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naissait les miens, si souvent répétés dans des discours retentissants, et l'on supposait que le nouveau ministre des Affaires étrangères les partageait. La Gazette Provinciale elle-même constata que mes idées bien connues étaient un gage de paix. Or, la certitude que les affaires françaises étaient soustraites à un pouvoir personnel sans contrôle qu'elles étaient confiées à des ministres responsables dépendant d'un parlement libre, et que ces ministres ne partageaient pas l'hostilité de l'ancienne diplomatie contre l'ordre nouveau en préparation en Allemagne, produisait un double résultat : elle rendait moins accommodant le libéralisme prussien, plus acerbe la plainte des pays conquis.

Cependant Bismarck au premier moment ne crut pas à notre solidité et à notre énergie; il espérait que nous marcherions par étapes à la Révolution, à la République, ce qui affaiblirait la France à l'intérieur et lui rendrait impossibles les alliances avec les gouvernements monarchiques au dehors ». Mais l'opinion publique allemande qui n'escomptait pas de cette façon l'avenir, et qui ne considérait que le présent, ressentait sans mélange la satisfaction de notre avènement, et à mesure que la crainte d'une incursion française s'affaiblissait, le désir d'une diminution des charges militaires si lourdes prenait faveur. Aussitôt après les élections. prussiennes et fédérales prochaines, le premier acte

1. Busca, t. II, chap. I. Busch dit : « Il espérait peut-être. » J'ai supprimé ce « peut-être » euphémique transparent.

des nouveaux députés devait être de fixer le contingent annuel accordé seulement jusqu'au 31 décembre 1871. Dès lors, la question militaire allait dominer toutes les autres. Le parti progressiste demandait que la proportion entre l'effectif de paix et la population fût réduite. Les députés saxons formulaient une résolution radicale accueillie avec approbation par toute l'Allemagne libérale : « Les deux Chambres invitent le gouvernement à faire tous ses efforts auprès du Conseil fédéral de la Confédération du Nord 1° pour que la dépense de l'administration du Nord soit modifiée convenablement; 2° pour qu'on tende à un désarmement général, qu'on l'exécute le plus tôt possible, et qu'à cet effet on invite la Présidence fédérale à procéder par voie diplomatique. » Bismarck et le Roi ayant déclaré que, pour aucune raison, ils ne consentiraient à la diminution des forces militaires, un nouveau conflit, semblable à celui de 1862, se préparait avec le Landtag et le Reichstag.

Dans les États du Sud, la sécurité que donnait la nouvelle politique française accroissait la confiance des partis autonomistes, consolidait la victoire obtenue dans les dernières élections, et l'année 1870 s'ouvrait par une recrudescence de l'esprit d'hostilité contre le parti de l'union avec la Prusse.

II

La session des Chambres bavaroises fut ouverte (3 janvier) par un discours dans lequel Hohenlohe fit dire à son Roi : « Je sais que maints esprits redoutent que l'indépendance légitime de la Bavière soit menacée. Cette crainte est sans fondement. Tous les traités jusqu'ici conclus avec la Prusse et la Confédération du Nord sont connus du pays. Fidèle au traité d'alliance pour lequel j'ai engagé ma parole royale, je serai toujours prêt, quand le devoir l'exigera, à défendre, avec mon puissant allié, l'honneur de l'Allemagne, et, par cela même, l'honneur de la Bavière. Bien que j'appelle de tous mes vœux et que j'espère le rétablissement d'un lien national entre les États allemands, je ne donnerai néanmoins pas mon assentiment à une formation de l'Allemagne qui puisse compromettre la Bavière. En garantissant à la couronne et au pays leur autonomie, je remplis un devoir, non seulement envers la Bavière, mais encore envers l'Allemagne. Ce n'est qu'en ne s'abandonnant pas elles-mêmes que les races allemandes parviendront à assurer le développement prospère de l'Allemagne.

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Les conservateurs se montrèrent peu satisfaits de ce discours qui, par cela même, contenta le parti prussien. Les uns et les autres

s'accordèrent à constater, les premiers en le déplorant, les autres en s'en applaudissant, que, des assurances données, la plus accentuée avait été celle relative à la fidélité au traité d'alliance. On ne retrouvait pas la même fermeté dans les réserves faites sur l'avenir de l'Allemagne : le Roi dit qu'il ne donnerait jamais son assentiment à une formation de l'Allemagne pouvant porter atteinte à l'indépendance de la Bavière, mais quel sens donner à ces mots : « Rétablissement de l'union nationale entre les États allemands, objet de ses désirs et de ses espérances... »?

Le mécontentement des conservateurs se manifesta aussitôt d'une manière rude. La Chambre des seigneurs vota le 28 janvier, par 32 voix contre 12, une Adresse attribuant l'agitation qui règne dans le pays à l'attitude des ministres qui gouvernent dans un esprit de parti. « La tranquillité ne renaîtra que lorsque Sa Majesté aura réussi à s'entourer, comme conseillers, d'hommes qui, par leur bon vouloir et la fermeté de leur conduite, possèdent également la confiance du Roi et celle du pays. >> L'Adresse prenait acte des déclarations contenues dans le discours de la couronne, et rappelait que « l'exécution loyale des traités d'alliance et le développement de la prospérité de l'Allemagne ne sauraient porter atteinte à l'indépendance de la nation bavaroise ». Tous les membres de la famille royale, sauf le prince Charles-Théodore, votèrent ce manifeste.

Le Roi exprima ouvertement son irritation : ce vote était un empiétement sur sa prérogative, car le système parlementaire à l'anglaise n'existait pas en Bavière, et il n'admettait pas que l'on se crût permis de défendre contre lui l'autonomie nationale. Qui donc, par situation et par intérêt, en était le gardien plus que lui? Il était bon patriote autant que qui que ce soit. Le vote des membres de sa famille, qu'il considérait comme un manquement offensant à sa personne royale, le blessait profondément. Son mécontentement était alimenté par l'isolement dans lequel il vivait et les excitations des rares personnes admises à l'approcher, son aide de camp, Sauer, et son secrétaire Eisenhart, tous deux du parti prussien. Rencontrant la princesse de Hohenlohe, il lui dit : « Soyez tranquille, je garderai votre mari. » Enfin il adressa au grand maître des cérémonies la lettre suivante qui fut communiquée au président du Reichsrath et lue par lui en séance secrète : « L'Adresse de la Chambre des pairs, en attaquant la conduite d ministère dans son ensemble, sans s'appuyer sur des faits ou des motifs légaux, ne répond pas aux sentiments de conciliation que j'ai recommandés dans mon discours du Trône, aux deux Chambres, et me met dans l'impossibilité de l'accepter. Je n'en persévérerai pas moins dans mes efforts pour rendre le calme au pays troublé par l'exagération des passions de parti. Vous voudrez bien faire part de ma détermination au président de la première Chambre (1er février).

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