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cret du 25 septembre 1869. Cette troupe éprouvée, d'une fidélité connue, laissée à Paris en cas de guerre, serait devenue le pivot de la résistance à l'émeute. Mais cette gendarmerie coûtait fort cher et la Commission du budget, les ministres même en demandaient la suppression. L'Empereur, après avoir longtemps résisté, finit par accorder cette suppression malheureuse. Le Bouf n'en est nullement responsable.

IV

Le Bœuf eut à se mesurer dans l'assemblée avec les mêmes adversaires que Niel réfutait plusieurs fois par an. La loi de 1868 continua, en effet, sous notre ministère, à être l'objet des attaques de la Gauche. « Il faut rapporter la loi militaire ! >>> s'écriait Jules Favre. Keller disait : « Je suis de l'avis de l'honorable M. Tachard lorsqu'il dit que c'est le poids de nos charges militaires qui constitue l'infériorité de notre industrie 1. » Cela recommença à propos d'un projet de réorganisation de l'armée présenté par Kératry. Toujours le même thème: effectifs excessifs, dépenses exorbitantes, pri

du département où le remplaçant avait sa résidence depuis six mois, ou du département où il avait résidé précédemment. Ainsi les remplaçants seraient dispensés des voyages dispendieux, qui étaient la cause principale des désordres, et l'examen serait fait dans des conditions qui rendraient plus difficiles les fraudes des racoleurs et leurs dissimulations sur la moralité des sujets proposés.

1. 1er février.

vilèges de la Garde impériale insupportables. Steenackers alla jusqu'à se plaindre que l'État

eût consacré dix mille francs aux funérailles du maréchal Regnault de Saint-Jean d'Angély et Magnin ajouta : « Il a été récompensé pendant sa vie. » Sur quoi Glais-Bizoin et Rochefort : « Il ne faut pas que cela recommence! »>

Le Boeuf soutint ces assauts avec talent. Sa parole n'avait pas la désinvolture aisée de celle de Niel, mais elle était plus entraînante, émue, vigoureuse et, sous sa rondeur loyale, pleine de finesse et de goût, souvent d'ironie déconcertante. De lui aussi on pouvait dire : rem militarem et argute loqui. Chaque fois qu'il parla il obtint un grand succès. L'opposition l'écoutait avec plaisir et ne lui refusait pas ses applaudissements. Et cependant il ne lui ménageait pas les coups de boutoir. « Il faut bien le dire, au point de vue militaire, cette loi (de 1868) n'est pas à l'abri de tout reproche. C'est surtout de l'intérêt civil que le législateur s'est préoccupé sans faire une part suffisante peut-être à de certains intérêts de notre organisation militaire. Avec les cinq ans de présence, elle offre l'inconvénient de trop rajeunir l'armée, de trop rajeunir les sous-officiers et, en cas de guerre, de mettre devant l'ennemi un assez grand nombre de jeunes soldats. Un corps qui, par sa composition, doit tenir ferme dans des circonstances critiques, est donc aujourd'hui plus que jamais destiné à rendre de grands services. Si la Garde impériale n'existait pas, il faudrait la créer. »>

(Protestations à gauche. De divers côtés: Très bien! très bien! » )

Il indiquait que les différences de solde pour les officiers de la Garde étaient peu considérables : «< Pourquoi cependant cet avantage? Je vais vous le dire sans retard, et cela amènera sans doute de la part d'un d'entre vous une nouvelle interpellation. (On rit.) C'est parce que la tenue est un peu plus coûteuse dans la Garde que dans la ligne. Quant aux soldats, je suis obligé de reconnaître que j'ai fait arrêter un nouveau tarif qui consacre un avantage considérable en faveur de la Garde, celui de quelques centimes de plus par jour1. (On rit.) » Continuant ainsi de belle humeur, il distribuait les horions et abattait les sophismes. « On eût été étonné, répondit-il avec hauteur à la déclaration de Steenackers, Magnin et Glais-Bizoin, dans le pays et dans l'armée, que le premier maréchal que nous avons perdu depuis l'adoption d'une nouvelle politique, ne reçût pas les honneurs qui avaient été rendus à ses prédécesseurs. (Très bien! très bien!) On n'oubliera pas qu'à Magenta, ce maréchal, à la tête de 5 000 grenadiers de la Garde, a tenu pendant trois heures contre 40 000 Autrichiens2. >> (Très bien! très bien!) I reprochait à l'Empereur ses préoccupations exagérées du bien-être matériel du sol

1. Séance du 23 mars 1870.

2. 7 février. Sous la République, chaque fois qu'un ministre meurt, on fait des obsèques nationales qui coûtent 12000 francs.

dat. « Il les gâte trop », disait-il souvent. Pour lui, quoique les aimant beaucoup, il eût volontiers suivi le conseil du maréchal de Saxe de faire manquer, au moins une fois par semaine, la livraison de pain, afin de les rendre moins sensibles à cette privation en cas de nécessité.

Précisément, parce que son dévouement envers l'Empereur était sans limites, il se montra défenseur intraitable des règlements. A la suite de l'audience du dimanche, il recevait de nombreuses notes du cabinet impérial; il n'y faisait droit que lorsque c'était juste. Un des favoris de la Cour, et surtout de l'Impératrice, se heurta à ses refus obstinés. Il s'était battu en duel avec un de ses subordonnés et avait été mis en retrait d'emploi. Quelques mois après, on lui avait donné un régiment. Quoique le temps réglementaire n'eût pas été accompli, il fit de-. mander à Le Boeuf de le nommer général de brigade. Le Bœuf répondit qu'il n'avait accompli aucune action récente de guerre, que sa promotion paraîtrait un acte purement courtisanesque, scandaliserait l'armée et qu'il s'y refusait. « Qu'il prenne garde à lui! s'écria l'officier, j'ai le bras long aux Tuileries. » En effet, l'Empereur et surtout l'Impératrice sollicitèrent Le Boeuf de revenir sur son refus. Mais il se montra inflexible, et, malgré ses puissants protecteurs, le colonel ne devint pas à ce moment-là général de brigade.

Quoique bienveillant envers les chefs mili

taires placés sous ses ordres. Le Bœuf sut leur imposer la subordination. Il lui était impossible de lire les douze cents lettres, rapports, dépêches, qui arrivaient quotidiennement au ministère; il s'en réservait une centaine des plus importantes, et laissait à ses directeurs le soin d'examiner les autres et de signer les réponses en son nom. Le général Ducrot en reçut une ainsi un jour, signée par le directeur du personnel, Castelnau. Il répondit qu'il ne se croyait tenu d'obéir qu'aux lettres du ministre. Le Bœuf le manda et, nonobstant ses prétentions, le rappela sévèment à l'obéissance.

Une place de maréchal de France était devenue vacante; le général Cousin de Montauban, Palikao, y prétendait. Persigny me le recommanda chaudement, et Palikao lui-même se recommanda plus fortement encore par une lettre qui ne péchait point par la modestie. L'Empereur s'était réservé ces promotions et je n'avais aucune compétence pour y intervenir. Il préféra Le Bœuf dont les titres éclatants, la parfaite honorabilité ne permettaient aucune objection. Un jour il le pria de se retirer du Conseil et, après sa sortie, nous fit sa proposition que nous approuvâmes à l'unanimité. Il s'agissait de savoir qui contresignerait le décret de nomination. Ceux en qui subsistait sourdement, peut-être à leur insu, l'idée saugrenue de me reléguer au second plan, eussent bien voulu que ce ne fût pas moi. Mais on trouva un précédent, celui du maréchal Gérard, dont la nomination avait été

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