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lui-même. Il y répond par un bref d'éloges adressé à dom Guéranger sur son livre de la Monarchie pontificale, considéré comme l'exposé des motifs du schema: « Les adversaires de l'infaillibilité sont des hommes qui, tout en se faisant gloire du nom de catholiques, se montrent complètement imbus de principes corrompus, ressassent des chicanes, des calomnies, des sophismes pour abaisser l'autorité du chef suprême que le Christ a préposé à l'Église et dont ils redoutent les prérogatives. Ils ne croient pas, comme les autres catholiques, que le Concile est gouverné par le Saint-Esprit ; pleins d'audace, de folie, d'imprudence, de haine, de violence, pour exciter les gens de leur faction, ils emploient les menées à l'aide desquelles on a coutume de capter les suffrages dans les assemblées populaires; ils entreprennent de refaire la divine constitution de l'Église et de l'adapter aux formes modernes des gouvernements civils. Dom Guéranger les a confondus avec une telle solidité, un tel éclat et une telle abondance. d'arguments puisés dans l'antiquité sacrée et dans la science ecclésiastique qu'il a enlevé tout prestige de sagesse à ceux qui avaient enveloppé leurs pensées sous des discours dépourvus de raison. » (12 mars.) La signature du Pape au bas de ce document était à peine séchée, qu'on apprit la mort de celui contre lequel il était dirigé.

Le 13 mars, Montalembert succombail. A la nouvelle de sa mort, le premier mouvement de

Pie IX ne fut pas généreux; il dit : <<< Il est mort, en France, un homme qui avait rendu les plus grands services à l'Église. J'ignore quelles ont été ses dernières pensées, ses dernières paroles; mais ce que je sais, parce que je l'ai lu de mes yeux, c'est que cet homme avait un grand ennemi, la superbe! » Mgr de Mérode, beau-frère du défunt, avait commandé un service solennel pour le 17 à dix heures, dans l'Église franciscaine d'Ara Cœli au Capitole; quoiqu'il eût pris soin de convoquer les prélats de la majorité aussi bien que ceux de la minorité et d'annoncer qu'aucun discours ne serait prononcé, un ordre du cardinal-vicaire interdit la cérémonie. Revenu à des sentiments plus conformes à son caractère, Pie IX comprit ce qu'il devait aux longs et éminents services que le grand catholique avait rendus à l'Église et à lui-même; il commanda un office à Santa Maria Transpontina, église paroissiale du Vatican, sans dire d'avance pour qui, dans la crainte d'une manifestation, et il vint y assister dans une loge grillée.

Montalembert restera une des figures les plus attachantes de notre temps. Son éloquence était admirable et d'une venue toute personnelle : aucun charlatanisme, presque pas de gestes, une voix agréable qui s'emplissait harmonieusement et ne s'enflait pas, une phrase large, dénouée sans décousu; un mouvement vif et constant, expression naturelle des impétuosités successives de cette nature insoucieuse de dia

lectique qui, convertissant toutes ses idées en sentiments, ne savait les défendre que par les moyens de la passion. Quand la tribune lui eut été fermée en plein épanouissement, il transporta dans son style de plus en plus animé, chaleureux, abondant, coloré, les forces oratoires dont on lui refusait l'emploi ailleurs. En aucun temps il ne sut être une source qui se retient il fallait qu'il s'épanchât sans cesse, sous une forme quelconque, au risque de se tromper, de se contredire, de regretter d'avoir caressé certains rivages de son flot brûlant. La beauté du caractère marchait en lui de pair avec la supériorité du talent. Il est facile à des religieux tels que Lacordaire de pratiquer certaines vertus ce sont des privilèges d'état, l'étonnant serait qu'ils ne les eussent pas. Mais dans la lutte brutale des appétits, au milieu de ces intrigues de parti, qui restent vulgaires bien qu'on les décore de hautes apparences, pendant une carrière politique écoulée au milieu d'incessantes révolutions, se conserver vaillant, ouvert, appréciateur du beau, admirateur de l'honnête, dégagé de toute convoitise subalterne, ami fidèle, adversaire généreux, sans fiel contre les anciens dont l'ombre vous a trop longtemps couvert, sans envie contre des rivaux peu scrupuleux, sans malveillance contre des successeurs trop impatients; au travers des transformations, des découragements, des inquiétudes, des élans contradictoires d'un esprit sans cesse en travail, et tellement entier en chacune de ses évolutions,

T. XIII.

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qu'il ne gardait aucun souvenir des précédentes, montrer une sincérité au-dessus du soupçon, une élévation inaltérable de sentiments, rester toujours et quand même un grand homme d'honneur: voilà qui est digne d'admiration, voilà ce qu'a réalisé avec plénitude Montalembert. Le fonds d'invincible magnanimité sur lequel les divers accidents de sa vie ont successi vement projeté leurs ombres fugitives, se révèle dans un cri de sa jeunesse : « S'il nous eût été donné de vivre au temps où Jésus vint sur la terre, et de ne le voir qu'un moment, nous eussions choisi celui où, couronné d'épines et tombant de fatigue, il marchait vers le Calvaire. » Condamné à une mort prochaine et le sachant, couché dans un coin de cette bibliothèque tapissée de livres jusqu'au plafond, qu'il avait si souvent remplie de sa vive causerie, il s'intéressait aux graves sujets politiques et religieux du moment, comme s'il était dans la force de la santé, et, avec une parole qui n'avait rien perdu de sa spontanéité incisive, il défendait cette liberté qui avait inspiré les premières ardeurs de sa vie.

Pendant ses dernières années, un déchirement douloureux s'était opéré en lui. Dans la propagande ultramontaine, il n'avait cherché que la destruction des contraintes civiles et la liberté de l'Église. On avait voulu lui imposer la croyance que, des livres de Joseph de Maistre, de dom Guéranger et de beaucoup d'autres, • qu'il avait loués sans se rendre tout à fait

compte de ce qu'ils impliquaient, découlait, par une déduction invincible, la monarchie absolue du Pape. Il avait refusé de l'admettre; il s'était révolté et il s'était promis d'employer les dernières forces de ses mains défaillantes à combattre, maintenant qu'il en découvrait les conséquences extrêmes, la doctrine à laquelle il avait autrefois frayé la voie. Dans cette nouvelle campagne, il déploya un emportement inusité même à sa nature passionnée. La maladie y contribuait, mais plus encore la certitude d'être vaincu et le désespoir de l'être par l'armée qu'il avait lui-même rassemblée, disciplinée, exaltée, lancée et longtemps commandée. « Que ferezvous, lui demandait-on, si le Concile uni au Pape définit l'infaillibilité? » Il jeta un regard calme sur la personne qui l'interrogeait et il répondit: «Eh bien, tout simplement je croirai. » Toutefois, il eût donné une partie des jours qui lui étaient comptés pour n'être pas réduit à croire, et il se raidissait de toute sa force pour écarter cette nécessité à laquelle il était résigné. La perspective d'une décision du Concile dont il devrait faire un des articles de son Credo remplissait d'angoisses ses nuits d'agonie, et lui arrachait des gémissements qu'il refusait à son pauvre corps martyrisé.

IX

L'intervention de Pie IX réduisait l'opposition à ses derniers retranchements. L'inoppor

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