Page images
PDF
EPUB

leures. Nous avions présenté un petit projet de loi rendant aux conseils généraux le libre gouvernement d'eux-mêmes ils étaient investis du droit d'élire leur président et de régler tout ce qui concerne la rédaction et la publication de leurs procès-verbaux. Duvernois et Jérôme David présentèrent l'amendement suivant: Les séances du Conseil général sont publiques à moins que la majorité ne demande le Comité secret. Un compte rendu est rédigé sous la surveillance du Président. Il mentionne le nom des membres qui ont pris part aux séances. Il n'y avait aucune difficulté sur la publicité à accorder aux débats des conseils généraux ; qui dit responsabilité dit publicité, et nous admettions très bien que les séances des conseils généraux eussent de la publicité; mais la publicité peut être procurée de diverses manières; elle peut résulter de la publication extérieure, par la voie des journaux, du compte rendu d'un débat qui lui-même a eu lieu à huis clos; ou bien de la publicité extérieure, c'est-àdire de la publicité du lieu même des séances. La publicité extérieure a paru longtemps si peu nécessaire dans les assemblées politiques qu'elle était interdite dans le parlement anglais; on n'admettait pas le public dans la salle de séances et l'on considérait que le huis-clos était une garantie de la liberté. Ouvrir l'enceinte des conseils généraux au public, c'était, par une conséquence naturelle, lui ouvrir celle des conseils municipaux ainsi qu'on avait fait en 1848. L'épreuve n'avait pas réussi; on n'avait vu dans les salles

que des démagogues essayant de terroriser l'assemblée. L'Empereur et beaucoup de nos amis. conservateurs répugnaient à changer, par une innovation qu'on ne réclamait pas, le caractère paisible des assemblées départementales et communales. Quant au Cabinet, après tant de réformes beaucoup plus radicales, celle-là ne l'effrayait pas. Mais en vue de ménager les craintes des conservateurs et surtout celles de l'Empereur, sans dire ni oui ni non, il avait eu l'idée d'en appeler aux conseils généraux eux-mêmes et de subordonner sa décision à la leur.

Duvernois supposait que son amendement réunirait les voix du Centre gauche, de la Gauche et formerait une coalition sous laquelle il nous accablerait. Il le développa longuement et sans talent, par des raisons tirées de la nécessité de décentraliser, de donner aux assemblées administratives l'aiguillon de la publicité et il conclut par un raisonnement à la Girardin : « Je comprends qu'un gouvernement hésite avant de s'engager dans la voie libérale, et qu'une fois engagé, il ménage ses ressources et ses amis pour se défendre au besoin. Mais je ne comprends pas qu'on soit conservateur pusillanime où libéral sans hardiesse; quand une fois on est engagé dans la voie, il faut accepter résolument et bravement toutes les conséquences. » Pinard soutint l'amendement par une raison spéciale : « Je ne comprends pas l'ajournement, une fois les vœux politiques admis. C'est ajourner la conséquence après avoir posé le principe. J'aurais compris qu'on discutât l'oppor

T. XIII.

27.

tunité d'admettre les vœux politiques. Mais le premier pas franchi, il ne faut pas hésiter sur les conséquences. Or, le vœu politique entraîne, au préalable, la discussion politique et la discussion politique implique la publicité de la séance avec faculté de comité secret. >>

Chevandier opposa à Duvernois le témoignage des républicains : « En 1858, le ministre de l'Intérieur, M. Sénart, disait : « Je comprends l'utilité de la publication des débats des conseils généraux et municipaux lorsqu'on y traite des questions d'intérêt public; mais la publicité, c'est-àdire la présence d'un auditoire, j'avoue que je ne comprends pas qu'elle puisse avoir la moindre utilité. » Néanmoins il était visible que nous allions succomber sous la coalition de la Gauche et de la Droite, et de quelle façon ! Pour avoir, nous ministères libéraux, combattu une mesure libérale ! La Droite serait donc arrivée au pouvoir comme représentante de la liberté contre le ministère du 2 janvier! D'un coup d'œil je vis la manœuvre et je la conjurai par une résolution inattendue. Je réfutai rapidement les objections de Pinard et Duvernois. Je dis à Pinard: « La publicité et l'idée des vœux politiques n'ont pas le moindre rapport; ce sont deux questions qui cheminent l'une à côté de l'autre sans se rencontrer. » Je dis à Duvernois : « Vous invoquez la nécessité de donner de la force et de l'autorité aux conseils généraux. Et vous vous séparez de nous lorsque nous proposons de consulter les conseils généraux avant de régler une partie im

portante du mécanisme de leurs délibérations. Pourquoi le faisons-nous cependant, si ce n'est pour donner, nous aussi, de la force et de l'autorité aux conseils généraux? » (Mouvements divers.) J'indiquai les conséquences de l'amendement : Lorsque vous aurez déclaré en principe la publicité des séances des conseils généraux, je vous défie de trouver une seule raison pour ne pas admettre la publicité des séances des conseils municipaux. » (Dénégations à droite et au centre.

་་

Gambetta et autres membres à gauche : C'est vrai! - C'est cela!) D'ailleurs, je ne m'attardai pas à cette discussion et je fis une déclaration à laquelle on ne s'attendait pas: « Ceci dit, et ces explications données, si la Chambre croit que la question est assez mûre, si elle se croit en situation de voter dès aujourd'hui la publicité des conseils généraux et virtuellement la publicité des conseils municipaux... (Interruptions diverses.

Non! non! - Oui! oui !)... (Mouvement), le Gouvernement, après vous avoir présenté ses observations, vous déclare que, si l'amendement est voté, il l'acceptera et ne retirera pas la loi. » (Très bien! très bien! - Aux voix! aux voir !) Les coalisés étaient en déroute. L'amendement fut voté par 113 voix contre 82'. Thiers qui sentait la faute commise par ses amis du Centre gauche et de la Gauche, d'assaillir notre ministère au profit de la Droite, n'approuva pas cette campagne et s'abstint.

1. Séance du 3 juin 1870.

VI

Le troisième coup avait donc encore manqué. La presse hostile n'en signala pas moins le vole de l'amendement comme un échec grave pour le Cabinet. Nous-mêmes nous étions offensés. Segris, particulièrement exaspéré, voulait que nous donnions notre démission. Chevandier jugea la crise avec plus de sang-froid : « Mon cher ami, je crois que notre devoir est d'aller avant le Conseil chez l'Empereur pour lui rendre compte de la situation. Je viendrai vous prendre à neuf heures. Segris a tort de vouloir quitter avant le combat, on ne doit pas jeter les armes devant la première escarmouche. Nous sommes en face d'une intrigue, car si nous avions proposé ce que voulaient une partie de nos adversaires, ils eussent très probablement soutenu le contraire qui était bien plus dans leurs idées. Beaucoup de membres étaient absents. On a voté pour eux et, hier au soir, quelques-uns ne savaient pas ce qu'ils avaient fait. Nous devons lutter, lutter pour notre cause libérale et conservatrice. Lâcher pied sans y être contraint serait ne montrer ni foi dans notre cause, ni caractère politique. - Ce serait livrer le pays à la réaction avant qu'il ne soit démontré qu'il ne peut supporter la liberté '. >>

1. 4 juin 1870.

« PreviousContinue »