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inquiétante parce qu'elle place le Corps législatif en état permanent d'hostilité avec le Sénat. Nous avons une grande peine à écarter les projets de loi de l'initiative individuelle, qui renversent directement les sénatus-consultes, mais il nous est impossible de repousser les interpellations qui tendent à des modifications de la Constitution. Il y a un état de fait duquel on ne peut songer à s'affranchir. Et quand un ordre du jour motivé accueillera une de ces interpellations, un ministre responsable ne pourra se soustraire à l'obligation de proposer un sénatus-consulte qu'on lui aura indiqué. De telle sorte que, dès aujourd'hui, le Corps législatif est en possession du pouvoir de modifier la Constitution seulement, ce droit s'exerce d'une manière indirecte, irrégulière, dangereuse. Tous les esprits prévoyants croient qu'il serait sage de convertir ce pouvoir de fait en un droit constitutionnel. » Je conclus donc que le pouvoir constituant, allégé de ce qui était purement législatif, devait être restitué au peuple consulté directement par voie de plébiscite. Il s'ensuivrait que le Sénat devait être ou supprimé ou ramené au rôle de seconde Chambre législative. A l'appui de cette note je joignis un projet de sénalus-consulte, qui donnait une forme pratique à ces idées générales et je le communiquai à Daru et à Buffet en même temps qu'à l'Empereur. Buffet s'écria : << Si nous obtenons tout cela on ne pourra pas dire que nous ne faisons rien ! >>

T. XIII.

15

L'Empereur hésitait à ce dernier sacrifice. Une interpellation de Le Hon sur l'Algérie nous obligea, bien que son parti n'eût pas été pris, à nous expliquer dans une certaine mesure sur nos intentions. Jules Favre fit de l'abrogation de l'article 27 le principal de son argumentation. Je ne lui cachai pas où nous en étions : « Il est certain qu'en donnant le caractère constituant à diverses dispositions qui devraient appartenir au domaine législatif, on a amoindri la part d'intervention du Corps législatif, et qu'on lui a retiré des sujets sur lesquels il aurait le droit de se prononcer. Nous avons l'intention, d'accord avec le souverain, de faire cesser cet état d'antagonisme. Nous avions d'abord cru qu'il serait mieux de procéder d'une manière successive, et de recomposer le domaine législatif au fur et à mesure que les circonstances nous en imposeraient la nécessité. Nous croyons mieux de changer de méthode. Nous avons rencontré dans le Sénat une préoccupation qui nous a paru légitime. Dès les premiers pas que nous lui demandons de faire, il a manifesté le désir de connaître exactement où nous voulions le conduire. Il n'a pas voulu être entraîné à se dépouiller par une série de sénatus-consultes de certaines attributions sans avoir mesuré dès le début l'étendue de la transformation à laquelle on l'invite. Nous avons donc demandé au souverain la permission d'examiner avec lui les différentes modifications constitutionnelles opportunes et, l'accord opéré sur ces modifications, de nous au

toriser à les proposer d'ensemble au Sénat, afin que la porte ne reste pas perpétuellement ouverte à des discussions qui empêchent l'expédition des affaires et n'ont d'avantage pour personne. (Très bien ! très bien !) Nous délibérons sur cette question, et comme rien n'est encore résolu, nous devons, en ce qui concerne l'article 27, nous borner à dire que, selon toute apparence, il sera un de ceux dont nous demanderons la suppression. » (Très bien! très bien!)

Mes paroles furent reçues par la Gauche avec

autant d'approbation que celles relatives aux candidatures officielles, et l'âpreté de Jules Favre s'en adoucit. Il déclara « qu'il accueillait notre gouvernement avec sympathie, qu'il encourageait nos efforts et croyait à nos promesses1». Il eut même un mot cordial à mon endroit « M. le ministre m'a fait l'honneur de s'adresser à moi quand il a parlé; il est clair que c'est là entre nous un commun souvenir que nous ne devons jamais oublier2. »

II

La solution fut hâtée par une démarche comminatoire du Sénat lui-même. Je n'avais pas répondu à la lettre de Rouher parce que je n'avais pas terminé le travail dont j'avais été chargé. Il

1. Séance du 8 mars 1870. 2. Séance du 9 mars 1870.

se piqua de ce silence et donna connaissance de sa lettre à la Commission en constatant que je n'y avais pas répondu. Le lendemain, l'Empereur m'envoyait une longue note dans laquelle il repoussait mon projet de réforme totale, et s'en tenait à l'augmentation du nombre des articles auxquels nous donnerions le caractère législatif. Je ne me décourageai pas. Longuement, doucement je combattis ses scrupules; je priai le président Devienne, dont il estimait beaucoup le jugement, de me seconder et de lui démontrer le péril d'une résistance dans laquelle il ne pourrait pas persister. Daru lui présenta les mêmes observations. Enfin, le 20 mars, l'Empereur m'appelle, me dit que, convaincu, il me communique un projet de sénatus-consulte conforme à ma note, et me demande si je consentais à en causer le lendemain devant lui avec Rouher, dont le concours nous était indispensable à cause de sa qualité de président du Sénat. J'acceptai.

:

Ce jour-là, comme l'Empereur était malade et qu'il y avait urgence, il nous reçut dans sa chambre à coucher, et ce fut au pied de son lit qu'eut lieu notre conférence. Il me posa quatre conditions 1o Le maintien de l'intégralité des droits d'appel au peuple entre ses mains. 2o Le maintien de l'article 33 ainsi conçu: En cas de dissolution du Corps législatif, et jusqu'à nouvelle convocation, le Sénat, sur la proposition de l'Empereur, pourvoit par des mesures d'urgence à tout ce qui est nécessaire à la marche du

gouvernement. 3° Le refus de toute discussion au Corps législatif préalablement au vote du sénatus-consulte. 4° La renonciation à toute idée de plébiscite. « Le Prince Napoléon, dit-il, m'a écrit ce matin une longue lettre pour m'en conseiller un, mais je n'en veux pas. >>

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Sur la première condition il n'y eut aucun désaccord. Sur l'article 33, Rouher fut de l'avis de l'Empereur et conseilla énergiquement de le maintenir. Au contraire, il lui parut impossible de refuser la discussion au Corps législatif, et il jugea un plébiscite indispensable : « Sans cela notre constitution serait en l'air, n'aurait aucun fondement légal. D'ailleurs, on pourrait tirer de cette consultation populaire un accroissement de la force dynastique en la faisant porter sur l'adjonction au trône du Prince impérial. C'était une manière ingénieuse d'enlever à notre œuvre libérale sa consécration populaire en la noyant dans une question dynastique. L'Empereur ne me laissa pas le temps d'écarter cette combinaison insidieuse. Il le fit spontanément et persista à repousser le plébiscite, même ainsi dynastisé. Je reconnus à mon tour que le plébiscite était juridiquement une nécessité inévitable, quels qu'en fussent les risques; néanmoins, si l'Empereur était décidé à n'y pas recourir, je présenterais la réforme sans cette clause. «Notre constitution nouvelle sera un peu en l'air, il est vrai, mais c'est souvent ce qui est illogique qui dure le plus. Nous ferons une monarchie parlementaire en présence d'un plébiscite fait contre

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