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plus mal, c'est que l'objection lui étant faite à l'égard de saint Irénée, il enchérit sur son erreur, selon sa coutume.

On lui objecte que ce saint martyr reconnoît manifestement que les peines des damnés sont éternelles, et il répond en ces termes : « Je l'avoue, et saint Justin leur donne aussi ce nom, conformément à la manière de parler de l'Ecriture et de l'Eglise; mais cela n'empêche pas qu'ils n'eussent leurs sentimens particuliers; et sans doute que si on leur eût demandé ce qu'ils entendoient par des peines éternelles, ils eussent répondu qu'ils entendoient des peines de longue durée, et que le terme d'éternité se prend souvent dans l'Ecriture pour un temps bien long, quoiqu'il ait sa fin 1. » En vérité c'en est trop, et l'on ne peut comprendre comment un théologien, non content d'attribuer à deux martyrs les plus pernicieux sentimens des sociniens, ose encore deviner leurs pensées, pour leur faire répondre précisément ce que disent ces hérétiques.

La difficulté pourtant n'étoit pas grande; car il n'y avoit qu'à lire saint Irénée, qui dit en termes formels « que les biens qui viennent de Dieu sont éternels et sans fin, et que pour la même raison la perte aussi en est éternelle et sans fin; » et il compare cette perte à l'aveuglement, qui est une privation de la lumière dans un sujet qui existe; en sorte qu'il est visible par ce passage de saint Irénée, que la privation des biens est aussi éternelle dans les damnés, que les biens mêmes sont éternels dans les justes et le même Saint dit encore, « que la peine des incrédules est augmentée, et a été faite non-seulement temporelle, mais encore éternelle, parce que tous ceux à qui le Seigneur dira: Alles aux feux éternels, seront toujours damnés, comme ceux à qui il dira Venez, les bénis de mon Père, etc., recevront le royaume, et y profiteront toujours. » Soit qu'il veuille dire que leur félicité aura un accroissement perpétuel, ou que le terme PROFICIUNT ait un autre sens dont il ne s'agit pas ici, c'est assez qu'il paroisse clairement que le toujours et l'éternel des méchans, est égal au toujours et à l'éternel des bons or est-il que l'éternité promise aux bons, constamment et de l'aveu même des sociniens, est une 1 Rép. aux Rem., p. 122.

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éternité véritable, et non pas seulement un long temps: donc l'éternité malheureuse n'est pas un long temps, mais une éternité véritable.

Cet argument n'a point de réplique; et saint Irénée inculque tellement ces mêmes choses, et dans cet endroit et dans beaucoup d'autres, qu'il ne seroit pas possible d'y résister, pour peu qu'on eùt lu avec attention les livres de ce grand homme. Mais les critiques de notre temps n'appuient que sur les endroits qui leur peuvent donner occasion de se distinguer des autres par des sentimens particuliers.

Il n'eût pas été plus difficile de trouver la même doctrine dans saint Justin, puisque non content d'attribuer une infinité de fois l'éternité au feu d'enfer avec autant de force qu'à la vie future, il en fait expressément la comparaison, en disant « que Dieu revêtira les justes d'incorruptibilité, et enverra les injustes avec les mauvais esprits, dans un feu éternel, avec un perpétuel sentiment» ou de leurs misères, ou du remords de leur conscience; ce qu'il prouve par ces paroles de l'Evangile : Leur ver ne cessera point, et leur feu ne s'éteindra point. Il dit aussi, dans un autre endroit, « que Dieu donnera un royaume éternel aux saints, et qu'il enverra tous les infidèles dans la damnation d'un feu qui ne s'éteindra jamais. » Il paroît donc qu'il entend de même l'éternité de l'enfer que celle du royaume céleste; par conséquent qu'il entend une éternité véritable et proprement dite: ce qui n'empêche pourtant pas que dans les mêmes endroits il ne dise que les méchans ne seront plus, conformément aux passages de l'Ecriture où il est dit que les impies ne ressusciteront pas, ne seront pas, seront dissipés, anéantis, parce qu'on ne doit pas réputer être ou vivre, un état aussi malheureux que le leur et aussi éloigné de la véritable vie, qui est Dieu.

Par ce moyen, ou par d'autres qu'on y pourroit joindre, il seroit aisé de répondre aux paroles de saint Justin qui font la difficulté. M. Dupin n'a pas voulu considérer ces passages qui font voir plus clair que le jour, que l'éternité que ce saint attribue aux peines marque quelque chose de plus qu'un long temps. 1 Apol. 1, p. 87.- 2 Dial. cum Tryph., p. 349.

Mais il en avoit assez vu pour mieux dire qu'il n'a dit, s'il n'avoit été prévenu en faveur de la solution socinienne; car il a lui-même produit un passage où saint Justin dit « que les peines des méchans ne dureront pas seulement mille ans, comme celles dont parle Platon, mais qu'elles seront éternelles 1. » Ainsi le mot éternel est visiblement opposé, non à un long temps, car le temps de mille ans que saint Justin exclut, est assez long; mais comme parle notre auteur, il est opposé aux peines qui doivent finir un jour 2. »

S'il faut donner des explications à des passages qui semblent contraires, il vaut bien mieux que ce soit en faveur de la foi qu'en faveur de l'hérésie socinienne; d'autant plus que les passages qui concluent à l'éternité des peines, sont constamment plus précis et plus nombreux que les autres. Mais la théologie de notre auteur est si foible, qu'il méprise dans sa Réponse aux Re· marques, la solution dont il avoit lui-même posé les principes dans sa Bibliothèque, et il va de mal en pis.

Sur la vénération des Saints et de leurs reliques.

Je ne sais quel plaisir a pris M. Dupin à dire « que dans le sixième siècle on n'entendoit parler que de miracles, de visions et d'apparitions; qu'on poussoit la vénération qu'on doit aux Saints et à leurs reliques, au delà des justes bornes, et qu'on faisoit un capital de cérémonies fort indifférentes 3. » A quoi bon cette téméraire censure, qui ne tend qu'à faire croire aux hérétiques qu'ils sont bien autorisés à se moquer des catholiques et de l'Eglise de ce temps-là, et à dire, comme ils font, que la corruption a commencé de bonne heure; au lieu qu'il est aisé de démontrer qu'on ne trouve rien au sixième siècle sur les visions, sur les miracles, sur les Saints et sur les reliques, qui ne paroisse avec la même force dans le quatrième et dans le cinquième ?

1 Apol. II, p. 57. tom. V.

2 Bibl., tom. I, p. 167. 3 Dans son Avert. du

Sur l'adoration de la Croix.

Il assure formellement dans sa Réponse', qu'elle étoit rejetée aux trois premiers siècles, et il donne gain de cause aux protestans contre les Du Perron et les Bellarmin.

Sur la Grace.

Nous avons déjà vu un passage de notre auteur, qui dit que << saint Cyprien est le premier qui ait parlé bien clairement du péché originel et de la nécessité de la grace de Jésus-Christ. »

Pourquoi rendre obscure la tradition de la nécessité de la grace, aussi bien que celle du péché originel, puisqu'il est aisé de montrer dans les autres Pères plusieurs passages aussi exprès que ceux de saint Cyprien sur cette matière? M. Dupin doit avouer de bonne foi que ces sortes de décisions, qui semblent faites pour marquer beaucoup de connoissance de l'antiquité, étoient fort peu nécessaires, comme elles sont d'ailleurs fort précipitées.

Sur la foi de ce seul passage de M. Dupin, on pourroit croire, sans lui faire tort, qu'il n'est pas fort favorable à la doctrine de la grace. Mais ce qu'il dit sur Fauste de Riez, fait encore mieux voir son sentiment, puisqu'il excuse la doctrine de cet évêque, manifestement semi-pélagien, s'il en fut jamais, sans se mettre en peine qu'il ait été condamné par les papes saint Gélase et saint Hormisdas. Ce que dit M. Dupin sur saint Augustin dans le même endroit, est encore plus considérable; car il le fait passer pour un homme « qui a débité des sentimens si peu communs avant son temps, qu'il avoue lui-même qu'il ne les avoit pas bien connus avant que d'être tout à fait engagé dans la dispute. » Or ces sentimens que saint Augustin avoue qu'il n'avoit pas encore bien connus, c'étoit, comme il le dit lui-même, que tout le bien qui étoit en nous venoit de la grace, depuis le premier commencement jusqu'à la fin, ce qui l'avoit fait tomber insensiblement dans les erreurs des demi-pélagiens. Ainsi selon M. Dupin, l'ancien senti

Pag. 125, 127.— Ibid., p. 592, 593.

2 Tom. I, p. 475.-3 Part. II, du tom. III, p. 681 et suiv.

ment que saint Augustin avoit suivi avec tous les autres Pères, étoit le semi-pélagianisme. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que notre auteur mette une sorte d'égalité entre saint Prosper et ceux contre qui il dispute, c'est-à-dire, les Marseillois et les autres semi-pélagiens. C'est ce qui lui fait aussi passer si doucement les opinions, comme il les appelle', et à vrai dire, les erreurs de Cassien, dont il ne dit autre chose, sinon que ses sentimens étoient contraires, ou sembloient l'être aux sentimens de saint Augustin; sans dire, comme il devoit, qu'ils étoient contraires à la foi catholique. Aussi parle-t-il partout très-foiblement de la grace; et il croit avoir satisfait à tout ce qu'il lui doit, lorsqu'il en reconnoît la nécessité pour être sauvé. Mais il sait bien que les semi-pélagiens ne nioient pas cette nécessité, et que pour sortir de l'hérésie semi-pélagienne, il ne suffit pas de dire que la grace est nécessaire : qu'il faut dire de plus à quoi elle est nécessaire, et spécifier qu'elle l'est pour le commencement comme pour la consommation de la piété. M. Dupin a affecté de ne le pas dire, comme nous le verrons en parlant de ce qu'il a dit de saint Augustin. On sait d'où vient cette tradition de nos docteurs modernes, et de qui ils ont appris à préférer les demi-pélagiens à saint Augustin, et leur doctrine à la sienne.

Sur le Pape et les Evéques.

Dans l'Abrégé de la Discipline, notre auteur n'attribue autre chose au Pape, sinon que l'Eglise romaine, fondée par les apôtres saint Pierre et saint Paul, soit considérée comme la première, et son évêque comme le premier entre tous les évêques, sans attribuer au Pape aucune juridiction sur eux, ni dire le moindre mot de l'institution divine de sa primauté; au contraire il met cet article au rang de la discipline, qu'il dit lui-même être variable. Il ne parle pas mieux des évêques, et il se contente de dire que l'évêque est au-dessus des prêtres, sans dire qu'il y est de droit divin. Ces grands critiques sont peu favorables aux supériorités

1 Tom. III, part. II, p. 45, 56, 57. .-2 Ibid., p. 592. Rép. aux Rem., p. 145. — Tom. I, p. 620. Abr. de la Discipl., tom. I, p. 619.

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