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tiques, un Pélage, un Célestius, un Nestorius et les autres, de pallier et d'envelopper leurs erreurs, l'Eglise a bien su les mettre au jour; et ce n'est pas sans raison que saint Célestin donne cette louange à saint Cyrille : « Vous avez parfaitement pénétré tous les artifices et tous les détours de Nestorius: OMNES SERMONUM ILLIUS TECHNAS RETEXISTI1. »

Je ne nie pas que l'auteur ne se soit un peu mieux expliqué ailleurs, mais toujours trop foiblement, à cause, comme on a vu, qu'il n'a jamais bien voulu comprendre combien il étoit évident que Nestorius nioit que l'homme Jésus-Christ fùt Dieu. Quand on a une fois molli contre une hérésie, tout est foible pour la combattre. Que direz-vous de ces propositions: Un Dieu est né, un Dieu est mort? Je ne les condamne pas absolument; et de celle-ci : Marie est Mère de Dieu? On le peut dire, et la proposition est vraie en un sens; et de cette autre: Nestorius divisoit les deux personnes de Jésus-Christ; en a-t-il été bien convaincu? Il le semble, et on a voulu l'en convaincre. Comme on affoiblit l'hérésie, on en affoiblit la condamnation. Nestorius fut condamné par presque tous les évêques catholiques on ne veut pas dire par tous. Peut-on répondre aux objections qu'on fait contre le concile qui le condamna ? Cela n'est pas impossible. On n'est pas ferme sur le dogme: on parle tantôt bien, et tantôt mal: on imite en quelque façon Nestorius même, à qui le Pape écrivoit: Vera involvis obscuris: rursùs utraque confundens, vel confiteris negata, vel niteris negare confessa 2. On n'est pas nestorien; mais on flatte par certains endroits ceux qui le sont, et on les endurcit

dans leur erreur.

DIXIÈME REMARQUE.

Sentimens de l'auteur sur les partisans de Nestorius: premièrement sur Jean d'Antioche.

Pour ce qui est des partisans de Nestorius, M. Dupin est le leur trop déclaré. Il veut toujours supposer qu'ils n'erroient que dans le fait ce qui est vrai de quelques-uns: mais je le nie de

1 Epist. ad Cyr., I part., cap. xXV. 2 Epist. ad Nest., 1 part., cap. XVIII. 3 P. 774, 781-783.

Jean d'Antioche: et je le nie encore, mais par un principe différent, d'Alexandre d'Hiéraple et des autres qui persistèrent dans le schisme.

Pour Jean d'Antioche, sa lettre à Nestorius 1, dont il a déjà été parlé, nous donne tout sujet de croire qu'il étoit orthodoxe, mais qu'il ne pouvoit pas croire, comme l'assure M. Dupin, que Nestorius le fùt tout à fait. Car il ne se contente pas de lui faire voir simplement dans cette lettre, comme l'interprète notre auteur, qu'on pouvoit dire que la sainte Vierge étoit Mère de Dieu, et que cette proposition est vraie en un sens. S'il avoit parlé si foiblement, je ne serois pas de l'avis de M. Dupin, et je le croirois mauvais catholique; mais il parle bien d'une autre sorte, et il démontre que ce terme : MÈRE DE DIEU, étoit « véritable, propre à expliquer le mystère, reçu de plusieurs saints Pères et des plus illustres, contredit d'aucun, sans aucun inconvénient, prouvé par saint Paul, nécessaire, puisqu'on ne pouvoit rejeter ce qu'il signifioit sans nier que Jésus-Christ fùt Dieu, et renverser tout le mystère de l'incarnation, ni le taire sans scandaliser l'Eglise, et y introduire le schisme et la nouveauté, contre le précepte de l'Apôtre. »

Cette lettre étant venue à la connoissance de saint Cyrille, il dit qu'il avoit en main une lettre de Jean d'Antioche, « où il reprenoit vivement Nestorius d'introduire des dogmes nouveaux et impies, et de renverser la doctrine laissée aux églises par les évangélistes et par les apôtres *. » Il avoit raison, et tout cela se trouvoit dans la lettre de Jean d'Antioche à Nestorius.

Il est vrai aussi qu'il présupposoit alors, que dans le fond Nestorius avoit de bons sentimens, selon le rapport qu'on lui en avoit fait; et c'est pourquoi il le pressoit, en lui disant : « Quelle difficulté à confesser ce qu'on pense dans le fond? On m'a rapporté que vous avez dit souvent que vous ne rejetteriez point le terme de Mère de Dieu, si quelque célèbre auteur s'en étoit servi. Il y en a des plus célèbres qui l'ont fait : il est inutile de vous les nommer. Vous les savez aussi bien que nous, et vous vous glorifiez

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Conc. Eph., I part., cap. xxv. — 2 P. 781..— 3 P. 457, 777, 781. — Epist. ad Cler. C. P., Act. 1.

comme nous d'être leur disciple. » Comment pouvoit-il donc croire qu'il fut tout à fait orthodoxe, lorsqu'il le vit manquer à la parole qu'il avoit donnée, mépriser ouvertement l'autorité des Pères auxquels il avoit promis de se soumettre, et refuser si obstinément le terme de Mère de Dieu, que lorsqu'il sembla vouloir l'admettre, personne ne crut qu'il le fit sincèrement 1? Cependant après l'avoir si bien conseillé, Jean d'Antioche se laisse entraîner dans sa faction, et préfère l'ami à la foi. Cela n'est que trop ordinaire. M. Dupin connoît des esprits à peu près de ce caractère, qui après avoir repris leur ami, lorsqu'il méprise leurs conseils, ne laissent pas de le soutenir et de l'approuver.

J'en dirai autant de Théodoret, qui, comme nous avons vu, avoit approuvé la lettre de Jean d'Antioche. On voit par ses lettres qu'il s'étoit lié d'une amitié étroite avec Nestorius et avec Alexandre d'Hiéraple, le plus intime de ses confidens. Nous avons déjà remarqué que d'abord il ne vit rien de mauvais dans les anathématismes de saint Cyrille. Il entra ensuite dans la passion de son ami, et aigri contre saint Cyrille, son style si beau d'ailleurs ne produisit que chicanes. On a pitié de Théodoret, un si grand homme, et on voudroit presque pour l'amour de lui que Nestorius, qu'il défendit si longtemps avec tant d'opiniâtreté, eût moins de tort. Mais il en faut revenir à la vérité, et se souvenir qu'après tout un grand homme entêté devient bien petit. Théodoret a bien parlé depuis des dogmes de Nestorius. Ce n'est pas qu'il ait rien appris de nouveau; mais tant qu'on est entêté, on ne veut pas voir ce qu'on voit.

ONZIÈME REMARQUE.

Sur Alexandre d'Hiéraple et les autres que notre auteur a traités de catholiques.

L'erreur d'Alexandre d'Hiéraple, d'Euthérius de Tyane et de quelques autres, étoit d'un autre genre que celle de Jean d'Antioche et de Théodoret. Ceux-là crurent véritablement Nestorius innocent, non qu'ils errassent dans le fait, comme dit M. Dupin, 1 Socrat., lib. VII, cap. XXXIII. 2 P. 783.

ou qu'ils ignorassent la croyance de Nestorius, mais parce qu'ils en étoient entêtés. Ce sont là ces catholiques de notre auteur1, qui ne voulurent jamais condamner ni le dogme ni la personne de Nestorius, et qui étoient aussi vrais nestoriens. Il ne sert de rien d'alléguer certaines expressions où ils sembloient s'éloigner de cette erreur. Car on les trouve dans les écrits de Nestorius comme dans les leurs. Il ne faut pas croire qu'on trouve toujours dans les hérétiques des idées nettes ou un discours suivi : c'est tout le contraire : l'embrouillement soutenu par l'obstination, fait la plupart des hérésies, et celle d'Eutyche en fut encore depuis un grand exemple. Vouloir au reste imaginer qu'Alexandre d'Hiéraple, le plus intime des confidens de Nestorius et à la fin son martyr, ne sùt pas le fond de ses sentimens, c'est de même que si l'on disoit que personne ne les savoit, et que son erreur étoit une idée. Ce qui ne laisse aucun doute, c'est qu'Alexandre et les autres ont persisté jusqu'à la fin à détester le terme consacré de Mère de Dieu, comme un terme dans lequel ils vouloient trouver tous les mauvais sens imaginables 2, sans jamais avoir voulu entrer dans le bon, qui étoit le simple et le naturel. Enfin ils le détestoient comme « un terme de trahison et de calomnie, qu'on avoit inséré dans l'accord même pour condamner celui qui enseignoit la vérité3, » c'est-à-dire Nestorius. Les catholiques attachoient à ce terme toute la confession de la vérité; et Alexandre au contraire y attachoit l'abrégé et le précis de l'erreur ; d'où il concluoit que Jean d'Antioche et ceux qui avoient consenti à la réunion, avoient embrassé avec ce terme toutes les prétendues hérésies de Cyrille.

Ce fut pour abolir à jamais ce mot qui contenoit l'abrégé de notre foi, qu'il persista jusqu'à la fin à dire, comme il avoit fait à Ephèse dans le faux concile, qu'il ne souffriroit jamais qu'on ajoutât rien au symbole de Nicée : qui étoit alors le langage commun des nestoriens, comme il fut depuis celui des eutychiens et de tous les hérétiques, et le signal perpétuel de la secte.

1 Sup., Rem., VII.

5

Collect. Lup., cap. LXXIII, CXXI.—3 Ibid, cap. LXXXIV.

5 Act. Conciliab. post Act. 6, Exemp. mand. ad

Ibid., cap. LXXXVI.
Joan., etc. Collect. Lup., cap. LVIII.

La cause de son erreur, comme de celle de ses compagnons, c'est qu'ils étoient aheurtés, aussi bien que Nestorius, à ne vouloir jamais croire ni que le Verbe qui étoit Dieu, fût le même que Jésus-Christ homme, ni qu'on pût dire de lui les mêmes choses1; et toutes les fois qu'on le faisoit, ils disoient qu'on introduisoit, non pas l'union des deux natures, mais la conversion de la nature divine dans l'humaine, et qu'on attribuoit la souffrance à la divinité sans jamais vouloir revenir de cette prévention, ni prendre les propositions de l'Ecriture dans la même simplicité et propriété que les Pères avoient fait. Et s'il faut aller à la source, on trouvera que Théodore de Mopsueste avoit laissé en Orient des semences de l'erreur, que Nestorius, Alexandre et les autres avoient recueillies; de sorte qu'il ne fut pas possible, quoi qu'on pût dire, de leur faire entrer dans l'esprit la vraie idée de la foi.

C'est pourquoi ils voulurent toujours demeurer irréconciliables avec saint Cyrille, quelque claire que fùt la manière dont il s'expliquoit.

Il n'y avoit rien de plus précis que ce qu'Alexandre lui-même rapporte de ce patriarche : « Le Verbe, qui est impassible par lui-même, s'étant fait chair, a souffert comme homme'. » Il épilogue néanmoins sur cette expression, pour expliquer à quoi il réduit la difficulté : « Qu'il mette, dit-il, clairement les deux natures, et il s'exempte d'hérésie. » Il devoit donc être content, puisque non-seulement il les avoit mises dès le commencement de la dispute, d'une manière dont Nestorius n'avoit pu s'empêcher d'être content; mais encore puisqu'on avoit mis en dernier lieu cette distinction dans l'accord en termes si clairs, qu'Alexandre n'auroit pu lui-même en inventer de meilleurs.

En un mot, les Orientaux frappés comme lui de cette difficulté, n'avoient rien laissé à dire là-dessus. Jean d'Antioche lui écrivoit : « Homme de Dieu, qu'avez-vous à dire (car on n'oublioit rien pour le fléchir)? Cyrille anathématise la confusion des natures: il enseigne que la divinité est impassible, et qu'il y a deux

1 Collect. Lup., LVII, CXXXVI, CCI, etc. 2 Ibid., LVII. Nest, et Nest. ad Cyr., I part., cap. VIII, IX.

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