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pris la peine de m'en donner l'explication. Je vous en remercie encore. Mais cet incident prouve que, pour certaines personnes, dont j'ai eu peutêtre à repousser, à la Chambre, les propositions illégales, il n'y a de force que d'un côté, où je trouve, moi, beaucoup de faiblesse, et, naturellement, elles doivent vous entraîner par là. Mon nom leur déplaît; il fait peut-être meilleure figure auprès d'un plus grand nombre, car je me sou-, viens d'avoir pu, avec quelques paroles, obtenir de vrais miracles. Et puisque je suis mort, une pointe d'orgueil m'est permise, et je serais sans doute fort indiscret, si je vous demandais lequel de ces conseillers officieux d'hier au soir, aurait mis en mouvement des masses de 800 000 hommes pour les faire courir, non au spectacle, mais à l'école? Cependant, il ne faut pas alarmer ces consciences inquiètes, je me retire donc, et vous servirai mieux en volontaire que dans le rang. Dès que le S. C. sera voté, j'irai à Mont-de-Marsan, pour y organiser à l'anglaise un de ces comités départementaux sans lesquels l'action de Paris ne dépassera pas la limite de l'octroi. Peut-être aussi trouverai-je moyen d'agir sur les instituteurs, cette armée de 45 000 hommes qui m'a gardé un peu de la confiance qu'elle avait en moi. Votre tout dévoué. » (15 avril.)

Nous différâmes le choix d'un titulaire pour les Affaires étrangères et l'Instruction publique, jusqu'après le plébiscite. Je pris l'intérim des Affaires étrangères, Maurice Richard celui de I'Instruction publique. Daru, en me remettant le

service, était ému, moi glacial. A ma question : «< Où en est l'affaire de Paradol? » Il me dit avec empressement: « Ne vous occupez plus de lui; il refuse. » Paradol, esprit très impressionnable, secoué aussi par la petite tempête des salons orléanistes, avait repris son thème sur la réforme électorale et la dissolution, et celui de Thiers sur la nécessité du consentement préalable de la Chambre, ne se souvenant pas que lui-même avait accordé au chef du pouvoir exécutif « un droit de dissolution proprement royal, prononcée par le Souverain sans le secours des ministres, par conséquent sans l'approbation de la Chambre1».

Cependant, il finit par être moins pessimiste et dire dans les Débats : « En somme, si le procédé qu'on se décide à employer pour réformer la Constitution nous semble fâcheux à plus d'un égard, nous ne devons pas oublier que les réformes qu'il s'agit de consacrer par ce moyen sont de la plus haute importance, et qu'il y a bien peu de temps encore, presque personne n'aurait osé espérer qu'il fût possible d'amener le chef de l'État à les accepter. » D'ailleurs, le parti libéral, dans le journal même où écrivait Paradol, nous continua son concours : « Tout en regrettant que MM. Daru et Buffet aient cru leur retraite nécessaire, nous continuerons à aider de nos efforts le Cabinet de M. Ollivier dans l'œuvre libérale qu'il a entreprise. Nous avons assez de confiance

1. Voir la France nouvelle.

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dans l'honnêteté et dans les lumières du chef du Cabinet actuel pour être convaincu que, séparé de certains hommes, il n'en sera pas pour cela plus rapproché de certains autres. »

La plupart des députés désiraient l'ajournement de la Chambre afin de pouvoir être dans leur département au moment du vote plébiscitaire. Nous avions le droit de prononcer cet ajournement par décret. Afin de prévenir de nouvelles déclamations sur le pouvoir personnel, nous le demandâmes à la Chambre elle-même, Jules Favre nous combattit, c'est peu dire, nous injuria à pleine bouche: Nous tendions un piège au pays, nous avions abandonné notre programme; on ne savait si nous étions blanc, bleu, rouge; nous n'étions pas un ministère disloqué mais un ministère démasqué, un ministère d'agitation et de stérilité. Il eût voulu nous amener, au sujet de Daru et Buffet, à des révélations qui eussent provoqué un débat scandaleux. Je continuai à faire la sourde oreille et restai dans les généralités : « Que M. Jules Favre me permette de lui dire... sans employer son langage bienveillant (Sourires), que si quelque chose pouvait nous confirmer dans la sagesse de notre résolution, ce sont les colères qu'elle lui inspire. (Marques d'assentiment sur un grand nombre de bancs. Exclamations et rumeurs à gauche.) « Oui, le Ministère s'est écarté de son programme, mais pour aller au delà de ce qu'il avait annoncé, pour faire plus, plus vite et plus résolument. Comment! nous som

mes la stérilité ! Mais nous avons, en trois mois, opéré une révolution complète dans les institutions du pays; nous avons établi ce régime constitutionnel qu'il a fallu à l'Angleterre un siècle de luttes pour s'assurer. Quand elle aura raconté les lois que nous avons présentées, les réformes que nous avons opérées au milieu de circonstances difficiles, l'histoire dira de nous qu'il ne nous a pas manqué ce qui complète tout les attaques passionnées, les reproches immérités, les soupçons sans fondement. » (Mouvement à gauche.)

XI

La Chambre s'ajourna au jeudi qui suivrait le plébiscite. Nous pûmes alors nous consacrer librement à la discussion du sénatus-consulte devant le Sénat. La Commission avait opéré quelques utiles changements dans notre projet. D'abord elle fit disparaître la contradiction signalée par Buffet: 1° les ministres dépendent de l'Empereur; 2° ils sont responsables; cette contradiction qu'avait rendue nécessaire la volonté de ne pas recourir à un plébiscite était désormais sans raison. L'article fut donc rédigé en ces termes : « L'Empereur nomme et révoque les ministres; ils sont responsables1. » L'article relatif au Corps législatif portait : « L'élection a

1. Rapport de Devienne (séance du 12 avril).

pour base la population. » La Commission du Sénat fit disparaître ces mots afin de ne pas préjuger la controverse entre le scrutin par circonscriptions égales d'après la population, et le scrutin d'arrondissement qui ne tient pas compte du chiffre de la population.

Dans la discussion générale Persigny approuva, sans réserve et sans retour vers le passé, le sénatus-consulte, par les raisons mêmes qui le rendaient suspect aux parlementaires, c'est-à-dire parce qu'il maintenait l'appel au peuple et la responsabilité de l'Empereur concurremment avec la responsabilité ministérielle. Il me témoigna sa gratitude de ce que je n'avais pas consenti au sacrifice de ce qui constituait à ses yeux l'originalité et la sauvegarde du règne. «En vérité, je ne sais ce qu'il faut admirer le plus, ou de la générosité du souverain. qui accorde sans hésiter tous les instruments de la liberté, ou de la loyauté de ses conseillers, et surtout de celui qui, parti d'un camp opposé au Deux décembre, a fait au bien public le sacrifice de ses ressentiments et a su faire triompher le principe de l'autorité avec autant d'énergie et de talent qu'il en avait déployé pour le principe de la liberté. (Très bien! très bien !) Voilà pourquoi j'applaudis à la Constitution nouvelle. Le souverain a conservé tous les instruments de l'autorité réelle, en créant l'Empire libéral; il a enfin armé la liberté sans désarmer l'État. (Mouvement.) Avec un pouvoir pareil, oui, la liberté est possible;

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