Page images
PDF
EPUB

était faite de Carlsruhe, nous repousserions cette offre dans l'intérêt de la Confédération et dans celle du Grand-Duché comme intempestive rebus sic stantibus et nous nous réserverions le droit de faire connaître le moment opportun d'agréer cette demande d'union. Bade nous rend plus de services dans le camp du Sud que dans celui du Nord. Retrancher du Sud cet élément favorable au développement national, ce ne serait pas moins imprudent que si, retranchant de la Bavière les populations franconiennes seules favorables à l'unité, on réduisait cet État aux provinces de Vieille, Haute et Basse Bavière; enfin ce serait contraire au principe d'attendre le rapprochement du Sud sans aucune pression L'entrée de Bade dans la Confédération du Nord serait en effet une pression très sensible sur la Bavière et le Wurtemberg, pression cependant insuffisamment forte et maîtrisante, dont la seule conséquence serait de paralyser le développement lent mais continu de l'esprit allemand dans la Bavière et le Wurtemberg. Il ne peut nous servir de rien que la Bavière ou le Wurtemberg nous soient plus étroitement unis malgré eux, contraints et forcés, et, plutôt que d'employer la contrainte dans ce but, je préférerais attendre encore tout le temps qui s'écoule d'une génération à une autre. Les signataires se trouvent à peu près dans la disposition d'esprit où Shakespeare nous présente le bouillant Percy, qui, après avoir tué une demi-douzaine d'Écossais, se plaint de ce

que la vie est ennuyeuse : il ne se passe rien. en ce moment, remplissons un peu le vide de l'existence ! L'orateur a déclaré avec une grande assurance qu'à ses yeux l'accession de Bade devait commencer l'achèvement de la Confédération. Messieurs, je ne puis ici qu'opposer conviction à conviction. La mienne est que cette accession serait au contraire une entrave à l'achèvement, non pas seulement une entrave qui commencerait à nous arrêter, mais un véritable enrayement de nos roues qui assez longtemps nous empêcherait de travailler à l'achèvement de l'État fédéral. »

Bismarck répondit encore à Miquel, qui l'avait accusé de renvoyer l'unité de l'Allemagne aux calendes grecques, que son but était le même, qu'entre eux la différence n'existait que sur l'emploi des moyens. « Ces messieurs sont d'avis qu'ils s'entendent mieux que moi à les choisir et à juger la question d'opportunité, et moi je pense m'y entendre mieux qu'eux. Si vous entendez mieux la question, vous devez être vous-même chancelier fédéral; il ne faut plus en ce cas que vous siégiez à la place où vous êtes, car ce n'est pas de cette place, mais de celle où je suis que se dirige la politique publique de l'Allemagne ; si donc vous savez tout mieux que moi, venez vous asseoir ici, j'irai, moi, siéger à votre place, et, là, je veux exercer la critique dont une expérience de vingt ans peut m'avoir pourvu. (Bruyante hilarité.) Mais je vous assure que mon patriotisme m'imposera silence, quand je senti

T, XIII.

2.

[ocr errors]

rai qu'il serait intempestif de parler. (Vifs applaudissements.) Lasker, considérant que ses amis et lui avaient suffisamment atteint leur but, retira sa motion (24 février).

1

Le lendemain le Roi écrivit à Bismarck 1: « J'ai lu très attentivement, et j'approuve complètement votre discours et vos répliques, mais il faut les lire complètement, car quelques passages, extraits à la Miquel, pourraient être très faussement interprétés. >> Il faisait allusion à la sortie contre le Grand-Duc de Bade. Il n'avait pas tort d'en concevoir quelque inquiétude. Le Grand-Duc et ses ministres manifestèrent une véritable colère, et les relations amicales entre les deux gouvernements parurent difficiles à maintenir. Le 28 février, Freydorf, ministre des Affaires étrangères du GrandDuché, envoya à son ministre à Berlin une note dans laquelle il le chargeait de représenter à Bismarck combien cette attaque contre le gouvernement badois avait été inattendue. « On n'avait eu aucune occasion, à Bade, d'agir sur la proposition Lasker, ou même de la déconseiller en temps opportun. Aucune proposition n'avait été faite par Bade. Le gouvernement grand-ducal avait tenu compte des appréciations du chancelier de la Confédération, alors même qu'il ne les partageait pas, puisqu'il s'était abstenu, depuis des années, de toute démarche pour entrer dans la Confé

1. Lettre du 26 février.

dération du Nord. » Comme les explications que Bismarck s'empressa de donner ne parurent pas satisfaisantes, et que l'on se plaignait encore des termes blessants de son discours, il répondit : « Mais pourquoi attachez-vous tant d'importance aux paroles que je prononce à la tribune? Moi je n'y en attache aucune 1. » Il disait plus lestement encore au ministre de Wurtemberg: «< Rappelez-vous qu'il ne faut pas prendre mon langage dans le Reichstag comme parole d'Évangile, regardez comme sincères les déclarations que je vous fais à vous ici, où personne ne nous entend; mais là-bas, à la tribune, il n'en est pas de même, il me faut varier plus ou moins, suivant les exigences parlementaires3. »

Cependant Bismarck ne voulut pas qu'on considérât un atermoiement comme une renonciation et qu'on le crût tout à coup converti au respect de la ligne du Mein. Personne en ce moment ne s'occupait des Danois du Sleswig; cependant, pour mieux accentuer son mépris du traité de Prague, Bismarck fit annoncer à grand fracas, dans l'officieuse Gazette de l'Alle

1. Tous ces détails sur cet incident de Bade ont été révélés pour la première fois par Ottokar Lorenz.

2. Dépêche de Saint-Vallier du 25 avril 1870.

3. L'arrivée du Grand-Duc de Bade à Berlin amena la fin de cet incident. Il se convainquit, par les protestations d'amitié qu'il reçut de tous côtés, qu'on appréciait à leur valeur ses efforts pour la cause nationale, bien que le gouvernement prussien fût dans l'impossibilité d'accéder à ses désirs politiques.

magne du Nord, « qu'il n'accorderait plus rien aux Danois puisque leurs doléances s'appuyaient sur l'intolérable clause du traité de Prague imposée par la France ». Il chargea Busch de montrer dans la presse ses dents de fauve, afin qu'on ne le crût pas devenu un tendre agneau. «< Dites qu'il y avait dans mon discours un avertissement que les bonnes gens n'ont pas vu, c'est qu'en de certains cas nous ne tiendrons pas compte du désir de l'Autriche, que les États du Sud ne soient pas joints à la Confédération du Nord, ni de celui de la France qui étend sa prohibition à tous les petits États du Sud 1. >>

Comme un roulement de tambour qui gronde sur tout le long du rang, dès que le bâton du commandement est levé, le même commentaire impertinent court dans tous les journaux allemands. L'officielle Correspondance provinciale commence : « On assure que les déclarations de M. de Bismarck ont découragé les amis de l'union allemande dans l'Allemagne du Sud. Mais les véritables amis de la cause nationale reconnaîtront bientôt que le chancelier fédéral ne repousse le progrès du développement national, que pour ne pas laisser compromettre l'œuvre naturelle et assurée de l'union de toute la patrie allemande (2 mars). » La Gazette officielle de Carlsruhe fait écho : « Le comte de Bismarck ne considère pas comme une solu

1. BUSCH, Our Chancellor, t. II, p. 42 et suiv.

« PreviousContinue »