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l'on n'eût pas abusé avec trop d'excès de ma discrétion, et si la chose n'étoit pas venue à un point où il faut, pour le service de l'Eglise, mettre en évidence ce qui se trame sourdement dans son sein.

8. Comme madame Guyon sentit d'abord que je trouverois beaucoup de choses extraordinaires dans sa vie, elle me prévint là-dessus en cette manière dans une lettre que j'ai encore toute écrite de sa main et signée d'elle : « Il y a de trois sortes de choses extraordinaires que vous avez pu remarquer la première qui regarde les communications intérieures en silence; celle-là est très-aisée à justifier par le grand nombre de personnes de mérite et de probité qui en ont fait l'expérience. Ces personnes, que j'aurai l'honneur de vous nommer lorsque j'aurai celui de vous voir, le peuvent justifier. Pour les choses à venir, c'est une matière sur laquelle j'ai quelque peine qu'on fasse attention : ce n'est point là l'essentiel; mais j'ai été obligée de tout écrire. Nos amis pourroient facilement vous justifier cela, soit par des lettres qu'ils ont en main, écrites il y a dix ans, soit par quantité de choses qu'ils ont témoignées et dont je perds facilement l'idée. Pour les choses miraculeuses je les ai mises dans la même simplicité que le reste. » La voilà donc déjà dans son opinion communicatrice des graces de la manière inouïe et prodigieuse qn'on vient d'entendre prophétesse de plus et grande faiseuse de miracles. Elle me prie sur cela de suspendre mon jugement, jusqu'à ce que je l'aie vue et entendue plusieurs fois : ce que je fis autant que je pus sur les deux derniers chefs.

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9. Je laisse donc pour un peu de temps les miracles qui se trouvent à toutes les pages de cette Vie; et les prédictions qui sont ou vagues ou fausses, ou confuses et mêlées. Pour les communications en silence, elle tâcha de les justifier par un écrit qu'elle joignit à sa lettre avec ce titre : La main du Seigneur n'est pas accourcie. Elle y apporte l'exemple des célestes hiérarchies qu'elle allègue aussi dans sa Vie en plusieurs endroits : << Celui des Saints qui s'entendent sans parler: celui du fer frotté de l'aimant ; celui des hommes déréglés qui se communiquent un esprit de déréglement: celui de sainte Monique et de saint

Augustin dans le livre x des Confessions de ce Père: » où il s'agit bien du silence où ces deux ames furent attirées, mais sans la moindre teinture de ces prodigieuses communications, de ces superbes plénitudes, de ces regorgemens qu'on vient d'entendre. Je ne parle point des expériences auxquelles on me renvoyoit, ni aussi de certains effets que la prévention ou même la bonne foi peuvent avoir. Ce ne sont rien moins que des preuves, puisque c'est cela même qu'il faut éprouver et examiner, selon ce principe de l'Apôtre : « Eprouvez les esprits s'ils sont de Dieu : » et encore « Eprouvez tout; retenez ce qui est bon. » Quand pour en venir à cette épreuve, j'eus commencé par défendre ces absurdes communications, madame Guyon tâcha d'en excuser une partie comme la rupture de ses habits en deux endroits par cette effroyable plénitude: j'ai sa réponse peu satisfaisante, dans une lettre de sa main qui sert à justifier le fait. Pour l'examen d'une si étrange communication on voit bien qu'il est inutile. Ce qu'il y avoit de bon dans cette réponse, c'est que la dame promettoit d'obéir et de n'écrire à personne; ce que j'avois aussi exigé pour l'empêcher de se mêler de direction, comme elle faisoit avec une autorité étonnante: car j'avois entre autres choses trouvé dans sa Vie, ce qui paroît aussi dans son Interprétation imprimée sur le Cantique, que par un état et une destination apostolique, dont elle étoit revêtue et où les ames d'un certain état sont élevées, non-seulement elle « voyoit clair dans le fond des ames, » mais encore « qu'elle recevoit une autorité miraculeuse sur les corps et sur les ames de ceux que Notre-Seigneur lui avoit donnés. Leur état intérieur sembloit, dit-elle, être en ma main, » ( par l'écoulement qu'on a vu de cette grace communiquée de sa plénitude): sans qu'ils sussent « comment ni pourquoi ils ne pouvoient s'empêcher de m'appeler leur mère; et quand on avoit goûté de cette direction, toute autre conduite étoit à charge. »

10. Au milieu des précautions que je prenois contre le cours de ces illusions, je continuai ma lecture, et j'en vins à l'endroit où elle prédit le règne prochain du Saint-Esprit par toute la terre. Il devoit être précédé d'une terrible persécution contre l'oraison : « Je vis, dit-elle, le démon déchaîné contre l'oraison et contre

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moi qu'il alloit soulever une persécution étrange contre les personnes d'oraison : il n'osoit m'attaquer moi-même il me craignoit trop je le défiois quelquefois il n'osoit paroître : j'étois pour lui comme un foudre. »

11. « Une nuit, dit-elle à Dieu, que j'étois fort éveillée, vous me montrâtes à moi-même, sous la figure de cette femme de l'Apocalypse: vous me montrâtres ce mystère, vous me fites comprendre cette lune; mon ame au-dessus des vicissitudes et inconstances. » Elle remarque elle-même, et le Soleil de justice qui l'environnoit, et toutes les vertus divines qui faisaient comme une couronne autour de sa tête: « Elle étoit grosse d'un fruit; c'est de cet esprit, Seigneur, disoit-elle, que vous vouliez communiquer à tous mes enfans: le démon jette un fleuve contre moi c'est la calomnie: la terre l'engloutiroit, elle tomberoit peu à peu : j'aurois des millions d'enfans: » elle s'applique de même le reste de la prophétie.

12. Dans la suite elle voit la victoire de ceux qu'elle appelle les martyrs du Saint-Esprit. «O Dieu, dit-elle comme une personne inspirée, vous vous taisez! vous ne vous tairez pas toujours. »

Après cet enthousiasme, elle montre la consommation de toutes choses par l'étendue de ce même esprit dans toute la terre. Un peu après elle raconte que, «passant par Versailles, elle vit de loin le Roi à la chasse : qu'elle fut prise de Dieu avec une possession si intime qu'elle fut contrainte de fermer les yeux : elle eut alors une certitude que Sa Majesté l'aidoit d'une manière particulière, et, dit-elle, que Notre-Seigneur permettroit que je lui parlasse. J'écris, poursuit-elle, ceci pour ne rien cacher, la chose ayant à présent peu d'apparence pour une personne décriée. » Mais elle eut en même temps une certitude qu'elle seroit délivrée de l'opprobre par le moyen d'une protectrice (a) de qui on sait qu'elle est peu favorisée, quoiqu'elle la nomme en deux endroits de sa vie.

13. Chacun peut faire ici ses réflexions sur les prophéties de cette dame; car pour moi je ne veux point sortir des faits : c'en est un bien considérable que dans un enthousiasme sur les mer(a) Mme de Maintenon.

veilles que Dieu vouloit opérer par elle, « il m'a semblé, dit-elle, que Dieu m'a choisie en ce siècle pour détruire la raison humaine : pour établir la sagesse de Dieu par la destruction de la sagesse du monde : il établira les cordes de son empire en moi et les nations reconnoîtront sa puissance: son esprit sera répandu en toute chair. On chantera le cantique de l'Agneau comme vierge, et ceux qui le chanteront seront ceux qui seront parfaitement désappropriés : ce que je lierai sera lié, ce que je délierai sera délié je suis cette pierre fichée par la croix sainte, rejetée par les architectes; » et le reste que j'ai lu moi-même à M. l'abbé de Fénelon il sait bien ceux qui assistoient à la conférence, et que c'étoit lui seul que je regardois, parce que c'étoit lui comme prêtre qui devoit enseigner les autres.

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14. Madame Guyon continue à se donner un air prophétique dans son Explication sur l'Apocalypse, d'où j'ai extrait ces paroles « Le temps va venir : il est plus proche qu'on ne pense: Dieu choisira deux témoins en particulier, soit ceux qui seront réellement vivans et qui doivent rendre témoignage; soit ceux dont je viens de parler » (qui sont la foi et l'amour pur); et dans la suite: «O mystère plus véritable que le jour qui luit, vous passez à présent pour fable, pour contes de petits enfans, pour choses diaboliques : le temps viendra qu'aucune de ces paroles ne sera regardée qu'avec respect, parce qu'on verra alors qu'elles viennent de mon Dieu; lui-même les conservera jusqu'au jour qu'il a destiné pour les faire paroître. »

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15. C'est de ses écrits dont elle parle. Elle insinue partout dans sa Vie qu'ils sont inspirés : elle en donne pour preuve éclatante la miraculeuse rapidité de sa main et n'oublie rien pour faire entendre qu'elle est la plume de ce diligent écrivain dont parle David. C'est aussi ce que ses disciples m'ont vanté cent fois : elle se glorifie que ses écrits seront conservés comme par miracle, et « un jour arrivera, dit-elle encore dans l'Apocalypse, que ce qui est écrit ici, sera entendu de tout le monde, et ne sera plus ni barbare ni étranger. »

16. C'est ainsi qu'elle entretient ses amis d'un avenir merveilleux. J'ai transcrit de ma main une de ses lettres au Père la

TOM. XX.

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Combe, duquel il faudra parler en son lieu : j'ai rendu un exemplaire d'une main bien sûre qui m'avoit été donné pour le copier. Sans m'arrêter à des prédictions mêlées de vrai et de faux, qu'elle hasarde sans cesse, je remarquerai seulement qu'elle y confirme ses creuses visions sur la femme enceinte de l'Apocalypse, et que c'est peut-être pour cette raison qu'elle insère dans sa Vie cette prétendue lettre prophétique.

17. Je ramassois toutes ces choses que je crus utiles pourouvrir les yeux à M. l'abbé de Fénelon, que je croyois incapable de donner dans les illusions d'une telle prophétesse quand je les lui représenterois ; et voici encore d'autres remarques que je recueillis dans la même vue.

18. Je ne sais comment je ferai pour expliquer celle qui se présente la première. C'est un songe mystérieux dont l'effet fut étonnant. « Car, dit-elle, je fus si pénétrée de ce songe, et mon esprit fut si net, qu'il ne me resta nulle distinction ni pensée que celle que Notre-Seigneur lui donnoit. » Mais qu'étoit-ce enfin que ce songe, et qu'est-ce qu'y vit cette femme si pénétrée? Une montagne où elle fut reçue par Jésus-Christ : une chambre où elle demande pour qui étoient les deux lits qu'elle y voyoit : « En voilà un pour ma Mère : et l'autre? pour vous, mon Epouse; » un peu après : « Je vous ai choisie pour être ici avec vous. »> Quand j'ai repris madame Guyon d'une vision si étrange : quand je lui ai représenté ce lit pour une épouse séparé d'avec le lit de la Mère, comme si la Mère de Dieu dans le sens spirituel et mystérieux n'étoit pas pour ainsi parler la plus épouse de toutes les épouses: elle m'a toujours répondu : C'est un songe. Mais, lui disois-je, c'est un songe que vous nous donnez comme un grand mystère, et comme le fondement d'une oraison, ou plutôt « non d'une oraison, mais d'un état dont on ne peut rien dire à cause de sa grande pureté. » Mais passons: et vous, ô Seigneur, si j'osois je vous demanderois un de vos Séraphins avec le plus brûlant de tous ses charbons, pour purifier mes lèvres souillées par ce récit, quoique nécessaire.

19. Je dirai avec moins de peine un autre effet du titre d'épouse dans la vie de cette femme. C'est qu'elle vint à un état où

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