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ecclésiastiques, et n'aiment guère plus celle des évêques que celle du Pape.

L'auteur tâche d'ôter toutes les marques de l'autorité du Pape dans les passages où elle paroît1, comme dans deux lettres célèbres de saint Cyprien : l'une au pape saint Etienne, sur Marcien d'Arles; l'autre aux Espagnols, sur Basilide et Martial, évêques déposés. Si nous en croyons M. Dupin, saint Cyprien ne demandoit au Pape, contre un évêque schismatique, « que de faire la même chose que saint Cyprien pouvoit faire lui-même ; » comme si leur autorité eût été égale.

La manière dont il se défend de l'objection que ses censeurs lui ont faite sur ce sujet, tend encore plus à établir cette égalité. Car après avoir dit « que tout évêque pouvoit se séparer de la communion d'un autre évêque qu'il croyoit dans l'erreur, et indigne de sa communion et de celle de l'Eglise,» il ajoute « qu'Etienne et saint Cyprien pouvoient bien déclarer Marcien excommunié et se séparer d'avec lui; mais que ce n'étoit pas à eux à le déposer, etc. » C'est clairement égaler le pouvoir de saint Cyprien à celui du Pape. Car d'abord, le droit d'excommunier quelque évêque que ce soit leur est commun : quant au droit de déposer les évêques, il est bien certain que le Pape ne le faisoit pas par lui-même; mais il pouvoit exciter la diligence des évêques, qui étoient les juges naturels, avec une autorité et une supériorité que nul autre évêque n'avoit. Cependant l'auteur met une entière égalité entre saint Etienne et saint Cyprien, et il ne reste au Pape qu'une préséance.

La réponse que fait notre auteur sur sa lettre au clergé et au peuple d'Espagne, n'établit pas moins la parfaite égalité de tous les évêques, puisqu'il dit « que si le pape saint Etienne avoit donné son suffrage en faveur de Basilide qu'on avoit déposé, ou qu'il eût rendu une sentence pour lui, les évêques d'Espagne faisoient bien de se précautionner et de se munir contre ce qu'il avoit fait, en consultant les évêques d'Afrique, pour opposer leur autorité à celle de l'évêque de Rome". »

Une des plus belles pérogatives de la chaire de saint Pierre, Bibl., tom. I, p. 418, 438, 483. — 2 Rép. aux Rem., p. 189. — 3 Ibid., p. 187.

est d'être la chaire de saint Pierre, la chaire principale où tous les fidèles doivent garder l'unité, et comme l'appelle saint Cyprien, la source de l'unité sacerdotale. C'est une des marques de l'Eglise catholique divinement expliquée par saint Optat; et personne n'ignore le beau passage où il en montre la perpétuité dans la succession des papes. Mais si nous en croyons M. Dupin, il n'y a rien là pour le Pape plus que pour les autres évêques, puisqu'il prétend que la chaire principale1, dont il est parlé, n'est pas en particulier la chaire romaine que saint Optat nomme expressément, mais la succession des évêques ; comme si celle des papes, singulièrement rapportée par saint Optat et les autres Pères, comme elle l'avoit été par saint Irénée, n'avoit rien de particulier pour établir l'unité de l'Eglise catholique. Il ôte même de la traduction du passage de saint Optat, ce qui marque expressément que cette chaire unique, dont il parle, est attribuée en particulier à saint Pierre et à ses successeurs, même par opposition aux autres apôtres. Cette objection lui est faite par les Pères de SaintVannes: il garde le silence là-dessus; et quelques avis qu'on lui donne, l'on voit bien qu'il est résolu de ne pas donner plus au Pape qu'il n'avoit fait. C'est le génie de nos critiques modernes, de trouver grossiers ceux qui reconnoissent dans la papauté une autorité supérieure établie de droit divin. Lorsqu'on la reconnoît avec toute l'antiquité, c'est qu'on veut flatter Rome et se la rendre favorable, comme notre auteur le reproche à son censeur 3. Mais s'il ne faut pas flatter Rome, il ne faut non plus lui rendre odieuse, aussi bien qu'aux autres catholiques, l'ancienne doctrine de France, en ôtant au Pape ce qui lui appartient légitimement, et en outrant tout contre lui.

Sur le Carême.

Il affoiblit la tradition du jeûne de quarante jours, que les docteurs catholiques ont soutenue comme apostolique, par tant de beaux témoignages des anciens Pères; et il trouve plus probable l'observation de M. Rigault', qui prétend qu'on a donné ce nom ↳ Ibid.,

1 Tom. II, p. 331.

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2 Rem., p. 264. 3 Rép. aux Rem., p. 188.

de carême ou de quarantaine au jeune solennel des chrétiens, non à cause qu'on jeûnoit quarante jours, comme tous les catholiques l'ont cru, mais à cause du jeûne de quarante jours de Jésus-Christ. Ainsi on appellera carême le jeûne des quatre-temps et celui des vigiles, avec autant de raison que celui du carême, puisque c'est toujours une imitation du jeûne de Jésus-Christ. Au reste, il n'y a rien de moins fondé sur le langage des Pères, que cette observation de M. Rigault, le moins théologien de tous les hommes mais c'étoit un critique, et un critique licencieux dans ses sentimens, pour ne rien dire de plus; c'est un titre pour être préféré.

:

Sur le Divorce.

Notre auteur parle fort mal de l'indissolubilité du mariage, même pour cause d'adultère. Car d'abord il abuse d'un passage de saint Justin, pour prouver que la retraite d'une femme chrétienne d'avec son mari supposoit la liberté de se remarier 1; de quoi saint Justin ne dit pas un mot. La femme n'étoit pas même dans le cas, puisque la cause de la retraite n'étoit pas l'adultère du mari, qui est le cas dont il s'agit, mais l'abus qu'il faisoit du mariage; de sorte que cet exemple que M. Dupin pose comme un fondement, ne fait rien à la question. Pour parler équitablement de cette matière, il falloit dire que l'esprit de l'Eglise a toujours été de permettre la séparation pour cause d'adultère, mais non pas de se remarier. Saint Clément d'Alexandrie en est un bon témoin, quand il dit que « l'Ecriture ne permet pas aux mariés de se séparer, et qu'elle établit cette loi: Vous ne quitterez point votre femme, si ce n'est pour adultère; mais qu'elle croit que c'est adultère à ceux qui sont séparés, de se remarier tant que l'un des deux est en vie 2. » Ce seul passage suffiroit pour faire voir à M. Dupin que contre sa pensée, on distinguoit dès ce tempslà la liberté de se séparer, d'avec celle d'épouser une autre femme.

1 Abr. de la Discip., p. 618. Rép. aux Rem., p. 71. Apol. I. Just. au comm. 2 Strom., lib. II, p. 424.

Sur le célibat des Clercs.

Il faut aussi apporter un correctif à ce que dit notre auteur sur le mariage des prêtres et des diacres '. Il est fàcheux qu'en tout et partout, on le trouve si peu favorable aux règles et aux pratiques de l'Eglise.

Sur les Pères et la tradition : et premièrement sur saint Justin et saint Irénée.

C'est l'esprit de la nouvelle critique, de parler peu respectueusement des Pères, et d'avoir beaucoup de pente à les critiquer. Cet esprit est répandu dans la Nouvelle Bibliothèque. On a vu ce qu'elle dit sur saint Justin et saint Irénée, et la doctrine impie qu'elle impute sans raison à ces deux auteurs. Voici en particulier sous le nom de Photius, une critique assez rigoureuse de leurs écrits. Photius accuse saint Justin de n'avoir point l'agrément d'un discours éloquent 2: M. Dupin ajoute du sien, « que ce caractère paroît dans tous ses ouvrages, qui sont extrêmement pleins de citations et de passages, tant de l'Ecriture que des auteurs profanes, sans beaucoup d'ordre et sans aucun ornement3.» On pourroit dire à notre critique qu'il y a dans le Dialogue avec Tryphon, par exemple, plus d'ordre et plus de méthode qu'il ne pense, et plus d'agrément qu'il ne paroît y en avoir senti, s'il compte pour agrément une belle et noble simplicité. Que saint Justin y cite beaucoup de passages de l'Ecriture, ce n'est pas là un défaut dans un ouvrage dont ces passages devoient faire le fond; et l'ornement naturel qui convient à un tel traité, consiste presque tout dans la netteté, qui ne manque point dans cet ouvrage. Cela dans le fond est peu de chose; et je ne le dis que pour avertir M. Dupin, qu'il pouvoit se dispenser d'interposer sur les auteurs son jugement, que personne ne lui demandoit. Mais ce qu'il dit de saint Irénée sous le nom du même Photius, n'est pas supportable. Voici ses paroles: « Le savant Photius a raison Phot. Bibl., cod. cxxv. 3 Tom. I,

1 Abr. de la Discip., tom, I, p. 621. P. 160.

de reprendre en lui un défaut qui lui est commun avec beaucoup d'autres anciens; c'est qu'il affoiblit et qu'il obscurcit pour ainsi dire les plus certaines vérités de la religion par des raisons peu solides. » Il devoit avoir remarqué que Photius ne dit point cela des ouvrages qui nous sont restés de saint Irénée, c'est-àdire de ses cinq livres des hérésies, qui en effet sont trop forts et prouvent trop bien pour mériter la critique de Photius; et ce qui fait voir clairement que ce n'est pas sur ces livres que Photius exerce sa critique, c'est qu'après en avoir fait un très-court sommaire, il ajoute: «Il court plusieurs autres écrits de toutes les sortes, et des lettres du même saint Irénée; encore que la vérité exacte des dogmes ecclésiastiques y soit corrompue 2, » ou pour mieux traduire, falsifiée par des argumens bâtards, c'est-à-dire faux, mauvais et étrangers à la doctrine chrétienne. On voit donc premièrement que Photius ne parle en aucune sorte des écrits qui nous restent de saint Irénée, qui sont les cinq livres des Hérésies; mais de quelques autres ouvrages de ce Père: secondement, qu'il ne dit point que ces écrits et ces lettres soient de lui, mais qu'ils courent sous son nom : aussi en troisième lieu, ne se contente-t-il pas de dire, comme l'a traduit M. Dupin, « qu'il affoiblit et qu'il obscurcit en quelque sorte les plus certaines vérités de la religion, par des raisons peu solides » (car c'est la traduction de M. Dupin prise en partie sur le latin, et sans avoir lu le grec); mais Photius dit que dans ces écrits, autres que ceux que nous avons de saint Irénée, l'exacte vérité des dogmes est falsifiée, drivsta, par des argumens étrangers à la doctrine chrétienne; ce qui est une faute, que ni Photius ni aucun autre auteur n'ont imputée à saint Irénée.

Il est donc plus clair que le jour, que la censure de Photius ne tombe pas sur les cinq livres des Hérésies: elle ne tombe pas non plus sur une lettre et deux ou trois pages que nous avons de fragmens de saint Irénée, où constamment il n'y a rien que de très-beau. Ainsi elle tombe visiblement sur des écrits attribués à saint Irénée, que M. Dupin n'a pas vus, puisqu'on n'en a plus rien du tout; et toutefois notre auteur, non-seulement fait tomber 1 Tom. I, p. 199.-2 Phot. cod. cxx.

TOM. XX.

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