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l'importance des intérêts qui pourraient se trouver engagés dans les Principautés, le jour où l'accord des grandes puissances n'existerait plus. Nous savons que le Cabinet autrichien n'est pas sans crainte sur la situation de la Moldo-Valachie. Nous avons même lieu de croire qu'il s'est déjà placé en présence de l'hypothèse d'une occupation russe et qu'en ce cas il ferait entrer des troupes dans les Principautés. Le prince de Metternich a été chargé de pressentir ce que ferait le gouvernement de l'Empereur en pareille conjoncture. Je lui ai répondu que nous remplirions le rôle qui nous est dévolu par notre participation aux actes constitutifs de l'ordre de choses établi dans la Principauté, et que nous proposerions de réunir une conférence à Paris, pour rappeler toutes les puissances au respect des traités. >>

Mais je voulus prévenir cette éventualité. Je m'adressai à l'Autriche. Indépendamment des obligations générales imposées aux puissances par le traité de 1856, l'Autriche en avait contracté une spéciale par le memorandum rédigé lors de l'entrevue de Salzbourg. L'Empereur n'en avait plus le texte. Notre ambassadeur à Vienne, le duc de Gramont en congé à Paris, à l'occasion d'un deuil de famille, me le communiqua. J'écrivis alors à Vienne pour savoir si, le cas échéant, l'Autriche respecterait et le traité de 1856 et l'accord de Salzbourg. La réponse ayant été affirmative, je demandai à Pétersbourg si l'on était également décidé à s'en tenir au

Traité de Paris et à s'interdire toute intervention séparée dans les Principautés. La réponse fut satisfaisante aussi (14 mai). Je communiquai ces assurances au gouvernement turc, et nous attendimes tranquillement la commotion annoncée.

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Je terminai ensuite un très grand nombre d'affaires pendantes, deux notamment qui traînaient depuis longtemps le traité d'extradition avec l'Italie, et l'affaire des tribunaux mixtes en Égypte.

De petites difficultés de détail arrêtaient la conclusion du traité d'extradition je les tranchai et signai le traité. Nubar avait été chargé d'obtenir l'adhésion des puissances au projet de la Commission consultative d'Égypte. Il alla à Constantinople (15 mars) chercher celle du suzerain. La Porte, adoucie à l'égard du Khédive, lui avait concédé la faculté de contracter des emprunts pour sa Daïra, quoique ce lui fût une facilité à déguiser de véritables emprunts d'État. Cependant Nubar rencontra une opposition très vive l'intervention des juges européens dans un pays indigène paraissait aux Turcs une profanation et comme une aliénation de l'Égypte au profit de l'Europe. « C'est une question, s'écriait le Sultan, à trancher par l'épée, si le Vice-Roi insiste. » Le Conseil des ministres conclut à l'unanimité au rejet. Nubar allait repartir plus

exaspéré que résigné. Il vint communiquer ses déceptions à Bourée. Celui-ci, sans attendre mes instructions, prit sur lui de conseiller au Grand vizir de procéder d'une manière moins absolue, puisque le Vice-Roi faisait acte de déférence à Constantinople. Le Grand vizir écouta ses observations et des pourparlers recommencèrent (13 avril). Les clauses contre lesquelles la Porte s'élevait le plus étaient celles qui soumettaient aux tribunaux nouveaux les terres et les différends entre le Khédive et ses sujets. Nubar ne crut pas pouvoir abandonner la compétence relative aux terres; il effaça celle relative aux sujets. Aali alors regretta cette concession. Il dit : «< Ainsi, protection, justice seront toujours le partage des étrangers et le sort des nôtres sera toujours d'être foulés aux pieds. - Monseigneur, répliqua Nubar, j'ai fait mon devoir envers Dieu et mon pays, c'est Votre Altesse qui m'empêche... » Aali l'interrompit << Tu ne sais pas les difficultés que je rencontre pour cette affaire. Je ne puis autoriser officiellement ton projet dans son entier mais, en dehors de moi, fais-le; mets la population sous la protection de la loi. »

Bourée fut frappé de la joie répandue sur le visage de Nubar à la sortie de cette audience. Néanmoins l'encouragement donné à Nubar ne modifia pas les instructions transmises à Djemil; elles restèrent restrictives : « Nous reconnaissons l'urgence de mettre fin à l'état de choses abusif qui s'est établi depuis quelque temps en Égypte... C'est dans ce but qu'on repropose

l'institution de tribunaux, qui seraient composés de magistrats indigènes et européens. Cette institution ne s'éloigne pas de la constitution des tribunaux de commerce appelés, dans les autres parties de l'Europe, à connaître des causes mixtes. Elle ne pouvait donc rencontrer, de la part de la Sublime Porte, aucune difficulté, mais, ce qui ne pouvait être admis, c'est l'étendue de la juridiction des tribunaux sur toutes les affaires indistinctement. On ne saurait, en effet, soumettre à des juges étrangers, et soustraire à leurs tribunaux naturels, les indigènes et les fonctionnaires, pour des causes dans lesquelles aucun intérêt étranger ne se trouve impliqué. Notre manière d'envisager ce point est tellement claire que nous n'avons pas douté un seul instant de voir notre légitime scrupule partagé par toutes les puissances. A cette double condition, la Sublime Porte est prête à sanctionner la réalisation des réformes indiquées par la Commission, si elles sont agréées par les Cabinets étrangers. Vous pouvez donner votre appui à Nubar auprès du Cabinet français, dans les limites que je viens d'indiquer à Votre Excellence. » (13 avril.)

Nubar vint lui-même à Paris solliciter le concours de notre gouvernement. Le succès de son œuvre dépendait de l'accueil que nous lui ferions. Si les bureaux des Affaires étrangères fussent demeurés maîtres de la solution comme so us Moustier, La Valette et La Tour d'Auvergne, il eût rencontré un refus certain; ce

refus eût converti la tolérance de la Porte en opposition définitive et tout eût échoué. Heureusement pour la réforme, j'étais là, et Nubar m'avait souvent entretenu de son projet. Je l'approuvais, je l'avais encouragé. Dans mes recherches sur les différends de Suez, j'avais pu me convaincre personnellement des intolérables abus de l'intervention consulaire. La réforme me paraissait indispensable et légitime ; je considérai de mon devoir d'en assurer le succès. Daru étant encore au ministère, j'avais invoqué le caractère juridique de la question, et obtenu de lui qu'il nommât une commission composée de jurisconsultes, de diplomates, de notables intéressés aux affaires égyptiennes, présidée par le vénérable Duvergier, mon prédécesseur à la Justice, et dans laquelle il n'admit que le chef du contentieux des Affaires étrangères. Le rapport fut favorable au projet et il était terminé.

Je convoquai aussitôt dans mon cabinet Duvergier, les membres de la Commission, Djemil, Nubar et le directeur des affaires politiques Desprez. Chacun présenta ses observations pendant plusieurs heures d'étude approfondie. Desprez proposa que les Codes rédigés par Maunoury fussent communiqués aux puissances en même temps que le projet de réformes. Cela ne souleva aucune difficulté. Il voulut de plus qu'aucune modification ne pût être postérieurement introduite dans ces Codes par le gouvernement égyptien, dont il y avait à redouter les caprices arbitraires. Nubar fit remarquer qu'il serait dé

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