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mense majorité, la liberté est irrévocablement fondée sous la sauvegarde des Napoléons.

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Les Débats se déclarèrent satisfaits : « Le gouvernement ne se laissera-t-il pas entraîner à son tour, se demandait-on, dans la voie funeste où tant d'autres avant lui sont allés se perdre, et les craintes qu'il a le droit de concevoir pour le maintien de l'ordre ne l'amèneront-elles pas fatalement à sacrifier au moins en partie les libertés si péniblement reconquises? A cette question, M. Émile Ollivier répond non. Voilà pourquoi nous pouvons aller dimanche prochain déposer dans l'urne un bulletin affirmatif sans craindre que notre vote ne soit compté comme un suffrage en faveur d'un retour à un passé que personne ne s'est encore avisé de regretter. Voilà la première fois, depuis bien des années, que la France peut assister pendant de longs mois aux folies du parti démagogique, sans se rejeter violemment en arrière. A la veille du scrutin qui va s'ouvrir, nous tenons à constater une fois de plus que les membres du gouvernement et tous les défenseurs du plébiscite sont unanimes à repousser et à condamner toute idée de réaction. C'est là ce qui nous affermit dans notre résolution de répondre oui à la question qui nous est posée. »

IX

La liberté de la propagande anti-plébiscitaire demeura donc entière jusqu'au bout, et nous

sa

eûmes quelque mérite, car chaque jour sa fureur augmentait dans la presse et dans les réunions privées. Un appel du Comité de la Gauche à l'armée égale, comme incitation à la révolte, tout ce que l'antimilitarisme moderne a inventé de plus répréhensible: «Demain, on va vous réunir dans vos casernes et vous demander un vote en faveur d'un régime qui pèse encore plus lourdement sur vous que sur les autres citoyens. Electeurs, vous faites partie du peuple souverain, et puisque l'Empire pose à nouveau candidature, ne consultez que votre raison et votre bon sens. Ministres, généraux, colonels n'ont rien à voir dans le domaine de votre conscience. Si vous croyez qu'un gouvernement qui vous enlève pendant vos plus belles années à vos affections, à vos devoirs civiques, à vos espérances de travail, qui fait de vous presque des étrangers dans votre propre pays, ne blesse ni la justice ni votre liberté, votez oui sous l'œil de vos supérieurs. Si, au contraire, vous voulez reconquérir votre place au foyer, vos droits à la vie sociale, tout en restant à la disposition de la patrie, dans le cas où sa sécurité ou son honneur serait menacé; si vous croyez que la liberté est le premier des biens, si vous êtes las de servir de rempart et d'instrument à une politique que vous combattrez vous-mêmes dès que vous ne serez plus soldats, si vous ne voulez plus de ces guerres impies ou stériles qui vous coûtent le plus pur de votre sang, si vous voulez enfin vivre en hommes libres dans une patrie

libre, votez hardiment non. Parmi ceux qui vous commandent, les meilleurs ne gémissent-ils pas souvent de vous trouver plus empressés qu'ils ne voudraient à exécuter certains ordres qu'ils sont forcés de vous transmettre?

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Cependant les invectives montèrent à un tel diapason qu'elles devinrent intolérables. Ce fut d'abord un manifeste de Victor Hugo dans lequel se trouvaient résumées toutes les insanités des réunions publiques. « Que pensez-vous de l'Empire? Je le nie. L'Empire a commencé par ce mot: Proscription. Il voudrait finir par celui-ci : Prescription. Ce n'est qu'une toute petite lettre à changer. Rien n'est plus difficile. Sacrifier 700 000 hommes pour démolir la baraque de Sébastopol, s'associer à l'Angleterre pour donner à la Chine le spectacle de l'Europe vandale, grandir l'Allemagne et diminuer la France par Sadowa, prendre et lâcher le Luxembourg, promettre Mexico à un archiduc et lui donner Queretaro, apporter à l'Italie une délivrance qui aboutit à un Concile, faire fusiller Garibaldi par des fusils italiens à Aspromonte et par des fusils français à Mentana, endetter le budget de huit milliards, tuer le respect des juges par le respect des princes, écraser les démocraties, creuser des abîmes, remuer des montagnes, cela est aisé. Mais mettre un e à la place d'un o, c'est impossible. On nous invite à voter sur ceci : le perfectionnement d'un crime. Nous, les citoyens de la république assassinée; nous, les justiciers pensifs, nous regardons, avec l'intention d'en user,

TOME XIII.

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l'affaiblissement d'autorité propre à la vieillesse d'une trahison. Nous attendons. Et, en attendant, devant le mécanisme du plébiscite nous haussons les épaules. Du reste, si l'auteur du coup d'Etat tient absolument à nous adresser une question à nous, peuple, nous ne lui reconnaissons que le droit de nous faire celle-ci : « Dois-je quitter les Tuileries pour la Conciergerie et me mettre à la disposition de la justice? Oui.» (Victor Hugo.)

Ce fut ensuite une proclamation apocryphe, déjà convaincue de faux en 1848, dans laquelle on faisait dire à Louis-Napoléon': « La République démocratique sera mon culte, j'en serai le prêtre. Jamais je n'essayerai de m'envelopper dans la pourpre impériale........ Que ma bouche se ferme pour toujours si je prononçais jamais un mot, un blasphème contre la souveraineté républicaine du peuple français... >> Nous ordon

1. Cette proclamation avait été publiée à Paris sous le titre de « Débarquement de Louis-Bonaparte, sa proclamation au peuple français », par l'éditeur Boulland. Cette proclamation avait été le 19 septembre 1848 l'objet d'une plainte du prince Louis-Napoléon. L'instruction établit que, de l'aven même de ceux qui avaient fait la proclamation, elle était un acte de spéculation qu'oc appelle canards; en conséquence, le prince Louis-Napoléon écrivit au juge d'instruction: « La justice donnera à cette affaire la suite qu'elle jugera convenable. Néanmoins, si j'ose exprimer ici un vœu, je dirai qu'en ce qui me concerne, l'intention des auteurs du faux n'ayant eu d'autre but qu'une affaire de spéculation, je serai heureux d'apprendre qu'il est intervenu une ordonnance de non-lieu, sous la condition toutefois que la publication du discours sera et demeurera supprimée. » Le 12 octobre 1848 fut rendue une ordonnance de non-lieu.

nâmes des poursuites, et comme ces poursuites ne pouvaient avoir d'effet avant le scrutin, nous fîmes saisir les journaux qui contenaient le factum de Victor Hugo et le faux manifeste de Louis-Napoléon.

Ces excitations de plus en plus furibondes, l'incertitude du résultat qui, même chez les plus confiants, s'accroît à l'approche du moment décisif, les projets d'insurrection annoncés pour le soir du scrutin de Paris, où l'on ne doutait pas d'une écrasante majorité de non, avaient produit une stagnation dans les affaires et une panique dans les esprits. Dans la journée du 7, plus de dix millions de billets avaient été changés en espèces à la Banque de France; beaucoup de familles quittaient Paris. Des hommes de Bourse vinrent nous proposer des combinaisons financières pour soutenir artificiellement la rente et rappeler la confiance. Segris et moi nous les repoussâmes; nous entendions ne troubler par aucune mesure factice le cours naturel des choses. Nous primes seulement quelques précautions, et un conseil de guerre fut tenu le 7 au soir sous la présidence de l'Empereur, entre Le Boeuf, Canrobert, Bazaine, Chevandier, Pietri et moi.

Nous arrêtâmes un plan tout à fait différent de celui suivi lors de l'affaire Victor Noir: dans la journée du 8 toutes les troupes de l'armée de Paris seraient mises sur le pied de combat, toute la police concentrée dans ses postes et la ville laissée entièrement à elle-même. Aussitôt

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