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Sur l'Eucharistie, et sur la théologie de la Trinité.

Je ne prétends pas accuser M. Dupin de mal parler de l'Eucharistie, mais il est certain qu'il n'a pas su ce qu'il falloit dire pour bien établir dans les trois premiers siècles la foi de la présence réelle. Il se contente de dire que les docteurs de ce temps « n'ont point douté que l'Eucharistie ne fût le corps et le sang de JésusChrist, et l'ont appelée de ce nom 1. » C'est de même que s'il se füt contenté de dire que les Pères croyoient Jésus-Christ Dieu, et l'appeloient de ce nom. On sait bien que les hérétiques ne nient point les expressions de l'Ecriture. M. Dupin n'auroit pas manqué d'occasions de faire voir plus précisément les sentimens de saint Justin, par exemple, sur la présence réelle ou des autres, en quel endroit il eût voulu. En un mot, ce n'est pas assez pour faire voir la foi catholique dans les Pères, de dire qu'ils ont répété les termes de l'Ecriture, que personne ne rejette, sans convaincre par leur témoignage l'abus que les hérétiques en ont fait.

M. Dupin a bien su prendre cette précaution à l'égard de la divinité de Jésus-Christ; et il eût été seulement à désirer qu'il eût démêlé plus clairement les sentimens qu'il attribue aux Pères des trois premiers siècles, en disant qu'ils ont appelé « génération une certaine prolation ou émission du Verbe, qu'ils imaginent s'être faite, quand Dieu a voulu créer le monde ; » en quoi il commet une double faute : l'une, celle de parler de cette expression, comme si elle étoit de tous les Pères, ce qui n'est pas : l'autre est celle de donner crùment, en termes vagues, cette certaine émission du Verbe, que ces Pères imaginoient; ce qui en soi n'est qu'un pur galimatias, ou, comme il l'appelle lui-même, une imagination, et encore une imagination fort creuse. Il n'y avoit qu'un mot à dire pour rendre tout cela clair, et tirer ces Pères d'affaire; mais ce n'est pas ici le lieu d'en dire davantage; et il suffit de faire sentir à M. Dupin qu'en précipitant un peu moins l'édition de ses livres, il produiroit quelque chose de plus Abr. de la Doctr., tom. I, p. 612. - Ibid., p. 608.

correct et de plus profond, comme il est capable de le faire, et l'a fait heureusement en beaucoup d'endroits.

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La critique de M. Dupin1, sur ce concile universellement reçu en Orient et en Occident, et expressément approuvé par les conciles suivans, et entre autres par celui de Trente, a scandalisé tout le monde. Elle ne tend en effet qu'à faire voir que presque toutes les preuves dont on se sert dans ce concile, aussi bien que celles qu'Adrien I emploie pour le défendre, sont nulles et peu concluantes; ce qui ne sert qu'à faire penser aux hérétiques que la décision de ce concile est très-mal fondée, puisque si la réfutation de M. Dupin avoit lieu, il ne resteroit rien ou presque rien dont on la pût soutenir. Je ne voudrois point garantir sans exception, toutes les pièces citées dans ce concile, ni toutes les réflexions qu'ont faites les particuliers qui le composèrent; mais j'oserois bien assurer que les censures de M. Dupin viennent presque toujours de n'avoir pas bien entendu à quoi chaque pièce peut être employée, ni le vrai état de la question. Au reste quoique vers la fin notre auteur semble prendre un bon parti, ni la prudence, ni la piété, ni la bonne théologie ne permettoient pas de décrier un concile qui a été universellement reçu, aussitôt que la doctrine en a été bien entendue.

CONCLUSION.

Sans pousser plus loin l'examen d'un livre si rempli d'erreurs et de témérités, en voilà assez pour faire voir qu'il tend manifestement à la subversion de la religion catholique qu'il y a partout un esprit de dangereuse singularité qu'il faut réprimer; et en un mot, que la doctrine en est insupportable.

Il ne faut avoir aucun égard aux approbateurs, qui sont euxmêmes inexcusables d'avoir lu si négligemment et approuvé si légèrement d'intolérables erreurs, et une témérité qui jusqu'ici 1 Abr. de la Doctr., tom. V, p. 456 et suiv.

n'a point eu d'exemple dans un catholique. Je sais d'ailleurs que quelques-uns d'eux improuvent manifestement l'audace de cet auteur, et il y en a qui s'en sont expliqués fort librement avec moi-même ; ce qui ne suffit pas pour les excuser.

Il est d'autant plus nécessaire de réprimer cette manière téméraire et licencieuse d'écrire de la religion et des saints Pères, que les hérétiques commencent à s'en prévaloir, comme il paroît par l'auteur de la Bibliothèque de Hollande, qui est un socinien déclaré. Jurieu a objecté M. Dupin aux catholiques, et on verra les hérétiques tirer bien d'autres avantages de ce livre, s'il n'y a quelque chose qui le note.

Il y a aussi beaucoup de péril que les catholiques n'y sucent insensiblement l'esprit de singularité, de nouveauté, aussi bien que celui d'une fausse et téméraire critique contre les saints. Pères; ce qui est d'autant plus à craindre que cet esprit ne règne déjà que trop parmi les savans du temps.

Il n'y a point d'autre remède à cela, sinon que l'auteur se rétracte, ou qu'on le censure, ou qu'il sorte quelque témoignage qui fasse du moins voir au public que sa doctrine n'est pas approuvée. Le silence seroit une connivence et une prévarication criminelle. Le plus doux et le plus honnête pour l'auteur, est qu'il se rétracte, mais d'une manière nette et précise. Plus il le fera nettement, plus son humilité sera exemplaire et louable; s'il n'en a pas le courage, il pourra colorer sa rétractation du terme d'explication; et on pourra s'en contenter, pourvu qu'elle soit si nette qu'il n'y reste rien de suspect ni d'équivoque.

Voilà le seul remède au mal qui est déjà fait. Mais comme l'auteur a terriblement abusé du privilége qui lui a été accordé, il sera nécessaire à l'avenir de mettre ses livres entre les mains de théologiens exacts, qui ne lui laissent rien passer, et qui sachent lui parler franchement.

Je suis obligé d'avertir qu'on doit particulièrement prendre garde à son travail sur l'Ecriture, parce que ce qu'il en a déjà fait paroître, fait voir qu'il penche beaucoup à affoiblir les témoignages de Jésus-Christ et de sa divinité.

C'est un esprit que Grotius a introduit dans le monde savant.

On croit n'être point savant, si l'on ne donne à son exemple dans les singularités; si l'on paroît content des preuves que jusqu'ici on a trouvées suffisantes; en un mot, si l'on ne fait parade d'un littéral judaïque et rabbinique, et d'une érudition plutôt profane que sainte.

Quoique je parle ici avec la liberté et la candeur que demande la matière, je n'ai dans le fond que de l'amitié pour M. Dupin, dont on rendra les travaux utiles à l'Eglise, si l'on cesse de le flatter, et si l'on peut lui persuader de n'aller pas si vite, et de digérer un peu davantage ce qu'il écrit; enfin, de rendre sa théologie plus exacte, et sa critique plus modeste et plus judicieuse.

C'est un ouvrage digne de la piété et de la prudence de M. le Chancelier; et je ne prends la liberté de lui présenter ce Mémoire, qu'à cause de la connoissance que j'ai qu'il apportera par ses lumières un prompt et efficace remède à un mal qui est fort pressant.

REMARQUES

SCR

L'HISTOIRE DES CONCILES
D'ÉPHÈSE ET DE CHALCÉDOINE,

DE M. DUPIN.

De toutes les pièces dont est composée la Bibliothèque de M. Dupin, les plus importantes par leur matière sont l'histoire du concile d'Ephèse et celle du concile de Chalcédoine. Ses approbateurs le louent d'avoir donné une histoire de ces deux conciles « beaucoup plus précise, plus exacte et plus circonstanciée que toutes celles qui ont paru » jusqu'à présent. Ils l'en ont cru sur sa parole, puisqu'il se vante lui-même dans son Avertissement, « d'avoir découvert plusieurs particularités de cette histoire, inconnues aux auteurs qui l'ont écrite devant lui. » Ce n'est pas qu'il ait trouvé de nouveaux mémoires, ou de nouveaux manuscrits: il n'a travaillé que sur les livres qui sont entre les mains de tout le monde; mais c'est qu'on nous le propose comme un homme qui voit plus clair que les autres; et lui-même il a bien voulu se donner cet air. On a cru qu'il seroit utile au bien de l'Eglise et à l'éclaircissement de la saine doctrine, d'examiner ces particularités inconnues, qu'il ajoute à l'histoire de ces conciles, et aussi de considérer celles qu'il omet, afin que ceux qui aiment la vérité puissent voir combien ce qu'il supprime est important, et combien ce qu'il ajoute est dangereux.

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