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réunies, se juge en droit de déclarer le traité exécutoire. Les alliés n'ont pas le droit de discuter le casus fœderis; le traité ne comporte aucune réserve ni limite de durée : c'est un des éléments de la défense nationale, aucune partie ne peut le dénoncer et chacune doit en assurer l'exécution dès qu'elle est requise par l'autre. Si de singuliers patriotes touchent aux traités sur lesquels reposent le présent et l'avenir de la patrie allemande, ils s'apercevront tout de suite qu'ils ne sont plus au temps de la Diète de Francfort. » Là-dessus patriotes et Prussiens bataillaient.

En Wurtemberg, les passions se développaient d'autant plus véhémentement, qu'elles étaient encouragées par le souverain. Il était irrité contre la Prusse, et surtout contre son représentant Rosemberg, dont le zèle maladroit s'était souvent laissé compromettre dans des intrigues annexionnistes avec des adversaires de la Couronne. Il avait failli plusieurs fois demander son déplacement, mais Varnbühler s'y était opposé, parce que les maladresses de Rosemberg, tenant en éveil les défiances populaires des Souabes, prêtaient un concours utile à ses efforts contre la Prusse. L'idée de la dénonciation des traités faisait des progrès; la haine éclatait partout contre le ministre de la

Guerre, Wagner et contre Suckow, son chef d'état-major, suspects de prussianisme. Varnbühler lui-même n'était pas épargné : on lui reprochait ses palinodies anciennes, ses tiédeurs présentes, et il était obligé de rassurer les ministres de France et de Bavière contre les soupçons dont il était poursuivi : «< Soyez persuadés, leur disait-il, que si la nécessité m'oblige souvent à faire bonne mine à Berlin, mon cœur et ma sympathie sont à Munich, et ma confiance à Paris. L'Autriche est en décomposition et ne peut rien; tout notre espoir est en vous. » Le mouvement antimilitariste se prononçait aussi fortement qu'en Bavière. Dans la capitale comme dans les moindres villages, les meetings se succédaient, et tous se terminaient par des résolutions à l'unanimité, invitant le gouvernement et les Chambres à ramener l'organisation de l'armée à l'état antérieur à la guerre de 1866.

Après l'ouverture de la session (11 mars), quarante-cinq membres du parti Grossdeutsch et du parti démocratique déposèrent une motion invitant le gouvernement à modifier les institutions militaires et à diminuer le temps de service, déclarant que la Chambre n'accorderait que les crédits nécessaires pour les dépenses portées à ce budget. Cette motion suscita dans le pays une adhésion enthousiaste, et le ministère fut contraint de conclure avec ses auteurs une transaction: il promit de porter la réduction sur le budget de la Guerre à

500 000 florins; les hommes seraient renvoyés après dix-huit mois dans l'infanterie, après deux ans dans l'artillerie, trois ans dans la cavalerie. Mais le général Wagner repoussa ce compromis et entraîna les autres ministres; tous donnèrent leur démission.

Le Roi la refusa. Cependant lui aussi dut capituler, et un autre ministère fut constitué (24 mars), dans lequel, à côté de Varnbühler maintenu comme président du Conseil, fut introduit Suckow à la Guerre. L'attention du Roi avait été appelée sur ce général par un rapport où il offrait le moyen de sortir des difficultés, en présentant un plan de réduction du système militaire atteignant un chiffre de près de 700 000 florins. Cependant le Roi et les ministres ne se décidèrent à l'accueillir dans le Cabinet que lorsqu'il les eut rassurés par des déclarations patriotiques : On lui avait attribué, dit-il, des opinions qu'il désavouait; ses sympathies prussiennes n'allaient pas au delà d'un sentiment d'estime pour l'armée de cette grande puissance, et de la conviction que son système militaire était le meilleur et devait être établi dans tous les petits États, non dans des vues politiques de prussification, mais dans un but purement technique d'amélioration de l'armée. Il n'avait jamais cessé d'être dévoué à son pays et à son souverain; il voulait le maintien de l'autonomie et de l'indépendance du royaume, tout en observant les traités qui lient le Wurtemberg à la Prusse, et en maintenant des rela

tions amicales avec le Cabinet de Berlin. Le public, qui ignorait cette quasi-rétractation de Suckow, éprouva du mécontentement et de la surprise de ce choix: il s'attendait à voir un général patriote remplacer le ministre dévoué à la Prusse, et ce successeur était le chef d'étatmajor de ce dernier, réputé lui-même plus prussien que son ministre !

Le nouveau ministère redoutait de s'exposer au jugement des Chambres; elles furent prorogées sine die. Les Pairs se séparèrent en protestant par leur silence. La Chambre des députés ne fit entendre aucun vivat en l'honneur du Roi, et le président dut lever la séance pour mettre fin aux réclamations qui retentissaient de toutes parts.

Le Roi convoqua notre ministre Saint-Vallier, en le priant de n'en rien dire à Varnbühler. Il reconnut le mauvais effet que devait produire dans le royaume et à l'étranger la nomination d'un homme trop compromis dans le sens des idées prussiennes pour que l'opinion n'y supposat pas un revirement favorable à la Prusse... Mais il répéta avec tristesse : « Que voulez-vous? la nécessité m'y forçait. Je n'avais pas d'autre parti à prendre, à moins de livrer mon royaume aux démocrates. Je puis vous assurer que je surveillerai attentivement M. de Suckow. » Il joignit à l'expression des craintes que lui inspirait le parti révolutionnaire, de vives récriminations contre les ministres, parmi lesquels Varnbühler surtout lui inspirait défiance et éloignement.

Suckow chercha de son côté à assurer sa position, en donnant à l'opinion des gages de sa brusque conversion, et le ministre de Prusse en manifesta de l'amertume.

Le casus fœderis donna lieu aux mêmes discussions qu'en Bavière. Malgré les avertissements comminatoires de Bismarck, Varnbühler ne céda pas il quitterait le pouvoir, plutôt que d'accepter l'interprétation prussienne. Il envoya au ministre wurtembergeois, à Berlin, des instructions confidentielles l'invitant à soutenir fermement la doctrine que son gouvernement se réservait une entière liberté d'action.

IV

Ces résistances de la Bavière et du Wurtemberg confirmèrent Bismarck dans sa résolution de ne pas brusquer le passage du Mein. Toutefois il eût voulu donner une satisfaction aux injonctions du parti national libéral sans s'exposer aux conséquences funestes d'une action précipitée. Il essaya d'obtenir amiablement la transformation du titre donné au Roi de Président de la Confédération du Nord en celui d'Empereur d'Allemagne. Il commença par pressentir les grandes puissances.

Le Tsar fut-il encourageant? On peut le croire. Clarendon ne le fut pas. Vers la mi-janvier l'ambassadeur prussien à Londres, dans une conversation avec le secrétaire d'État anglais,

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