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cette critique sur les écrits que nous avons, mais encore il ne craint point d'ajouter que Photius a raison; et afin que saint Irénée ne soit pas le seul qu'il critique, il ajoute que « ce défaut, d'affoiblir les vérités de la religion, lui est commun avec beaucoup d'autres Pères; » afin qu'un lecteur ignorant enferme ce qu'il lui plaira dans cette censure générale. Voilà comment ces grands savans et ces grands critiques lisent les livres et décident des saints Pères.

Saint Leon et saint Fulgence.

Qui est-ce qui demandoit à M. Dupin son sentiment sur saint Léon, dont il dit à la vérité, « qu'il est exact sur les points de doctrine, et habile sur la discipline; mais qu'il n'est pas fort fertile sur les points de morale: qu'il les traite assez sèchement et d'une manière qui divertit plutôt qu'elle ne touche 1? » Qu'avoit affaire son lecteur qu'on lui déprimât la morale de saint Léon, sans raison, sans nécessité, sans lui dire du moins un mot du caractère de piété envers Jésus-Christ, qui reluit dans tous ses auvrages? Mais pourquoi dire de saint Fulgence, l'un des plus solides et des plus graves théologiens que nous ayons, « qu'il aimoit les questions épineuses et scolastiques ? » comme s'il s'y étoit jeté sans nécessité; à quoi il ajoute ce petit trait de ridicule pour saint Fulgence, « qu'il donnoit quelquefois dans le mystique. » Il ne veut pas que rien lui échappe, ni qu'aucun Père sorte de ses mains sans égratignures.

Le pape saint Etienne.

M. Dupin a traité le démêlé entre le pape saint Etienne et saint Cyprien, avec un entêtement si visible contre ce saint pape, qu'il n'y a pas moyen de le dissimuler. On pourroit remarquer d'abord que le pape est toujours Etienne, et saint Cyprien toujours saint; quoiqu'ils soient tous deux martyrs.

Si M. Dupin vouloit élever la modération de saint Cyprien au-dessus de celle du pape saint Etienne, du moins ne de1 Tom. III, part. II, p. 388.2 Tom. IV, p. 74.

voit-il pas le louer « de ce qu'il n'a point prétendu faire la loi au Pape'. » Il ne restoit plus qu'à le louer de ce qu'il ne l'avoit pas excommunié. Il devoit se souvenir que saint Etienne avoit droit d'agir en supérieur, comme saint Augustin le reconnoît, mais qu'il n'en pouvoit pas être de même de saint Cyprien.

D'ailleurs, il ne falloit pas dissimuler que si ç'a été à saint Cyprien une marque de modération si digne d'être relevée, de n'avoir point rompu l'unité, cette louange lui est commune avec saint Etienne, puisque (laissant aux bancs la dispute sur l'excommunication prononcée par le Pape) il est bien constant qu'il n'a pas poussé la chose à bout; et saint Augustin nous apprend lui-même que la paix fut conservée de part et d'autre.

M. Dupin demeure d'accord que la lettre de Firmilien contre le Pape est fort emportée, et il assure que ce fait ne regarde point saint Cyprien; mais il oublie que c'est saint Cyprien qui a traduit cette lettre, qui l'a publiée en Afrique, en un mot, qui l'a approuvée et comme adoptée. La candeur et l'équité, qui doivent être inséparables de la critique, devoient porter M. Dupin à ne pas taire ces choses, et à ne pas charger saint Etienne seul, comme si saint Cyprien n'avoit excédé en rien, encore que saint Augustin, qui le ménage autant qu'il peut, ne l'ait pas excusé en tout.

Loin de conserver cette équité, M. Dupin trouve que « Firmilien est plus excusable qu'Etienne, parce qu'il avoit conçu de l'indignation contre la manière dont Etienne avoit traité les députés de saint Cyprien. » Ainsi Firmilien, qui avoit appelé du nom de Judas, d'hérétique et de pire qu'hérétique un pape, qui dans le fond avoit raison, est pourtant selon ce critique plus excusable que lui.

Mais c'est que M. Dupin ne veut pas demeurer d'accord que le Pape ait eu raison. C'est là sa grande erreur. Car il est constant par saint Augustin, par saint Jérôme, par Vincent de Lérins, que l'Eglise universelle a suivi le sentiment de saint Etienne que saint Cyprien et les autres de son parti ne sont excusables qu'à cause qu'ils ont erré avant la définition de toute l'Eglise qu'a1 Rép. aux Rem., p. 169. - 2 Ibid., p. 170.

près cette décision, ceux qui ont suivi leurs sentimens sont hérétiques que le décret de saint Etienne étoit fondé sur une tradition apostolique: que ceux qui s'y opposèrent reconnurent euxmêmes dans la suite, que la doctrine de leurs ancêtres étoit différente de la leur, et qu'ils y revinrent à la fin. M. Dupin dissimule tous ces faits qui sont constans. Il dit bien, à la vérité, « que le sentiment de saint Augustin a depuis été embrassé par l'Eglise; mais il ne veut point dire que ce sentiment de saint Augustin étoit, selon saint Augustin même, une tradition apostolique » que l'Eglise par conséquent la suivoit déjà avant que d'en avoir fait une expresse déclaration dans ses conciles. Il veut faire croire à son lecteur « qu'on ne s'est point servi, dans l'Orient, de la distinction de saint Augustin", » c'est-à-dire de la distinction qu'il falloit faire entre le baptême administré par les hérétiques avec la forme ordinaire, ou sans cette forme. C'est néanmoins cette distinction que saint Jérôme suit aussi bien que lui, et à laquelle il reconnoît que tous les adversaires du pape saint Etienne étoient enfin revenus. M. Dupin aime mieux dire que ceux d'Orient rebaptisoient ou ne rebaptisoient pas les hérétiques, sans avoir aucune raison de cette différence, encore qu'on pût aisément la lui montrer même dans les Pères grecs. Voilà sa théologie. L'on peut voir combien elle est foible, pour ne pas dire erronée.

Il s'obstine à vouloir trouver une aussi grande erreur dans saint Etienne que dans saint Cyprien. On sait d'où il a pris cette critique; mais elle est contraire à ce qu'on vient de voir. On a vu par saint Augustin et les autres Pères, que ce qu'on opposoit à saint Cyprien étoit une tradition apostolique. Ce n'étoit donc pas une erreur qu'on opposoit à une erreur, mais une vérité constante et ancienne. L'état de la question, comme il est posé par Eusèbe, par saint Augustin, par saint Jérôme, par Vincent de Lérins, par tous les autres, ne charge saint Etienne d'aucune erreur. Il n'y avoit rien de plus droit, ni de plus simple que le décret de ce Pape: « Qu'on ne change rien à ce qui a été réglé par la tradition » (c'est ainsi que le traduit M. Dupin3); et saint Au1 Tom. 1, p. 404. — Ibid., p. 481.—3 Rép. aux Rem., p. 168.

gustin ne se plaint pas que cette tradition fût fausse, puisqu'on vient de voir qu'il la tient apostolique, et qu'il se contente de dire qu'elle ne fut pas d'abord assez solidement prouvée. Ainsi saint Etienne est absous de la critique moderne par le témoignage de tous les anciens. On ne lui peut opposer que ses adversaires, qui dans la chaleur de la dispute ont mal pris ses sentimens. Encore Firmilien, quoi qu'en puisse dire M. Dupin, répète plusieurs fois que l'intention de ce Pape et de ceux qui lui adhéroient, étoit d'approuver le baptême, pourvu qu'il fût conféré au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit '. Tout cela est clair. On ne peut alléguer contre ce fait aucun auteur ancien de quelque poids, si ce n'est peut-être un inconnu, qui est l'anonyme de Ri-. gault, dont l'esprit et le raisonnement sont si peu justes, qu'on voit bien qu'il n'est pas capable de juger cette question au préjudice du témoignage de tous les auteurs qu'on vient d'entendre.

Il est vrai que M. Dupin se veut appuyer du décret de saint Etienne, en traduisant ces paroles: « A quâcumque hæresi venerit ad vos, DE QUELQUE MANIÈRE QUE LES HÉRÉTIQUES EUSSENT ÉTÉ BAPTISÉS, » ce qu'il répète par deux fois; mais ce n'est pas là traduire, c'est visiblement falsifier le décret du Pape.

Il commet encore une autre faute en traduisant ces mots : Manus ei imponantur in pœnitentiam: QU'ON LUI IMPOSE SEULEMENT LES MAINS POUR LE RECEVOIR 3. Avec sa permission, il falloit exprimer le mot de pénitence, qui seul caractérise cette imposition des mains, et en montre la différence d'avec le sacrement de confirmation, par lequel quelques auteurs ont voulu croire qu'on recevoit les hérétiques.

Par tout cela, on voit le génie de la nouvelle critique qui veut, à quelque prix que ce soit, trouver que les papes ont tort; ce qui dans ce fait est de plus grande conséquence qu'on ne pense, puisque si, dans la dispute qui s'éleva entre saint Etienne et saint Cyprien, les deux partis sont également dans l'erreur, il s'ensuit que la profession de la vérité étoit éteinte dans l'Eglise.

1 Epist. Firmil., apud Cyp. Rép., p. 169.

2 Tom. 1, p. 404. Rép. aux Rem., p. 172.

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Saint Augustin.

Saint Augustin est sans doute celui de tous les saints Pères que M. Dupin maltraite le plus. Il auroit pu se passer de dire de son Traité sur les Psaumes, « qu'il est plein d'allusions inutiles, de subtilités peu solides et d'allégories peu vraisemblables, » et d'ajouter encore avec cela « que ce Père fait profession d'expliquer la lettre'. » Un peu devant il venoit de dire encore, « qu'il s'étend beaucoup sur des réflexions peu solides, où il s'éloigne de son sujet par de longues digressions. » Il devoit dire du moins que ces longues digressions dans des sermons (car ses Traités sur les Psaumes n'étoient presque rien autre chose), avoient pour fin d'expliquer des matières utiles à son peuple, tant pour la morale que contre les hérésies de son temps et de son pays.

M. Dupin sait bien que ces digressions sont fréquentes dans les sermons des Pères, qui traitant la parole de Dieu avec une sainte liberté, se jetoient sur les matières les plus propres à l'utilité de leurs auditeurs, et songeoient plus à l'édification qu'à une scrupuleuse exactitude du discours. Les sermons de saint Chrysostome, qui sont les plus beaux qui nous restent de l'antiquité, sont pleins de ces édifiantes et saintes digressions. M. Dupin ne traite pas mieux les livres De la Cité de Dieu; et surtout il trouve mauvais « qu'on en admire communément l'érudition, quoiqu'ils ne contiennent rien qui ne soit pris de Varron, de Cicéron, de Sénèque, et des autres auteurs profanes, dont les ouvrages étoient assez communs 2. » Sans doute saint Augustin n'avoit point déterré des auteurs cachés, qui valent ordinairement moins que les autres, mais qui donnent à ceux qui les citent la réputation de savans; et il s'étoit contenté de prendre dans des auteurs célèbres, ce qui étoit utile à son sujet. Voilà l'idée d'érudition que se proposent les nouveaux critiques. M. Dupin ajoute aussi qu'il n'y a rien de «fort curieux ni de bien recherché dans ce livre de saint Augustin, et qu'il n'est pas même toujours exact. » Pour l'exactitude, on n'en sauroit trop avoir en ce genre-là. Mais quand il 1 Tom. III, part. 1, p. 696, 697. - 2 Ibid., p. 756.

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