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Dieu. Ils le firent pourtant à l'exemple de Constantin le Grand, qui ordonna que les ariens seroient appelés du nom de Porphyre, un païen, ennemi, comme eux, de Jésus-Christ. Il y a de faux modérés, de faux équitables, qui voudroient qu'on épargnat les hérésiarques. Mais l'Eglise n'a jamais été de cet esprit. Elle disoit à tous les évêques, par la bouche de saint Célestin : Duris dura responsio ; il faut abattre ces superbes : il faut rendre abominables au peuple ces empoisonneurs qui tuent les ames. On appeloit les nestoriens des Juifs, parce qu'ils nioient comme les Juifs que Jésus-Christ fùt Dieu: on donna le même nom à un évèque disciple de Nestorius, qui soutint en sa présence « que les Juifs n'avoient été impies que contre un homme . » On crut, et avec raison, qu'il parloit lui-même en Juif, et qu'il tâchoit de purger les Juifs du déicide. Nestorius, qui conspiroit avec eux pour nier la divinité de Jésus-Christ, qui la nioit lui-même, qui venoit d'être déposé et de perdre son apostolat pour avoir trahi son Maitre en blasphémant contre lui, pouvoit bien être appelé un nouveau Judas. C'est sur cela cependant qu'on accuse les Pères d'Ephèse d'animosité et de passion. Il ne sied pas bien à M. Dupin de laisser cette témérité sans réponse; ou s'il a méprisé cette objection, qui en effet n'étoit digne que de mépris, il ne devoit pas étaler son éloquence pour dire sous le nom d'autrui des injures à tout un concile.

Il ne répond pas non plus à un autre reproche aussi sanglant qu'il lui fait faire, d'ètre tombé dans le défaut marqué par saint Grégoire de Nazianze, qui est «qu'ordinairement ceux qui se mè loient de juger les autres, y étoient portés plutôt par leur mauvaise volonté que par le dessein d'arrêter les fautes des autres.» Il laisse cela sans réplique, quoique ce fùt le lieu de marquer la douceur, les ménagemens, la longue attente, la charité du concile et de saint Cyrille envers Nestorius, et les larmes qu'on répandit sur sa contumace, tant en l'accusant qu'en prononçant sa sentence.

Il fait encore objecter, en confirmation de ces mauvaises inten2 Conc. Eph., Act. I.

1 Epist. ad Nest. part. I, cap. XVIII, col. 353. 3 P 772. Act. 1. Apol. ad Imperat. Il part., cap. XIII.

tions du concile, que les troubles qui l'ont suivi les font connoître, « et qu'on peut dire que ces troubles ne furent arrêtés, que parce qu'on ne parla plus de ce qui y avoit été fait 1. »

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La fantaisie des censeurs du concile d'Ephèse est en effet, que dans toute cette dispute il ne faut presque considérer que l'accord avec les Orientaux, sans plus parler du concile même. Pour satisfaire à ce doute, il ne suffit pas de répondre « qu'on ne toucha point dans l'accord à la condamnation de Nestorius, et que le jugement du synode, touchant sa personne et sa doctrine, fut suivi 2;» car tout cela se peut faire, comme parle M. Dupin, « pour le bien de la paix, et pour ôter tout scandale » par consentement à la chose même dans le fond, sans se soumettre au concile dans sa forme; et c'est ce que veulent dire ceux qui font cette objection outrageuse, que les troubles ne furent arrêtés que parce qu'on ne parla plus de ce qui avoit été fait dans le concile, comme si l'on avoit fait la paix sans en parler. Or le contraire est certain, puisque le concile d'Ephèse, où Célestin étoit par ses légats, fut reçu dans l'accord même, avec mention expresse qu'on s'y soumettoit par un acquiescement à sa sentence dans toutes ses parties ; et ce fut la déclaration qu'on exigea que Jean d'Antioche et les évêques qui étoient avec lui, fissent en termes formels dans une lettre synodique adressée au pape saint Sixte, à saint Cyrille et à Maximien de Constantinople, pour être ensuite répandue dans toute l'Eglise; ce qui dissipe, en un mot, toutes les fausses idées qu'on pouvoit avoir du concile, comme si l'on n'en eût pas fait assez d'état dans l'accord. Et il faut ici bien remarquer que l'auteur rapporte cet acte, sans faire aucune mention qu'on y ait parlé du concile d'Ephèse, ni de l'acquiescement qu'on vient de voir à sa sentence, et sans qu'il y ait un seul mot dans toute son histoire pour marquer une chose si essentielle à l'autorité du concile.

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ONZIÈME REMARQUE.

Irrévérence envers le concile de Nicée II, et le concile de Chalcédoine.

Le concile d'Ephèse n'est pas le seul que notre auteur ait maltraité. Tout le monde est scandalisé de lui voir réfuter pied à pied le concile II de Nicée, et le plus souvent sans l'entendre'.

Pour le concile de Chalcédoine, je ne crois pas qu'un homme bien sage eût pu se résoudre à en faire cette peinture : « Les uns crioient qu'il étoit déposé de son siége: les autres l'accusoient d'être nestorien les Orientaux crioient contre Dioscore et les Egyptiens, ceux-ci crioient contre les Orientaux. Cela auroit duré longtemps, et leur assemblée auroit dégénéré en cohue, si les commissaires n'eussent arrêté ces cris populaires 2. » Ces basses expressions devoient être bannies de ce lieu; et je ne sais si l'on me pardonnera de les avoir répétées. M. Dupin avouera qu'il pouvoit montrer le concile par de plus beaux endroits; et s'il en vouloit marquer les cris, il en eût pu rapporter de ceux que le zèle de la foi et l'amour de la discipline avoient fait pousser. Ceux qu'il raconte n'étoient pas plus de son sujet, et rien ne paroît le déterminer à ceux-ci plutôt qu'aux autres, que le plaisir d'étaler quelque chose qui ne semble pas assez réglé. Encore s'il avoit daigné remarquer qu'en ce temps-là, dans les assemblées ecclésiastiques aussi bien que dans les civiles, et même dans le sénat, qui étoit la plus auguste assemblée de cette nature, souvent on opinoit par acclamation, et s'il eut voulu ajouter que les Pères de Chalcédoine se calmèrent d'abord, on eût vu une occasion naturelle de tels cris, et l'on n'eût pas été surpris qu'une assemblée de six cents évêques ait eu besoin une fois ou deux d'être avertie de la gravité convenable à des évêques, et du bon ordre qu'il falloit garder dans un concile. Il y avoit d'autres circonstances qui pouvoient adoucir une idée capable de faire de la peine. Mais notre auteur a mieux aimé se signaler par un air de liberté, et il préfère à des termes plus respectueux la licence et le style du marché.

1 Tom. v, p. 456. -2 Hist. du Conc. de Chal., p. 832.

CHAPITRE III.

Sur les Dogmes.

PREMIERE REMARQUE.

Trois erreurs justement imputées à notre auteur. Première erreur : que Nestorius ne nioit pas que Jésus-Christ fût Dieu, ou que la manière dont il le nioit n'est pas celle qui a causé tant d'horreur.

L'habile homme qui a fait imprimer un Mémoire adressé à la Sorbonne, objecte à M. Dupin un endroit de son Histoire, où il dit trois choses sur le dogme de Nestorius: la première, «< que l'horreur extrême que le peuple en témoigna, étoit attachée à une fausse idée» la seconde, « que quand on connut que son erreur étoit plus subtile, saint Cyrille demeura d'accord qu'il eût mieux valu ne pas remuer cette question; » la troisième, « qu'elle consistoit autant dans les mots que dans les choses'. » Voilà trois particularités que M. Dupin nous découvre. On voit assez où elles tendent; et il ne reste qu'à examiner ce qu'il en faut croire.

Premièrement, est-il véritable que l'horreur que tout le peuple témoigna d'abord contre l'erreur de Nestorius, étoit attachée à une fausse idée? M. Dupin le prouve ainsi : « C'est qu'il parloit, dit-il, d'une manière qui pouvoit faire croire qu'il étoit dans l'erreur de Photin et de Paul de Samosate. Ce fut pour cela, continue-t-il, que les prédications de Nestorius et de ses amis causèrent un si grand scandale. On crut d'abord qu'il étoit dans les sentimens de Paul de Samosate: la chose étant ensuite bien examinée, on reconnut bien que son erreur étoit plus subtile. >>

Mais encore pourquoi crut-on que Nestorius étoit dans cette erreur? Notre auteur va nous l'apprendre. « Quand, dit-il, on dit à un peuple, qui est accoutumé à entendre dire en parlant de Jésus-Christ, qu'un Dieu est né, qu'un Dieu est mort, etc.; quand on lui vient dire que ces propositions sont fausses et insoutenables, il s'imagine aussitôt qu'on nie que Jésus-Christ soit Dieu.>> 1 Mém., p. 2. Histoire du Conc. d'Ephès., p. 776, 777.

Si M. Dupin se fùt souvenu, je ne dis pas de sa théologie, mais des premières instructions du christianisme, il n'eût pas appelé cela imagination; puisqu'au contraire, si d'un côté Jésus-Christ est né et est mort, et si de l'autre il est faux et insoutenable qu'un Dieu puisse naître et mourir, il ne reste autre chose à croire, sinon que Jésus-Christ n'est pas Dieu; ce qu'on ne peut entendre avec trop d'horreur.

C'étoit là en effet le fond de l'erreur de Nestorius. Quelque dissimulé qu'il fût, il ne falloit pas le presser beaucoup pour lui faire dire, non par conséquence, mais ouvertement, que Jésus-Christ n'étoit pas Dieu. Tout le monde sait ce blasphème dont il fut convaincu dans le concile d'Ephèse : « Je ne dirai pas que cet enfant de deux ou trois mois (en parlant de Jésus-Christ) soit Dieu. » Dans son premier anathématisme, il condamne ouvertement ceux qui disent que Jésus-Christ soit vrai Dieu 1. On trouve dans ses cahiers rapportés dans le concile d'Ephèse, « que Jésus-Christ étoit Dieu comme Moïse étoit appelé le dieu de Pharaon 2. M. Dupin remarque lui-même que dès le commencement, saint Cyrille lui reprocha que « quelques-uns (et ces quelques-uns étoient Nestorius lui-même et ses partisans) ne vouloient plus souffrir qu'on appelat Jésus-Christ Dieu, et ne l'appeloient pas autrement que l'instrument de la Divinité. » Ce n'étoit donc pas imagination de croire qu'il rejetàt cette vérité.

Au reste il ne faut pas se persuader que l'horreur du peuple fût attachée aux idées précises de Paul de Samosate. En quelque sorte qu'il entendit dire que Jésus-Christ n'étoit pas Dieu, c'étoit assez pour exciter son indignation. M. Dupin a cru éluder cette objection en remarquant trois manières de le dire: celle de Paul de Samosate, celle d'Arius, celle de Nestorius. Cette distinction lui est inutile, puisque le peuple catholique les détestoit toutes, comme également inouïes. Il a détesté Paul de Samosate, qui a nié que Jésus-Christ fùt Dieu, en le faisant un pur homme: il a détesté Arius, qui a nié qu'il fùt Dieu, parce que le Verbe, qui ne faisoit qu'une même personne avec lui, ne l'étoit pas il ne dé

1 Conc. Eph. I part., cap. II, IX. -2 Quat. XXVII, Conc. Eph. Act. I. ad Nest., part. I, cap. VI.

Rep. au Mém., p. 6.

3 Epist.

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