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MÉMOIRE

Sur la Notice publiée par M. PILASTRE, intitulée : Expériences faites pour conserver les grains dans le département de Maine et Loire, par M. Ch. GIRAUD.

S'IL est vrai que nous devions juger de l'importance des choses par les réflexions sérieuses qu'elles font naître lorsque nous les examinons, nous conviendrons qu'il en est peu qui soient aussi dignes d'attention que ces inconvéniens graves et malheureusement trop fréquens, qui résultent d'un avilissement ou d'une augmentation dans le prix des denrées essentielles à la nourriture de l'homme.

La recherche d'un remède à ces causes de gêne et de souffrance fut bientôt un besoin pour les esprits susceptibles d'émotions profondes, et qui savaient apprécier toute l'étendue du mal. L'on ne tarda pas à entendre parler de l'application de nouveaux procédés à la conservation des grains; les ventilateurs, les étuves, les greniers fermés et dernièrement les silos, sont autant de moyens qui furent tour-à-tour indiqués et employés. Mais aucune de ces méthodes n'ayant présenté les avantages qu'on devait en attendre, les faits ont continué de suivre leur cours; et ce qui s'est passé récemment sous nos yeux, atteste que le mal est loin d'être détruit.

Un pareil état de choses serait-il de nature à nous faire regarder comme une chimère la tentative d'une utilité aussi éminente? et faudrait-il renoncer à l'espoir de la voir réalisée? Non sans doute; car s'il est nécessaire d'une longue suite de soins et d'efforts pour arriver au bien, il est consolant et également vrai de dire que l'homme dont les recherches ont pour but le mieux-être de son semblable, trouve dans les obstacles qu'il rencontre un motif puissant de courage et de persévérance. La notice que nous signalons à l'attention publique et que vient de publier un de nos compatriotes, est une nouvelle preuve la vérité de notre assertion.

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C'est effectivement après avoir reconnu l'insuffisance des procédés employés jusqu'à ce jour pour la conservation des blés, que l'auteur, ne pouvant envisager sans crainte les malheurs dont nous sommes sans cesse menacés, résolut de chercher et de déterminer les causes qui s'opposent à la conservation de ces objets. Des expériences faites avec soin pendant un certain nombre d'années et décrites par l'auteur avec exactitude, lui apprirent que l'humidité et la chaleur étaient les seuls agens redoutables, et que pour en préserver les grains, il était absolument nécessaire de les soustraire à l'action de l'air extérieur et de la lumière, puissans véhicules de l'un et de l'autre, et qui tous exercent la plus fâcheuse influence sur les produits de la terre.

Voici comment l'auteur rend compte des moyens. qu'il a mis en pratique et des expériences qu'il a faites dans le but de s'assurer de la bonté de sa théorie.

«Je fis construire, dans les premiers jours de 1826, avec des planches de chêne, une caisse divisée en deux parties égales, de chacune un mètre cube que je plaçai dans le coin d'un de mes greniers. Je fis en même temps, à l'extrémité d'un autre grenier, un retranchement de 8 mètres cubes, également divisé en deux parties; trois des côtés étaient fermés par de vieux murs, et le quatrième, ainsi que la séparation, le furent par une cloison en briques; le tout fut enduit avec un bon mortier de chaux et de sable, et le dessus couvert avec des planches bien jointes.

» Le 8 mai de la même année (1826), impatien de faire l'essai de ces nouveaux greniers, je fis remplir une des parties de la caisse avec 10 hectolitres de froment de la récolte de 1824, que je conservais depuis 17 mois dans des sacs de toile, placés dans une espèce de galerie exposée au nord et à un grand courant d'air: l'autre partie, ainsi que le grenier en maçonnerie, le furent avec du blé de la dernière récolte.

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» Le 18 du même mois j'allai les visiter, et je m'aperçus que la caisse était placée trop près d'un toit couvert en ardoises et exposé au midi, qui devait lui transmettre une chaleur plus que suffisante pour favoriser la multiplication des insectes. Je trouvai également que l'humidité de la cloison en briques, qui n'était pas suffisamment sèche s'était communiquée au grain, et que déjà il avait une odeur de moisi. Je fis aussitôt vider ces gre

niers; et dès que le blé fut ressuyé et rafraîchi, je le fis mettre dans des sacs, et j'ajournai mes expériences à l'année suivante.

» Le 4 février 1827, après m'être assuré que la cloison en briques de mon grenier était parfaitement sèche et fait transporter ma caisse dans une grange ouverte au nord, je fis remplir une partie de cette dernière avec 10 hectolitres de froment de la ré

colte de 1825, et l'autre partie, ainsi que le grenier en maçonnerie, le furent avec du blé de 1826.

» Le 15 juillet de la même année, les chaleurs ayant été vives et prolongées d'une manière extraordinaire, je fus instruit que les charençons dévoraient les grains de mes voisins; je voulus voir si ceux que je tenais enfermés n'éprouvaient pas le même sort; en conséquence, j'en fis tirer 10 hectolitres de mon grenier en maçonnerie: on le trouva parfaitement conservé, et pas la moindre trace d'insectes.

» Le 5 mars 1828, je fis vider entièrement ce grenier, et il fut rempli de blé de la récolte de 1827. On ne toucha point à celui de la caisse, on s'assura seulement qu'il n'avait éprouvé aucune al

tération.

» Le 5 août 1828, je fis prendre 10 hectolitres de grain du grenier en maçonnerie, pour la consommation de ma maison. Nous l'examinâmes avec la plus grande attention, pour voir si nous n'y découvririons pas quelques charençons, qui sont les ennemis les plus redoutables de nos blés; nous

• n'en aperçumes aucun; mais comme il était resté 8 à 10 litres de grain sur le carreau, je le fis rassembler avec un balai, puis passer au crible pour en ôter la poussière qui y était jointe; alors seulement on aperçut quelques insectes qui tombèrent sous le crible. Ils étaient sans mouvemens, et ne donnèrent signe de vie que lorsque je les eus réchauffés dans ma main.

» Désirant m'assurer de l'état du grain de la caisse, qui avait un et deux ans de plus que le précédent, j'en fis prendre quelques litres de chacune des deux parties; il tomba un très-petit nombre de charençons du blé de 1825, qui, en les touchant, se réduisirent en poussière. Dans celui de 1826, un seul était encore vivant, ce qui prouve évidemment qu'il y a eu assez de chaleur pour en faire éclore quelques-uns, mais qu'ils n'ont pu s'y multiplier, et qu'avec une température de quelques degrés plus basse, on en eût été préservé.

» Les expériences dont je viens de rendre compte, ne doivent laisser aucun doute sur la possibilité de conserver des grains, par les moyens dont je me suis servi, et ils sont susceptibles d'être améliorés. Il serait inutile de parler ici des avantages qui résulteraient de l'adoption de ce mode de conservation; je ne ferais que répéter ce qu'on trouve dans tous les écrits qui ont traité ce sujet. Je vais me borner à présenter quelques observations pour servir de guide aux personnes qui, comme moi, voudraient faire des essais et leur éviter les fautes que mon inexpérience m'a fait commettre.

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