Page images
PDF
EPUB

fit allusion au désir que nourrissait toujours le Roi de prendre un titre plus en harmonie avec sa situation réelle. Clarendon signala les périls de ce projet « Une telle résolution aurait pu être prise sans trop de témérité, au lendemain des événements de 1866, alors qu'elle pouvait être considérée comme la conséquence immédiate du nouvel ordre de choses. Non seulement elle n'aurait plus maintenant le même à-propos, mais elle soulèverait infailliblement des susceptibilités et des inquiétudes qu'il importait de ne pas réveiller'. » Bernstorff ayant rendu compte de cet entretien, donna lecture à Clarendon, le 27 janvier, d'une dépêche dans laquelle le chancelier fédéral expliquait sa démarche « Le titre actuel de chef de la Confédération allemande avait, aux yeux du Roi, une physionomie quelque peu républicaine qui répugnait à ses instincts féodaux. Du reste, concluait la dépêche, rien n'est terminé dans son esprit à cet égard. »>

Daru fut encore moins engageant que Clarendon. Il répondit à Werther que ce serait passer le Mein moralement, et que la France ne pourrait pas voir cela avec satisfaction. Néanmoins Bismarck ne se serait pas arrêté, car l'Angleterre de ce temps-là parlait et n'agissait pas; quant au mécontentement de la France, il l'eût sûrement bravé s'il avait pu entraîner les États du Sud. Il n'y réussit pas, malgré toutes ses pro

1. Mémoires de Hohenlohe, 23 avril 1870.

messes de garantir leurs souverains contre les menaces des révolutionnaires et l'agression de la France. Il renonça donc à sa tentative.

Cette impossibilité d'apporter une conquête, quelque petite qu'elle fût, à la rapacité Unitaire, accroissait ses embarras de plus en plus considérables. Il se trouvait alors en froid avec les conservateurs; il les avait froissés en excluant du ministère trois des leurs. La Chambre des seigneurs lui en marqua son mécontentement. Au lieu de l'entourer, de le choyer comme d'habitude, on ne prit même pas garde à son entrée (10 février), lorsqu'il vint demander la prorogation du Landtag jusqu'au 2 mai, et malgré ses instances on la lui refusa. Il essaya de contre-balancer cette mauvaise disposition en se rapprochant par les points possibles avec les nationaux libéraux. A l'ouverture du Reichstag de la Confédération du Nord (14 février), il introduisit, à leur adresse, dans le discours de la Couronne, des paragraphes sur la question allemande, qu'il supposait leur devoir être agréables « § 1. La préparation de l'entente prévue dans l'article 4 de la paix de Prague, au sujet de l'union de l'Allemagne du Nord avec les États du Sud, est l'objet de mon attention incessante. § II. L'ensemble des traités qui unissent l'Allemagne du Nord à l'Allemagne du Sud, donne à la sécurité et à la prospérité de la patrie commune allemande les garanties certaines que porte en elle-même l'organisation compacte et forte de la Confédération du Nord. La

confiance que nos confédérés de l'Allemagne du Sud ont dans cette garantie repose sur la pleine réciprocité du sentiment de solidarité nationale qui a donné naissance aux traités existants. § III. La parole réciproque donnée à l'engagement pris par les princes allemands, dans l'intérêt des droits communs de la patrie, assure à nos rapports avec l'Allemagne du Sud une solidité indépendante des fluctuations de partis. >>

Bismarck n'obtint pas le résultat qu'il s'était promis. Il inquiéta le Sud. Le premier paragraphe parut une injonction de sortir du statu quo et d'accepter de nouveaux liens; le second une rodomontade vis-à-vis de la France et de l'Autriche; le troisième une affirmation catégorique de la solidarité du Nord et du Sud avec une allusion dédaigneuse aux efforts autonomistes. Dans ces paragraphes, insérés au dernier moment, on vit un avertissement aux autonomistes du Sud et un encouragement au roi de Bavière de ne tenir aucun compte des vœux de son parlement et de son peuple. Les nationaux libéraux ne furent pas non plus satisfaits. Ils trouvèrent les promesses insuffisantes et affectèrent de n'y voir qu'une phraséologie dilatoire vide.

La seule satisfaction qui pût les apaiser, c'était d'accepter l'entrée de Bade dans la Confédération. Bade était aussi mécontent de s'offrir en vain que la Bavière et le Wurtemberg étaient irrités d'être tant convoités. Le système de tous ou personne de Bismarck était de moins en moins compris. Les journalistes et les hommes d'État

s'étonnaient des timidités du Chancelier de fer: <«< Qui donc vous arrête? lui disaient-ils. La crainte de la guerre? mais qui donc vous la fera? Est-ce l'Autriche? elle est impuissante; elle se débat dans le chaos très peu débrouillé d'une réorganisation inachevée. Est-ce la Russie? mais vous avez en elle une alliée fidèle sur laquelle vous pouvez compter en toute occurrence. Estce la France? elle est tout entière préoccupée par sa réforme constitutionnelle et passionnée de paix comme ses ministres actuels. » Ces raisonnements n'ébranlaient pas Bismarck. Il se gaussait de cette diplomatie fantaisiste. « Sans doute, disait-il, nos rapports avec l'Autriche sont moins âpres, elle a reçu la visite d'un de nos princes, et nous l'a rendue par un des siens, mais il suffirait du moindre coup de vent pour ranimer le foyer qui n'est pas mort. La Russie nous serait assurément favorable au cas d'une attaque de la France; il est plus que douteux qu'elle ne nous soit pas hostile si nous voulons nous annexer un de ces États du Sud dont elle s'est constituée la protectrice. Quant à la France, vous vous méprenez et vous vous fiez trop à sa quiétude apparente. C'est un volcan toujours à la veille d'entrer en ébullition. Ses ministres sont pacifiques, mais autour de l'Empereur est une camarilla qui ne l'est pas, qui nous hait et pourra être à un moment donné plus puissante que les ministres. Qui nous assure même que ces ministres, à l'annonce que nous unissons Bade à la Confédération du Nord, ne se

raient pas entraînés à une action belliqueuse?

Bismarck était absolument dans le vrai; il l'était surtout en ce qui concerne la France. S'il avait accepté les offres de Bade, j'aurais proposé de reconnaître le fait, accompli volontairement par celui qui se donnait aussi bien que par celui qui recevait, parce qu'il constituait une application légitime du principe des nationalités. J'aurais été seul de mon avis parmi les ministres. Aurais-je obtenu la majorité dans le Conseil, je l'aurais perdue à la Chambre, sous l'ardente parole de Thiers, de Gambetta, de Cassagnac, devant une coalition de Gauche et de Droite, et soit par ma retraite, soit par ma chute, le champ fût resté libre aux partisans de la guerre.

L'entrée de Bade dans la Confédération eût donc en effet déchaîné la guerre. Guerre dans laquelle la Prusse aurait eu à la fois contre elle d'une manière active la France, l'Autriche, la Bavière, le Wurtemberg, sans être certaine de n'avoir à redouter de la Russie qu'une neutralité mécontente. Or, si Bismarck était un audacieux, il n'était pas un téméraire. Il voulait la bataille autant que les nationaux libéraux et même plus; étant au centre des affaires, il sentait qu'avec la paix « la locomotive unitaire resterait embourbée dans le Mein, ne pouvant ni reculer ni avancer ». « Je suis prêt, disait-il à Roggenbach, je suis prêt à trois ou quatre guerres. >> Mais il n'en voulait aucune dans des conditions défavorables. Et il ajoutait : « Dans

« PreviousContinue »