eux. » C'est quelque chose pour faire voir qu'absolument on avoit droit de passer outre sans les attendre; mais si l'on ne dit autre chose, il reste un juste soupçon qu'on les prit au mot un peu vite, et que leur civilité méritoit bien qu'on n'en usât pas en toute rigueur avec eux. Il falloit donc avoir plus de soin d'expliquer ce qui obligeoit le concile à commencer. C'est que les évêques pressoient extraordinairement, « parce qu'ils souffroient d'extrêmes incommodités, plusieurs étant accablés de vieillesse, d'autres étant tombés malades ou épuisés par la dépense, quelques-uns même étant morts ', » et tous étant pressés du désir de retourner à leurs églises. Nous vovons le même empressement dans tous les conciles. On y souffroit avec peine les moindres délais, que les évêques regardoient comme une espèce de persécution et comme un moyen de lasser leur patience. Ajoutez encore à cela que c'étoit constamment la vue de Nestorius, et qu'on avoit tout sujet de croire que Jean d'Antioche étoit entré dans ce dessein. Ce patriarche et les principaux de ses évêques étoient intimes amis de Nestorius, et « tout le concile croyoit qu'il en regardoit la condamnation comme un affront pour son église, dont cet hérésiarque avoit été tiré, et qu'il ne vouloit pas y être présent. » On avoit senti d'abord qu'il vouloit brouiller en faveur de son ami, et ce qu'il fit étant arrivé, justifia ce soupçon. Il ne cherchoit qu'à gagner du temps en proposant à l'empereur une nouvelle assemblée 3. C'étoit un artifice de Nestorius, qui en avoit fait le premier la proposition. C'eût été toujours à recommencer. Cependant les Pères d'Ephèse s'écrioient : « Le chaud nous tue: tous les jours on enterre quelqu'un on est contraint de renvoyer les domestiques malades: le concile est opprimé par ceux qui en empêchent la conclusion . » Tout cela étoit regardé comme une suite des premiers délais de Jean d'Antioche. La longueur du chemin, qu'il alléguoit, ne paroissoit qu'un prétexte : il y avoit eu du temps plus qu'il n'en falloit, depuis six mois que les lettres de convocation étoient par 1 Act. I. Epist. Cyr. ad quosd. Act. 1, Relat. Syn. ad Cœlest., Art. v. Relat. ad Imp. init., Ep. Cath. -Ep. Nest. ad Imper., Act. 1. Common. ad Cler. C. P., ibid. - ties; et le concile met en fait dans sa Relation au Pape1, « que des évêques bien plus éloignés que Jean d'Antioche étoient arrivés devant lui. » On crut donc avec vraisemblance qu'il ne vouloit pas venir, quelque empressement qu'il témoignât; et que cela fùt ou non, il suffit qu'on eùt raison de le soupçonner. On fut confirmé dans ce soupçon, lorsqu'il envoya deux évêques dire qu'on pouvoit commencer sans lui. En effet ne pouvoit-il pas aussitôt arriver lui-même que ces évêques qui vinrent faire cette déclaration de sa part? Au reste il est bien constant qu'ils la firent fort sérieusement, et non-seulement une fois, mais plusieurs 2. Ainsi on ne savoit plus que croire de Jean d'Antioche: on ne savoit quand il lui plairoit d'arriver, ni jusqu'où on seroit obligé de tenir tant d'évêques inutiles, si l'on persistoit à l'attendre. Des remarques si nécessaires pour la défense du concile ne paroissent point dans notre auteur. C grand observateur n'observe rien ou, ce qui est pire encore, il dissimule tout. Il a bien marqué une plainte de Jean d'Antioche3, parce qu'elle semble charger saint Cyrille, et il la laisse sans réplique. C'est que peu de jours avant l'ouverture, saint Cyrille lui avoit écrit que le concile attendoit son arrivée. Ce sont, selon Jean d'Antioche, les paroles de la lettre de saint Cyrille. Je l'en veux croire sur sa parole, quoique tous ses autres déguisemens et ses procédures emportées le rendent suspect. Quoi qu'il en soit, et en prenant à la rigueur ces paroles de saint Cyrille, qu'on ne voit que dans la lettre de son ennemi, elles peuvent servir à faire voir ses bonnes dispositions. Que si l'on prit aussitôt après d'autres conseils, outre les raisons de presser qui peuvent être survenues d'ailleurs, les deux évêques de Jean d'Antioche arrivés depuis, changèrent les choses. Car il paroît par les Actes, que l'on commença aussitôt après leur venue, et que leur déclaration fut ce qui détermina à commencer, à cause que la faisant avec la force qu'on vient de voir, on la prit pour très-sérieuse, et qu'ils parurent eux-mêmes presser l'ouverture du concile. 1 Act. v. 2 Epist. Cyr, ad quosd., etc. Act. 1. Relat. ad Imper. Relat. ad Calest., ubi supr. 3 P 711. - Conciliab., Act. 1, Epist. ad Imper., ubi sup. - Relat. ad Caelest. Act. v. Apol. ad Imper., III part., cap. XIII. Après cela, les délais que Nestorius demandoit ne parurent qu'amusemens pour fatiguer les évêques. On ne fit non plus aucun état de ce que Candidien, commissaire de l'empereur, fit au delà de son pouvoir, pour retarder. M. Dupin dit beaucoup de choses de ce commissaire; mais il en omet une, qui seule pouvoit suffire à justifier le concile de précipitation; c'est que sa commission qu'il y lut, faisoit voir que « la volonté de l'empereur étoit qu'on expédiàt sans délai la définition des matières de la foi 1. » Ce que fit ensuite ce commissaire pour éloigner le concile, doit être considéré comme l'action d'un homme livré à Nestorius, et qui excédoit son pouvoir. C'en est assez sur cette matière, quoiqu'on pùt encore marquer d'autres circonstances; mais celles-ci sont suffisantes pour faire voir qu'après avoir poussé l'objection à toute outrance, l'auteur répond ce qu'il y a de plus foible, et tait ce qu'il y a de plus important. NEUVIÈME REMARQUE. Suite des réponses de l'auteur pour le concile : déguisement en faveur des partisans de Nestorius. Pour justifier le concile de toute partialité, et faire voir que saint Cyrille n'avoit besoin ni d'artifice ni de cabale pour y faire triompher la vérité, il étoit aisé d'ajouter aux timides conjectures de l'auteur, des faits qui ferment la bouche. Il ne paroit aucun démêlé particulier entre saint Cyrille et Nestorius. Saint Cyrille avoit applaudi avec tous les autres à l'élévation de ce patriarche, et il ne l'avoit troublé en rien, jusqu'à ce qu'il eùt découvert son impiété. Mais alors le monde n'eut pas besoin d'ètre excité : tout l'univers s'émut d'abord, et l'Occident s'unit avec l'Orient contre ce novateur. Deux cents évêques assemblés canoniquement et parfaitement unis, prononcèrent la sentence avec le Pape et toute l'Eglise latine. C'est une étrange partialité qui soulève tout d'un coup toute l'Eglise. Cette faction prétendue commença à Constantinople, c'est-à-dire dans le propre siége de Nestorius, où il étoit soutenu par l'autorité du prince, et où tout étoit sous 1 Act. I, init. — 2 P. 773. — 3 Cyr. Apol. ad Imper. sa main. Cependant il fut d'abord abandonné de tout son clergé et de tout son peuple, sans qu'il en parût d'autre motif que l'horreur qu'on eut de sa doctrine. Il fut si délaissé malgré sa faveur et la grandeur de son Siége, qu'à peine il put ramasser neuf ou dix évêques, la plupart flétris, déposés, sans siége, hérétiques, pélagiens, chassés d'Italie, qui cherchoient auprès de lui un vain recours. Vingt-six évêques d'Orient pouvoient bien brouiller, comme ils firent, mais non pas contre-balancer l'autorité d'un si grand concile. Je ne sais pourquoi M. Dupin veut faire accroire à ses lecteurs, que le zèle du peuple de Constantinople s'étoit ralenti : « Les esprits, dit-il, étoient fort partagés à Constantinople: le peuple écoutoit assez favorablement les évêques d'Orient, non pas dans les églises, car on ne voulut pas les y recevoir, mais dans une maison 1. >> Il est vrai que les députés de ces évêques tenoient des assemblées, où ils se vantoient que le peuple assistoit en foule. Mais tout cela se passoit à Chalcédoine, où ils avoient reçu ordre de demeurer, comme notre auteur le dit lui-même 2. C'est aussi de là qu'est écrite la lettre de Théodoret à Alexandre d'Hiéraple, où il est parlé de ces assemblées ; et quand on voudroit supposer que le peuple de Constantinople passoit le trajet pour y assister (ce qui néanmoins ne se trouve pas dans la lettre de Théodoret que nous avons dans les Actes), il ne faudroit pas conclure de là que ce peuple se partageât, autant qu'on voudroit nous le faire accroire, sur le sujet de Nestorius, puisque nous voyons dans le même temps tout ce peuple, solennellement assemblé dans la basilique de saint Mocius martyr, s'écrier tout d'une voix, et par deux fois : Anathème à Nestorius. C'est donc une fausseté que le peuple écoutat si favorablement les partisans de Nestorius, et que les esprits fussent si fort partagés. Pour ce qui est de ces assemblées, on n'en peut tirer aucune conséquence, puisque de l'aveu de Théodoret elles se faisoient sans oblation et sans lecture de l'Ecriture, qui étoient les marques 1 P. 779.2 P. 727. Init. Act. Conc liab., post Act. VI. Ep. Cath., post Act. vi. . - Rescript. Ep. inter. d'une assemblée légitime et d'une vraie communion ecclésiastique. On y faisoit des prières pour l'empereur et des discours de religion, que l'éloquence de Théodoret et la curiosité rendoient célèbres; et nous voyons par les Actes', que personne n'auroit écouté ces évêques partisans de Nestorius, s'ils n'eussent déguisé leurs sentimens. L'auteur nous veut faire accroire « qu'ils ne purent venir à Constantinople, à cause des mouvemens que les moines excitoient; » comme s'il n'y eût eu que les moines qui leur fussent opposés. C'est bien ce que disent ces schismatiques, pour couvrir en quelque façon la répugnance universelle qu'on avoit pour la doctrine et pour le nom même de Nestorius qu'ils soutenoient; mais ce n'est pas la vérité. Tout le clergé et tout le peuple, qui d'eux-mêmes et sans y être poussés, avoient abandonné leur patriarche, persistoient à se tenir séparés de lui. Vouloir attribuer cette répugnance à la faction des moines, c'est trop donner dans les sentimens des schismatiques. DIXIÈME REMARQUE. Outrageantes objections contre le concile, demeurées sans réponse. Parmi les objections contre le concile, que rapporte M. Dupin, en voici une qui paroit l'avoir fort touché; car il ne dit pas un mot pour y répondre. «La sentence qu'ils font signifier (les Pères d'Ephèse) à Nestorius, est conçue en des termes qui marquent la passion qui les animoit: A Nestorius, nouveau Judas. N'étoitce pas assez de le condamner et de le déposer, sans l'insulter encore par des paroles injurieuses ? » A cela il ne trouve rien à répondre. Le concile a tort: saint Célestin aura tort aussi d'avoir appelé Nestorius un loup sous la figure d'un pasteur : les empereurs Théodose et Valentinien auroient excédé, lorsqu'ils ordonnèrent qu'on donnât aux nestoriens le titre de simoniens, du nom de Simon le Magicien, auteur de toutes les hérésies, et enparticulier de celles qui entreprenoient de dégrader le Fils de 1 Relat. ad Cælest., etc. 2 P. 771. - 3 Epist. ad Cæiest. et pop, C. P., I part., cap. XIX.- Conc. Eph., part. III, cap. XLV. Coll. Lup., cap. CXCI. |