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puissiez-vous toujours marcher! Et comme aujourd'hui Notre-Seigneur Jésus-Christ a donné la paix à ses apôtres, moi aussi, son vicaire indigne, en son nom je vous donne la paix. Cette paix, vous le savez, ferme l'oreille aux discours ignorants. Ah! que cette paix vous accompagne tous les jours de votre vie! Qu'elle soit votre force à l'heure de la mort! Qu'elle soit votre joie éternelle dans les cieux ! »

Les prélats qui nous avaient conseillé l'abstention triomphent. « Voilà, nous disent-ils, des débats portant sur les matières les plus irritantes de la philosophie, sur les questions épineuses des rapports de la science et de la foi, de la raison et de ses limites, qui reçoivent une solution unanime. On accusait cette constitution de manquer de largeur, d'opportunité, et cependant on s'est mis à l'œuvre, chacun a apporté son conseil, tout s'est fusionné, et il en est sorti un ensemble homogène qui a pu rallier l'Américain, l'Allemand, le Français, l'Asiatique dans une unité vraiment extraordinaire. Il y a là de quoi bien augurer de l'avenir. On va maintenant aborder la question qui passionne l'opinion; les débats seront orageux; mais, après s'être heurté et contredit, on s'expliquera, on s'amendera, et on arrivera à une unanimité semblable à celle qui réjouit tant aujourd'hui le Pape, les évêques et la chrétienté. »

VII

Ces raisonnements ne parvenaient pas aux oreilles de Daru, tout entier à la rédaction de son memorandum. Dès qu'il fut terminé et approuvé par le Conseil, Banneville, de retour à Rome, l'apporta au cardinal Antonelli (15 avril), conformément à l'usage qui ne permet pas de remettre à un souverain un document dont il n'a pas reçu communication préalable.

Ce memorandum est rédigé en termes élevés, et d'une respectueuse modération. Il renouvelle avec un accent solennel les déclarations de la dépêche du 20 février contre des maximes qui subordonnent la société civile à la société religieuse; il démontre les périls d'une telle doctrine pour l'État comme pour l'Église; il constate qu'elle n'a jamais été acceptée, même dans les temps où la foi régnait sans partage; il ne se contente pas de la réponse habituelle que l'Église déclare des vérités abstraites et n'exige pas qu'on les applique : il ne saurait admettre qu'on enseigne aux hommes qu'ils sont libres de faire ce qu'ils ne sont pas libres de croire, et que l'Église ne tende pas à faire entrer dans la pratique les maximes qu'elle a inscrites dans les croyances, avec le caractère de vérités immuables. Il confirme la ferme volonté du gouvernement de ne gêner par aucune pression les débats conciliaires sur les sujets de l'ordre spi

rituel son intervention est purement morale; il la restreint aux matières qui sont de la compétence indiscutable des pouvoirs publics en demandant qu'on respecte les droits et les libertés de la société civile, il n'a garde de se montrer irrespectueux envers les droits et les libertés de la société religieuse; il intervient parce que la limite des deux domaines lui semble franchie; il ne veut pas la franchir à son tour. Malgré son hostilité bien manifestée contre l'infaillibilité, Daru n'y fait pas même allusion.

Le défaut de ce document est encore la disproportion entre les prémisses et la conclusion. Après avoir représenté sous des couleurs menaçantes les conséquences du schéma et traité de suggestions timides l'avis de ceux qui conseillaient l'abstention; après avoir repoussé de façon presque tragique, comme imprévoyante, la politique qui consiste à attendre que le mal soit fait et irréparable, Daru devient tout à coup optimiste et reconnaît « que la déclaration de ces principes ne saurait entraîner de graves conséquences. L'indépendance de la société civile que l'on pouvait autrefois croire menacée, est, de nos jours, en fait aussi bien qu'en droit, au-dessus de toute controverse comme de toute atteinte; la liberté de conscience et la liberté des cultes, universellement reconnues, rendent impossible même l'hypothèse de la domination. de la société religieuse sur la société politique; ceux qui poussent le plus ardemment le Concile à transformer cette doctrine en dogme,

reconnaissent que la nécessité des temps condamnera de tels décrets à rester à l'état de lettre morte.» S'il en est ainsi, si vous ne craignez rien, pourquoi toute cette agitation et pourquoi tout ce bruit? L'Église sait mieux que vous ce qui lui convient; laissez-la décréter, sans la troubler par vos remontrances, des doctrines qui ne menacent aucune institution et qui, d'après vous, resteront à l'état de lettre morte.

Les cérémonies de la semaine sainte et les fêtes de Pâques retardèrent jusqu'au 22 l'audience du Pape. Banneville dit à Sa Sainteté : <«< Que le gouvernement de l'Empereur obéissait à un devoir de sa charge, en présentant les observations que lui suggérait l'examen des questions mixtes soumises au Concile (comme toujours pas un mot de l'infaillibilité), en appelant son attention sur les conséquences de certains décrets, il priait le Saint-Père de recevoir le mémoire où étaient consignées nos respectueuses observations et d'ordonner qu'il fût transmis aux Pères. Il ajouta que le gouvernement de l'Empereur s'inspirait du sentiment sincère de procurer le bien des intérêts religieux et de maintenir les relations existantes en France entre l'État et l'Église; que, dès lors, la démarche dont il était chargé et qu'un droit non contesté nous autorisait à faire, ne pouvait à aucun degré offenser ni inquiéter le Saint-Père qui daignerait, il l'espérait, rendre justice à nos intentions loyales. » Le Pape accueillit la démarche avec bonne grâce, répondit sans entrer

dans aucun développement qu'il acceptait volontiers le mémoire comme il accepterait toujours les observations que le gouvernement de l'Empereur jugerait utile de faire parvenir à lui ou à son gouvernement, mais qu'il ne lui paraissait pas possible de faire au Concile la communication qu'on lui demandait. Parlant ensuite de l'Église et des nécessités auxquelles il avait à pourvoir, il se montra plus préoccupé de la situation religieuse de l'Allemagne que de celle de la France. Il considérait la résistance aux idées qui sont les siennes comme plus sérieuse là que chez nous.

VIII

Banneville avait trouvé le memorandum entre les mains de tous ses collègues; chacun d'eux avait reçu l'ordre de l'appuyer aussitôt qu'il aurait été remis au Pape. Beust, en envoyant ses instructions à Trauttmansdorff (10 avril), avait exprimé sa vive satisfaction de l'accord qui, dans cette affaire importante comme dans tant d'autres, avait existé entre le gouvernement français et son gouvernement. Bray, le président du Conseil de Bavière, prescrivit à son agent de tenir un langage semblable et de joindre ses instances à celles que le gouvernement de l'empereur Napoléon vient d'adresser, avec tant de ménagement et de vérité, au Saint-Siège. Les ambassadeurs d'Espagne, de

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