. aux Rem., p. 1. - Rem, avant-propos, sur la fin.

cissemens, et pour déguiser l'état de la question. Voilà trois choses qu'il faut faire voir, avant que de finir cette dispute. Si M. de Cambray persiste à dire que c'est une loi qu'il doit parler le dernier, où l'a-t-il prise? Il ne dira pas du moins que je veux allonger l'affaire, en écrivant après lui. Il voit qu'indépendamment de tous nos écrits on procède au jugement: il est peut-être déjà résolu, peut-être déjà prononcé; et sans vouloir prévenir cette décision, on verra bientôt, si je ne me trompe, que M. l'archevêque de Cambray n'en augure rien de bon. Quoi qu'il en soit, dans un dernier livre qui a suivi sa réponse à mes Remarques1, il commence à prévenir ses lecteurs sur ce qu'on doit croire, s'il est censuré, de moi et de la doctrine que je lui oppose. Etrange précaution, je l'avoue; et peut-être qu'on ne la croira, tant elle est extraordinaire, qu'après avoir vu ses paroles que je ne tarderai pas à rapporter. Mais enfin elle m'oblige à pourvoir non pas à moi qui ai sacrifié tous mes intérêts à la vérité dès le commencement de cette dispute, mais à l'Eglise, et à dissiper les impressions qu'il prétend qui doivent rester par ses livres après sa

censure.

ARTICLE I.

Que tout l'effort de M. de Cambray tend à justifier madame Guyon.

Je commence mes réflexions par cet endroit capital: M. de Cambray ne travaille que pour madame Guyon : c'est là le vrai dénoùment de son livre des Maximes des saints, et des autres qui ont suivi; c'est le désir de l'excuser et de la défendre qui lui a fait inventer la distinction du vrai sens d'un livre d'avec l'intention de son auteur. On lui a demandé ses auteurs sur cette distinction sans en avoir nommé un seul et sans en pouvoir apporter un seul exemple dans toute l'histoire de l'Eglise, il persiste dans cette doctrine inouïe. Il n'en faut pas davantage pour la condamner. Mais pour un plus grand éclaircissement, j'ajoute à toutes les choses que j'ai proposées sur cette matière cette dernière réflexion.

2

:

1 Rép. de M de Cambray à l'écrit de M. de Meaux, intitulé : Quæstiuncula.— Rép. aux Quæst., p. 54.

TOM. XX.

28

Depuis que M. l'archevêque de Cambray excuse madame Guyon contre le sens de son livre par un autre sens qu'elle avoit dans son esprit, apparemment il a dû savoir quel étoit ce sens; il le doit savoir du moins à présent, qu'il fait les derniers efforts pour soutenir la bonne intention d'une femme dont tout le texte porte, comme il l'avoue, à l'impiété. Car je lui demande quand il dit que dans son esprit elle donne à son livre un bon sens qu'elle exprimoit mal, et qu'en effet elle a blasphémé contre sa pensée, ou c'est un bon sens indéterminé que lui-même n'a pas en vue, ou c'est un sens fixe qu'il a eu dans l'esprit en écrivant. Dire le premier ce seroit dire : Je ne sais pas ce qu'a voulu dire madame Guyon, mais je sais qu'elle n'a pu se tromper en elle-même, ou du moins qu'elle ne s'est point trompée, c'est-à-dire en autres termes: A quelque prix que ce soit je veux la défendre, sans savoir si elle a raison ni ce qu'elle a voulu dire. Est-ce ainsi que veut répondre M. de Cambray? Ne lui imputons pas cette absurdité : il l'a démentie par ces paroles du Mémoire que j'ai imprimé : « Je lui ai fait, dit-il, expliquer souvent ce qu'elle pensoit sur les matières qu'on agite; je l'ai obligée à m'expliquer la valeur de chacun des termes de ce langage mystique dont elle se servoit dans ses écrits. J'ai vu clairement en toutes occasions qu'elle les entendoit dans un sens très - innocent et très-catholique. » Il ajoute: « Je dois selon la justice juger du sens de ses écrits par ses sentimens que je sais à fond, et non pas de ses sentimens par le sens rigoureux qu'on donne à ses expressions, et auquel elle n'a jamais pensé 1. » Il a donc ce bon sens, ce sens catholique dans l'esprit; et une femme qui a eu pour lui toute l'ouverture qu'il marque, ou l'auroit dit à un tel ami, ou elle-même elle l'ignoroit.

Poussons encore : Il est vrai que M. de Cambray insinue dans sa réponse à ma Relation que « la bonne opinion qu'il avoit de cette personne ignorante, lui faisoit excuser ses intentions dans les expressions les plus défectueuses. » Ce qui semble marquer indéfiniment une prévention favorable sans voir encore aucun sens déterminé. Mais il n'en est pas demeuré là, puisqu'après 1 Mém. de M. de Cambray, Relat., p. 62, 63. — 2 Rép., p. 21.

avoir observé que « par rapport au public, il laissoit l'examen rigoureux des deux livres de cette femme ( de son Moyen court et de ses Cantiques), à son évêque, il ajoute incontinent ces termes précis : « N'étant que prêtre, je croyois assez faire en tâchant de connoître à fond ses vrais sentimens je crus les connoître. » Il avoit donc dans l'esprit le sens fixe et déterminé qu'il vouloit donner à ses livres selon l'intention de l'auteur, pour s'empêcher de les condamner: que ne l'a-t-il dit depuis tant de temps qu'il en parle ? Il savoit ce sens, quand il a écrit le Mémoire; il le savoit, quand il a écrit sa Réponse à la Relation; il ne l'avoit pas oublié, quand il a écrit la Réponse aux Remarques. Pourquoi en faire un mystère, et défendre toujours un auteur sur la bonne intention d'un sens qu'on ne veut jamais expliquer ?

Naturellement on doit penser que le bon sens qu'il prétend donner aux livres de madame Guyon, est une illusion. Car s'il l'avoit dans l'esprit, il le diroit. Or est-il qu'il ne le dit pas, depuis tant de temps qu'il se vante de l'avoir; il ne l'a donc pas; il amuse son lecteur. Peut-être aussi que l'on pourroit rendre une autre raison de son silence. C'est que s'il nous expliquoit le bon sens qu'il donne à de mauvais livres, on verroit qu'insensiblement il referoit son propre ouvrage, et les Maximes des Saints. Il paroitroit par conséquent qu'il n'a fait ce livre que pour excuser madame Guyon, et que c'en est, comme nous l'avons toujours soutenu, la fine et secrète apologie.

C'est aussi le vrai secret de cette parole de son Avertissement à la tête de ses Maximes des Saints: « Les mystiques, s'ils veulent m'écouter sans prévention, verront bien que je les entends, et que je prends leurs expressions dans la juste étendue de leur sens véritable. Je leur laisse même à juger, si je n'explique pas leurs maximes avec plus d'exactitude que la plupart d'entre eux n'ont pu jusqu'ici les expliquer 2. » Voilà sans doute madame Guyon, dont ce prélat a écrit «qu'il savoit mieux ce qu'elle vouloit dire que ses livres ne l'ont expliqué 3. » Sous ce nom général de mystiques, il cache principalement la première des mystiques

1 Rép,, p. 21.-2 Max. des Saints, Avert., p. 28, 29. 3 Mém. de M. de Cambray, Relat., p. 79.

selon lui: celle à qui il a fait expliquer toute la valeur des termes mystiques dans ses écrits; celle dont il a su le sens véritable et qu'il se vante, comme on vient de voir, de mieux entendre qu'elle ne s'explique.

S'il donne à cette mystique le nom d'ignorante, ce n'est pas pour la dégrader, mais au contraire pour la relever en disant dans sa Réponse à la Relation : « Je la crus fort expérimentée et éclairée sur les voies intérieures ; quoiqu'elle fût fort ignorante, je crus apprendre plus sur la pratique de ces voies en examinant avec elle ses expériences, que je n'eusse pu faire en consultant des personnes plus savantes 1, » etc. J'ai donc eu raison de dire que selon M. de Cambray, elle étoit de ces ignorantes dans lesquelles les voies parfaites étoient pour ainsi dire si réalisées, qu'on les y voyoit comme en celles qui sont enseignées de Dieu par l'onction de son Saint-Esprit : c'est à une telle ignorante qu'il a prêté ses paroles, pour l'expliquer mieux qu'elle ne pouvoit s'expliquer elle-même.

3

En effet parcourons un peu les dogmes de cette ignorante, et voyons quel commentaire en aura fait M. de Cambray dans ses écrits. Il reconnoît et condamne dans les faux mystiques « l'acte simple et unique qui est permanent, qui n'a jamais besoin d'être réitéré et qui subsiste toujours par lui-même, à moins qu'il ne soit révoqué par un acte contraire 3. » Tel est l'acte d'abandon que Molinos, après Falconi et madame Guyon après eux, a reconnu dans les mêmes termes. On voit cet acte dans le Moyen court, puisqu'on y voit un acte toujours subsistant par lui-même, sans qu'on doive le réitérer. Il est appelé du nom de consentement passif, et il n'est actif qu'au commencement de la voie, où l'on se donne à Dieu à perpétuité; ce qui a aussi de soi-même un effet perpétuel. Cet acte est le fondement du quiétisme. La lettre de Falconi où il établit cet acte dont il paroît l'inventeur, est imprimée avec le Moyen court. C'est cette lettre que suit Molinos de point en point. Chacun le sait : madame Guyon marche sur ses pas. M. de Cambray qui condamne cette doctrine, quel bon sens peut

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