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CHAPITRE PREMIER.

Sur la procédure du concile d'Ephèse, par rapport à l'autorité du Pape.

PREMIÈRE REMARQUE.

Passage altéré dans la lettre de Jean d'Antioche à Nestorius.

Il faut aller par degrés, et commencer par la procédure. Celle du concile d'Ephèse est fondée sur le décret du pape Célestin, où il donnoit dix jours à Nestorius pour se rétracter, sinon il le déposoit, et commettoit saint Cyrille pour exécuter sa sentence. Il est constant par tous les actes, que cette sentence fut reçue avec soumission par tout l'Orient, et même par les partisans de Nestorius, dont Jean patriarche d'Antioche étoit le chef. Le Pape lui donna part de sa sentence, afin qu'il s'y conformât1. Saint Cyrille, qui étoit chargé de lui envoyer la lettre du Pape, y en joignit quelques-unes des siennes, et une, entre autres, dans laquelle il lui témoignoit qu'il étoit résolu d'obéir; c'étoit-à-dire, non-seulement qu'il se soumettoit quant à lui, mais encore qu'il acceptoit la commission du Pape, et se disposoit à l'exécuter. Dans cette importante conjoncture, voici comment M. Dupin fait agir Jean d'Antioche: « Il exhorta, dit-il, Nestorius, par une lettre qu'il lui écrivit, A NE PAS S'ÉTONNER des lettres de saint Célestin et de saint Cyrille, mais aussi à ne pas négliger cette affaire. >> Voilà un air de mépris, qui ne pouvoit pas être plus grand. Voyons s'il se trouvera dans la lettre de ce patriarche. Le passage est un peu long, mais il le faut lire tout entier à cause de son importance. Le voici fidèlement traduit du grec. « J'ai, dit-il, reçu plusieurs lettres, l'une du très-saint évêque Célestin; les autres, de Cyrille, évêque bien-aimé de Dieu. Je vous en envoie des copies, et je vous prie de tout mon cœur de les lire de telle sorte, qu'il ne s'élève aucun trouble (aucune passion ou, si l'on veut, aucune colère) dans votre esprit, puisque c'est de là qu'il arrive des con2 Ibid.,

1 Cœlest. Ep. ad Joan. Antioch., Conc. Ephes. I part, cap. xx. cap. XXI.

TOM. XX.

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tentions et des séditions très-nuisibles, et aussi de ne mépriser pas la chose, parce que le diable sait pousser si loin par l'orgueil les affaires qui ne sont pas bonnes (ni avantageuses), qu'il n'y reste plus de remède; mais de les lire avec douceur, et d'appeler à cette délibération quelques-uns de vos plus fidèles amis, en leur donnant la liberté de vous dire des choses utiles plutôt qu'agréables; parce qu'en choisissant pour cet examen plusieurs personnes sincères et qui vous parlent sans crainte, ils vous donneront plus facilement leur conseil; et par ce moyen, ce qui est triste et fâcheux, xv, aussitôt deviendra facile. »

J'ai rapporté au long ces paroles, afin qu'on voie si l'on y peut placer quelque part ce sentiment de mépris pour les lettres de saint Célestin et de saint Cyrille, et cette exhortation de ne s'en étonner pas, ou de ne s'en mettre pas beaucoup en peine, que M. Dupin y veut trouver, comme si ce n'étoit rien, ou peu de chose; et si au contraire on ne voit pas par toutes les paroles de Jean, qu'il ne songe qu'à disposer un homme qui méprisoit tout, et se mettoit d'abord en colère quand on le contrarioit, à regarder cette affaire comme une affaire sérieuse, et à ne pas mépriser des lettres qui le jetteroient dans un malheur irrémédiable, s'il n'y pourvoyoit.

Or le moyen d'y pourvoir qu'il lui proposcit, étoit de se désister de sa répugnance au terme de Mère de Dieu, et de l'approuver; c'est-à-dire dans le fond, de se rétracter le plus honnêtement qu'il pourroit; ce qui montre encore combien l'affaire étoit grave, et où l'on étoit poussé par l'autorité de ces lettres, puisque le patriarche d'Antioche ne propose d'autre moyen à Nestorius, pour s'en défendre, que celui de se dédire.

Ce qu'il ajoute fait bien voir encore combien il étoit éloigné de mépriser ces lettres : « Car, dit-il, si avant ces lettres on agissoit si fortement contre nous, pensez ce qu'on fera maintenant qu'on a reçu par ces lettres une si grande confiance, et avec quelle liberté et confiance on agira contre nous. » Voilà néanmoins ces lettres dont on veut que Jean d'Antioche ait parlé avec tant de mépris. Ajoutons qu'il n'y a pas un seul mot dans la lettre de 1 Conc. Eph. I part., cap. xxv.

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Jean d'Antioche, où il marque le moindre dessein de résistance. Nous allons voir que tout l'Orient étoit dans la même disposition, et l'on veut qu'on méprisât ces lettres, jusqu'à dire qu'il ne falloit pas s'en étonner. C'est qu'on lit avec prévention : c'est que dans son cœur on ne veut peut-être pas qu'on s'étonne tant de la sentence du Pape : c'est qu'on court sur les livres. On voit en passant, perturbatio, ou peut-être dans l'original tapan. Cette parole en grec comme en latin, signifie toute passion qui trouble et agite l'ame, et ici signifie plutôt la colère que toute autre chose. Sans prendre garde à tout cela, ni à la suite du discours, on fait dire à Jean d'Antioche qu'on n'avoit point à s'étonner d'un décret dont il se servoit lui-même, pour pousser son ami à une rétractation.

SECONDE REMARQUE.

Omission fort essentielle dans la même lettre.

Deux circonstances fort importantes se présentoient dans cette occasion : l'une, que le Pape décidoit avec une autorité fort absolue; car il écrit à saint Cyrille en ces termes : Quamobrem nostræ Sedis auctoritate et vice cum potestate usus, ejusmodi non absque exquisità severitate sententiam cxequeris. C'est Célestin qui prononce, c'est Cyrille qui exécute, et il exécute avec puissance, parce qu'il agit par l'autorité du Siége de Rome. Ce qu'il écrit à Nestorius n'est pas moins fort, puisqu'il donne son approbation à la foi de saint Cyrille; et en conséquence il ordonne à Nestorius de se conformer à ce qu'il lui verra enseigner sous peine de déposition: Alexandrinæ Ecclesiæ sacerdotis fidem probavimus: eadem senti nobiscum, si vis esse nobiscum, damnatis omnibus quæ hucusque sensisti: statim hæc volumus prædices, quæ ipsum videas prædicare. L'autre circonstance est, que tous les évêques de l'Eglise grecque étoient disposés à obéir. Une si grande puissance exercée dans l'Eglise grecque, et encore contre un patriarche de Constantinople, donne sans doute une grande idée de l'autorité du Pape. Il se montroit le supérieur de tous les patriarches: il déposoit celui de Constantinople: celui d'Alexan

drie tenoit à honneur d'exécuter sa sentence: celui d'Antioche, quelque ami qu'il fût de Nestorius, ne songeoit pas seulement à y résister Juvenal, patriarche de Jérusalem, étoit dans le même sentiment Célestin leur donnoit ses ordres et à tous les autres évêques de l'Eglise grecque; et sa sentence alloit être exécutée sans contradiction, si l'on n'eût eu recours à l'autorité, non de quelque évêque ou de quelque église particulière quelle qu'elle fùt, mais à celle de l'Eglise universelle et du concile œcuménique. Telle étoit la situation de toute l'Eglise orientale. Ces circonstances, qui font voir tous les membres de l'Eglise catholique si soumis et si unis à leur chef visible, méritoient bien d'être marquées; et je ne sais si l'histoire du concile d'Ephèse avoit rien de plus important. M. Dupin n'en fait rien sentir, et tout ce qu'il lui a plu de nous faire paroître sur cette sentence du Pape, c'est qu'on ne s'en étonnoit pas.

TROISIÈME REMARQUE.

Autre omission aussi importante.

Il étoit important de remarquer, qu'encore que le blasphème de Nestorius contre la personne de Jésus-Christ renversàt le fondement du christianisme, aucun autre évêque que le Pape n'osa prononcer sa déposition, et cela sert à conclure qu'il n'y avoit que lui seul qui eût droit sur lui, et qui fùt son supérieur. M. Dupin n'en dit mot.

Saint Cyrille eut bien la pensée, comme il le dit lui-même, de lui déclarer synodiquement, qu'il ne pouvoit plus communiquer avec lui; ce qu'il semble qu'il pouvoit faire, puisque le clergé et le peuple de Constantinople avoient déjà refusé de participer à la communion de ce blasphémateur. Saint Cyrille n'osa pourtant pas le faire il crut que la séparation d'un patriarche d'avec un autre qui ne lui étoit pas soumis, étoit un acte trop juridique pour être entrepris sans l'autorité du Pape. « Je n'ai pas voulu, dit-il dans sa lettre à Célestin, me retirer de la communion de Nestorius avec hardiesse et confiance, jusqu'à ce que j'aie su votre sentiment. Daignez donc déclarer votre pensée, et si nous

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devons communiquer avec lui ou non 1. » Le mot grec signifie déclarer juridiquement: Tunis, c'est une règle, c'est une sentence; et TUTTOσZI TO Sоxov, c'est déclarer juridiquement son sentiment. Le Pape seul le pouvoit faire : Cyrille ni aucun autre patriarche n'avoit le pouvoir de déposer Nestorius, qui ne leur étoit pas soumis le Pape seul l'a fait, et personne n'y trouve à redire, parce que son autorité s'étendoit sur tous.

Lorsque Jean d'Antioche, avec son concile, osa déposer Cyrille et avec lui Memnon évêque d'Ephèse, on lui reprocha non-seulement d'avoir prononcé contre un évêque d'un des plus grands Siéges, ce qui regardoit saint Cyrille patriarche d'Alexandrie, mais encore d'avoir déposé deux évêques sur lesquels il n'avoit aucun pouvoir, ce qui convenoit également à Cyrille et à Memnon 2. C'étoient là, dit le concile d'Ephèse, deux attentats qui renversoient tout l'ordre de l'Eglise. Mais quand le Pape prononce, surtout en matière d'hérésie, contre quelque évêque que ce soit et quelque Siége qu'il remplisse, loin d'y trouver à redire, chacun se soumet; ce qui prouve qu'il est reconnu pour le supérieur universel. M. Dupin n'a voulu parler ni de cette soumission de Cyrille, ni de cet attentat de Jean d'Antioche, encore qu'ils soient très-marqués dans les actes du concile d'Ephèse; et une histoire qui devoit être si circonstanciée, manque absolument de toutes les circonstances qui font voir le droit du Pape. Mais voici encore sur ce même point, une omission bien plus affectée, et en même temps plus essentielle.

QUATRIÈME REMARQUE.

Omission plus importante que toutes les autres. Sentence du concile

tronquée.

S'il y a quelque chose d'essentiel dans l'histoire d'un concile, c'est sans doute la sentence. Celle du concile d'Ephèse fut conçue en ces termes : « Nous, contraints par les saints Canons et par la lettre de notre saint Père et comministre Célestin, évêque de l'Eglise romaine, en sommes venus par nécessité à cette triste 1 Cyr. Epist. ad Cælest. Conc. Eph. I part., cap. XIV, col. 344. - Lib. Cyr. ad Syn. Eph Act. Iv, col. 635. Relat. Syn. ad Cælest. Act. v, col. 659.

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