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considérée par les eutychiens comme le fondement de leur doctrine.» Mais il en impose à ce Saint. Il préféroit si peu cette expression à toutes les autres, qu'il ne s'en est jamais servi, ni dans le concile, ni dans la Lettre d'union après le concile, ni enfin dans aucune lettre synodique, devant ou après. On en trouve quelque chose devant le concile, dans un traité de saint Cyrille contre Nestorius; mais on n'y voit pas les termes précis. On trouve devant le concile, ce terme précis dans la Lettre aux Impératrices; mais dans un passage de saint Athanase qui y est cité; et il n'est peut-être pas inutile de remarquer que ce passage de saint Athanase, quoique rapporté deux fois tout entier par saint Cyrille comme constamment de ce Père, n'est pas de ceux qu'on produit du même saint Athanase dans le concile d'Ephèse'; tant saint Cyrille cherchoit peu à autoriser cette expression, qu'on lui veut faire préférer à toutes les autres. Vous diriez qu'il ait senti l'abus qu'on en pouvoit faire, et qu'il ait évité de l'autoriser par un acte public. Quoi qu'il en soit, il est bien certain qu'elle ne se trouve que dans des lettres particulières écrites après le concile, et que saint Cyrille s'en servit, non pas, comme dit M. Dupin, « pour contenter ceux qui ne pouvoient souffrir qu'on admit deux natures en Jésus-Christ 3; » car c'eût été une manifeste prévarication indigne de ce saint docteur; mais à cause qu'on la crut utile pour exprimer qu'en distinguant les natures, il ne falloit pas pour cela les diviser après l'union, ni les reconnoître comme agissantes séparément, ni les séparer autrement que par la pensée.

Je ne veux pas non plus entrer dans la question du passage de saint Athanase dont on vient de parler. Je laisse en repos M. Dupin et tous ceux qui, comme lui, croiront mieux connoître ce qui est de saint Athanase, par des auteurs qui ont écrit cent ans après, que par saint Cyrille, qui lui succéda trente ou quarante ans après sa mort, et qui avoit en main ses écrits qu'on gardoit précieusement dans Alexandrie. Tout cela ne me regarde pas; et sans me jeter dans des critiques contentieuses, je ne m'arrête

1 Adv. Nest., lib. I, cap. III. 2 Epist. ad Reg., Conc. Eph., I part., cap. IV. Apol. pro duodec. cap. adv. Orient, Act. 1. - P. 780.

qu'aux faits constans. C'en est un dans la lettre à Successus, que saint Cyrille s'y servant de cette expression: Una natura incarnata, dit précisément que les Pères ont parlé ainsi1. Il avoit des contradicteurs assez éveillés pour être relevé sur ce fait, s'il eût été faux ou douteux, et il est trop tard pour l'en démentir. Quoi qu'il en soit, on voit clairement qu'il ne veut pas se donner pour auteur de cette expression, dont on veut maintenant nous faire accroire qu'il s'est servi le premier '.

M. Dupin continue à faire l'histoire de ce mot; il dit que le concile de Chalcédoine ne s'en est pas voulu servir. Il falloit donc ajouter qu'il le laissa passer trois ou quatre fois sans y trouver à redire, pas même lorsqu'on produisit la lettre dans laquelle Flavien déclaroit qu'il ne refusoit point de parler ainsi3; ce qui n'empêcha pas qu'à l'instant même sa foi ne fût approuvée de tout le concile.

Ce qu'ajoute M. Dupin', qu'on n'osa condamner cette expression, insinue qu'on en avoit eu quelque envie ; mais on n'en voit rien dans les Actes, et ce sont là de ces découvertes dont cet auteur orne son histoire.

L'Eglise songeoit si peu à la condamner, qu'au contraire elle est reçue dans le concile cinquième comme approuvée par les Pères; et quand notre historien s'est contenté de dire simplement que plusieurs auteurs grecs s'en sont servis depuis saint Cyrille, il est bon de se souvenir que, parmi ces plusieurs auteurs grecs, il faut compter tout un concile œcuménique tenu à Constanti nople'.

Pour ce qui est des Pères latins, M. Dupin nous assure qu'on y trouve rarement cette expression, et qu'il y a peu de théologiens qui l'aient approuvée. Je crois qu'il voudra bien mettre au rang des Pères latins, le pape saint Martin I, avec cent ou six vingts évêques d'Italie, qui célébrèrent avec lui le concile de Latran, où cette expression est approuvée par un canon exprès ". Elle n'est donc pas si rare, dans l'Eglise d'Occident, que notre auteur nous le dit. Quand après tant d'approbations authentiques de

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cette expression, il ose ajouter que peu de théologiens l'approuvent, au lieu de dire que peut-être ils ne trouvent plus nécessaire de s'en servir, ou ces théologiens sont bien difficiles, ou lui-même il parle peu juste, et il est un mauvais interprète de leurs senti

mens.

HUITIEME REMARQUE.

Paroles de Facundus altérées, pour faire voir que saint Cyrille a excédé.

Ce qu'on vient de voir de l'auteur n'est pas le seul effet du peu d'inclination qu'il témoigne pour saint Cyrille. Il cite un passage de Facundus, pour montrer « que saint Cyrille, emporté comme beaucoup d'autres par la chaleur de la dispute, a tellement combattu une erreur, qu'il semble pencher vers la contraire 1. » Mais Facundus ne dit point cela il ne parle ni d'emportement, ni de chaleur de dispute : tout cela est une addition de M. Dupin ; il dit seulement «que pour réprimer Nestorius qui divisoit Jésus-Christ en deux, saint Cyrille tournoit son discours à exprimer l'unité, comme les anciens, en combattant Apollinaire qui confondoit les natures, s'appliquoient aussi davantage à en exprimer la distinction; » ce qui ne vient nullement de la chaleur des partis; « mais, comme dit ce docte auteur, de l'ordre et de la méthode qu'il faut garder en chaque dispute; » et il est si éloigné de penser ici aux emportemens ordinaires des disputes échauffées, qu'il soutient même que Jésus-Christ en a usé de la même manière qu'il attribue à saint Cyrille; si bien qu'il n'y a rien de moins à propos que d'alléguer ici Facundus, et de chercher cette occasion d'attaquer saint Cyrille.

Au reste si je m'attache à le défendre du reproche qu'on lui fait ici, ce n'est pas par un aveugle entêtement de trouver son style sans défaut, ni aussi qu'il me paroisse si criminel d'imputer aux Pères quelque chaleur dans la dispute; mais c'est que je connois le style des critiques. Un des moyens dont ils se servent pour éluder l'autorité des saints docteurs, est de dire qu'ils s'emportent et tombent dans des excès en disputant, ce qui n'est pas impossible 2 Facund., lib. VI, cap. III.

1 P. 778.

quelquefois et jusqu'à un certain point. Mais j'oserai bien assurer que saint Cyrille est un de ceux en qui l'on remarquera le moins ce défaut, même dans ses longues disputes avec les nestoriens; et quoi qu'il en soit, on est peu exact d'alléguer, pour l'en accuser, Facundus qui n'y songe pas.

NEUVIÈME REMARQUE.

Pente à excuser Nestorius et ses partisans.

Je n'en sais pas la raison, mais l'affectation est visible. Ne répétons plus ce qu'on a vu dans les remarques précédentes; mais pourquoi dire qu'au temps de l'accord « sa condamnation fut approuvée par presque tous les évêques catholiques 1? » Est-ce qu'il y eut quelques évêques catholiques qui ne l'aient pas approuvée ? Tous ceux qui avoient refusé d'y souscrire, et qui avoient fait à Ephèse un concile schismatique contre un concile universel, n'avoient été reconnus pour catholiques qu'en condamnant Nestorius. Quels étoient donc les catholiques qui l'approuvoient, et qui sont ceux qu'on appelle catholiques? Ce ne peut être Alexandre d'Hiéraple, et les autres qui se séparèrent de l'Eglise. Car ceux-là furent les seuls qui ne voulurent jamais consentir à la condamnation de Nestorius. Sont-ce là les catholiques de M. Dupin? Ils étoient, dira-t-il peut-être, catholiques dans la foi. Je le nie je les maintiens vrais nestoriens, et l'on en verra bientôt les raisons; mais, en attendant, il est bien constant qu'ils rompirent ouvertement avec l'Eglise catholique. Si avec cela l'on est catholique, où en est l'unité de l'Eglise? Cet auteur ne sait ni penser ni parler en théologien je n'en veux pas dire davantage.

Passons outre. En expliquant la doctrine de Nestorius, falloit-il dire toujours qu'il sembloit n'admettre qu'une union morale entre les deux natures de Jésus-Christ, et qu'il se servoit d'expressions qui sembloient en diviser la personne 2?» Et remarquez comment il parle : « Il étoit visible, dit-il, qu'il avoit nié que la Vierge pût être appelée Mère de Dieu, et qu'il se servoit d'expressions qui sembloient diviser la personne de Jésus-Christ en P.774.- - 2 Tom. III, II part, p. 152.

TOM. XX.

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deux'. » Il étoit visible... il sembloit. On voit bien qu'il craint d'en trop dire sur le second chef de l'accusation, et que Nestorius de ce côté-là ne lui paroît pas trop convaincu. Aussi dit-il en un autre endroit dont nous avons déjà parlé, que saint Cyrille veut le convaincre d'erreur sur le même point. Il évite de dire qu'il l'a convaincu, et de donner trop d'avantage à la bonne cause contre l'auteur d'une hérésie si pernicieuse. Il sembloit; on veut le convaincre. Ce n'est pas ainsi que saint Cyrille, saint Célestin, tous les Pères et le concile d'Ephèse ont jugé. Tous ont réprouvé Nestorius, non pas parce qu'il semblait séparer la personne de Jésus-Christ, mais parce qu'il la séparoit en effet. Si ce n'est pas là un point résolu, sur lequel on ne veut pas seulement convaincre Nestorius, mais on le convainc en effet; et si l'on peut dire avec la moindre couleur, qu'il a reconnu une union réelle et substantielle entre les deux natures de Jésus-Christ, de quelle erreur a-til pu être convaincu? Car c'est là le fond de son hérésie, dont tout le reste n'est qu'une suite. M. Dupin abuse trop visiblement de l'autorité des théologiens catholiques, de celle du père Petau, de celle du père Garnier et des autres, lorsqu'il répond qu'ils sont demeurés d'accord que Nestorius dissimuloit son erreur, et ne vouloit pas avouer « qu'il y eût deux Christs, deux Fils de Dieu, deux personnes en Jésus-Christ. » Il est vrai qu'il ne vouloit pas l'avouer en autant de mots; mais il l'avouoit en termes équivalens toutes les fois qu'il disoit que Jésus-Christ n'étoit pas Dieu, ou qu'il ne l'étoit qu'improprement: qu'un enfant de trois mois n'étoit pas Dieu que la Vierge n'étoit pas Mère de Dieu. Dans toutes ces occasions, il découvroit son venin malgré qu'il en eùt, et ne sembloit pas seulement admettre, mais admettoit effectivement deux Fils, deux Seigneurs, deux personnes, dont l'une étoit Dieu et l'autre ne l'étoit pas. Au lieu donc de nous dire foiblement que Nestorius sembloit diviser la personne de Jésus-Christ, il falloit dire, ce qui est très-vrai, qu'il sembloit quelquefois vouloir en reconnoître l'unité; mais qu'il fut convaincu du contraire, et cela par ses propres paroles, et que c'est là principalement ce qu'on improuva dans sa doctrine. Quelque adresse qu'aient eue les héré1 Tom. III, II part., p. 773. 2 Ibid., p. 111.

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