Page images
PDF
EPUB

liberté. Voyons leurs raisons. Ah! pour l'ordre, ils n'en donnent pas. Je le comprends sans peine. N'est-il pas évident que si les non dominaient au 8 mai, nous serions, bon gré mal gré, conduits à une révolution ou à une réaction, ce qui est la même chose, et par conséquent au désordre. Ils sont plus explicites sur la liberté « Par le « vote du plébiscite, la nation donnerait au Chef << de l'État un blanc-seing sur toutes les questions « de l'ordre politique et social. » Est-ce bien vrai ? Donner un blanc-seing à quelqu'un, c'est lui donner le droit de faire tout ce qu'il voudra. Or, est-ce le droit que vous accorderez à l'Empereur par la Constitution nouvelle? Pas du tout.

C'est au contraire le droit que vous lui refuserez puisque, à l'avenir, il ne pourra plus rien changer sans votre consentement. C'est donc le contraire d'un blanc-seing que vous voterez. Comment des avocats ont-ils pu s'y méprendre? Comment? Ma foi, dussent-ils se mettre fort en colère, je vais vous le dire: Parce qu'ils vous considèrent comme un immense troupeau imbécile, qui ne sait ni ce qu'il veut ni ce qu'il dit, et qui est toujours prêt à répondre oui à tout ce qu'on lui demande. Cependant, un de ceux qui ont signé cette belle déclaration devrait se rappeler que, lorsque, comme ministre du général Cavaignac, il voulut vous faire répondre oui pour son général, vous répondites tout d'une voix: « Oui »>, mais pour Napoléon! Dans cette occasion, mes amis, vous direz encore tout d'une voix: Oui pour Napoléon, qui ne vous dédaigne

pas, qui vous aime, qui tient à votre opinion. Et non pour ceux qui vous considèrent comme des machines à voter et qui pensent qu'un Empereur, qui ne peut rien faire sans vous consulter, peut faire tout ce qui lui passe par la tête. Et puis, jugez de la logique! Si on consultait vos députés, que vous nommez, on aurait des garanties; mais, quand on vous consulte, vous qui nommez les députés, c'est comme si on ne consultait personne! Qu'ils arrangent cela comme ils pourront. En attendant, mes chers compatriotes, recevez mes salutations amicales1. » (29 avril.)

Même dans l'armée nous respectâmes scrupuleusement la liberté. Un sous-lieutenant en garnison à Lille, s'étant activement employé à faire voter contre le plébiscite, son colonel le punit.

1. Silvestre de Sacy m'écrivit : « Monsieur le ministre et très honoré confrère, je viens de lire dans le Journal officiel votre seconde lettre à vos électeurs, et il m'est impossible de ne pas vous exprimer le plaisir extrême qu'elle m'a fait. La forme en est charmante et le fond sans réplique. Il était impossible de dire plus de choses en moins de mots et d'une façon plus saisissante. M. Thiers, qui a déjà trois révolutions à son compte, voudrait en mettre une quatrième; en vérité, c'est trop. Permettez-moi d'ajouter un seul mot. Je savais bien que vous étiez un homme d'un rare talent; j'avais lu tous vos discours, mais je ne vous avais pas entendu vous-même en personne à la tribune. Je vous ai entendu au Sénat, je vous ai trouvé éloquent dans toute la force du terme. Et qu'y a-t-il au-dessus de l'éloquence? Quelque chose pourtant la sincérité et la droiture du cœur. Je vous ai vu, je vous ai senti, si je puis parler ainsi, et je vous ai aimé. Je voulais vous le dire; je vous le dis! Ce n'est pas au ministre, c'est à l'homme et au confrère que j'écris. Rendezmoi un peu d'amitié, c'est tout ce que je demande. (30 avril 1870.

TOME XIII,

20.

[ocr errors]

Il réclama auprès de l'Empereur. « Il a usé de son droit », répondit l'Empereur, et il fit lever la punition. Un chef de bataillon avait fait mieux : passant avec ses hommes à Baume-les-Dames, il exhorta publiquement la population à voter non. Il fut indemne. Un officier cependant fut puni à Châlons, mais parce qu'il avait annoncé à ses sous-officiers réunis qu'une révolution allait éclater et les avait exhortés à se prononcer pour elle. A Strasbourg on arrêta quelques soldats qui s'étaient concertés avec des jeunes gens pour crier Vive la République ! et refuser de marcher en cas de troubles. Emprisonnés avec leurs complices, ils avaient fait des aveux complets et l'instruction avait démontré que les véritables instigateurs étaient trois élèves de l'École de Santé de Strasbourg. Le ministre, unissant l'indulgence à la correction, au lieu de saisir le conseil de guerre, n'avait frappé les soldats que de peines disciplinaires et envoyé les élèves de l'École dans un régiment, en vertu de l'engagement de sept années qu'ils avaient signé.

Il ne nous était pas permis de tolérer que des étrangers vinssent se mêler de nos affaires et y travailler à une révolution. Nous ordonnâmes au préfet de police d'expulser les étrangers suspects, et moi-même je fis préparer un décret d'expulsion contre Cernuschi qui avait envoyé au Comité anti-plébiscitaire cent mille francs. Je le portai à la signature de l'Empereur; je le trouvai embarrassé, n'osant pas refuser de signer et fâché de le faire : Cernuschi était l'intime ami de

Mme Cornu et celle-ci était venue supplier de ne pas sévir. Mais ma demande était si impérative et tellement justifiée, que l'Empereur dut l'accueillir quoique d'assez mauvaise grâce. Thiers, autre ami de Cernuschi, insista en vain aussi en sa faveur : j'accordai seulement à son protégé le temps de régler ses affaires.

Il nous était encore moins permis de tolérer la violation flagrante affichée de toutes les lois, qui s'étalait dans les réunions publiques et dans les journaux et de laisser impunément provoquer à l'assassinat de l'Empereur. Avant de prendre des mesures, nous avions un moment écouté sans agir, espérant que cette folie se calmerait. Cette expectative avait été mal interprétée : les uns narguaient notre poltronnerie, les autres la traitaient de manœuvre policière. Les uns et les autres ne devaient pas tarder à être confondus. J'écrivis aux procureurs généraux : <«<< Nous ne pouvons assister les bras croisés au débordement révolutionnaire. Respectez la liberté, mais la provocation à l'assassinat et à la guerre civile, c'est le contraire de la liberté. » (30 avril.) Au procureur général d'Aix je télégraphiai : « On me dit que les réunions de Marseille sont intolérables par leur violence. N'hésitez pas à faire un exemple, et surtout frappez à la tête. Prenezvous-en aux avocats, aux messieurs plutôt qu'aux pauvres diables du peuple. » (1er mai.) En général, sur l'opportunité des poursuites à exercer, je m'en remettais à l'initiative des officiers du parquet. En cette occasion je m'écartai de cette

pratique. Je télégraphiai au procureur général de Besançon d'exercer des poursuites contre un journal qui avait illégalement couvert les murs d'affiches. Il me répondit que le préfet et lui jugeaient la poursuite inopportune : elle produirait un très mauvais effet. Je ripostai : « Peu importe l'effet quand la loi est impérieuse. Il est temps d'ailleurs que l'on sente la main du gouverne

ment. »

VII

Les révolutionnaires avaient en vain essayé de l'insurrection lors de l'affaire Victor Noir; des journées et des barricades lors de l'arrestation de Rochefort, des grèves au Creusot et ailleurs. Partout ils avaient piteusement échoué; il ne leur restait qu'un moyen, l'assassinat. Flourens à Londres se chargea de l'organiser. C'est dans l'armée qu'il chercha l'assassin. La propagande antimilitariste devenait le principal objet de l'activité révolutionnaire. Il avait réussi à glisser dans les casernes un catéchisme à l'usage du soldat dans lequel il était demandé : « Que doit-on faire quand un officier ordonne de faire feu sur le peuple? - Réponse: Tirer sur lui. » —— On vint un jour avertir l'Empereur qu'un régiment qu'il allait passer en revue devait le fusiller. L'Empereur ne se rendit pas moins à la revue. Le régiment fut froid, mais personne ne bougea. Flourens crut avoir trouvé son instrument dans

« PreviousContinue »