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» et

êtes indécis! vous n'avez aucune politique! qu'on conclue en disant: « Je voterai pour vous. >> Voter pour eux dans ce cas, c'est donner le droit de penser qu'on ne songe qu'à les compromettre. Je n'accepte pas votre vote. » (Très bien! très bien! Applaudissements prolongés.)

Ces bravaches, qui nous pourfendaient tous les jours dans les couloirs, reculaient quand nous les défiions en face. Jérôme David essaya de reprendre son discours : « M. le garde des Sceaux vient de m'adresser et d'adresser à plusieurs de mes amis une injonction qu'il m'est impossible d'accepter. Je ne suis pas partisan de la politique sentimentale, et je ne saurais admettre la théorie de M. le ministre. Quelle que soit la part que je fasse à sa personnalité, il m'est impossible de la confondre avec l'intérêt du pays. Or, il y a des circonstances où l'intérêt du pays peut me faire lui donner mon vote, alors même que ce vote le désobligerait. (Très bien! très bien! sur plusieurs bancs.) M. le ministre a d'ailleurs mal compris mes paroles. Je n'ai pas dit que vous étiez un ministère incapable; j'ai dit que la question était mal posée. Je ne vous conteste pas le droit de demander à la Chambre un vote de confiance quand vous croyez le moment venu de le faire, mais vous ne pouvez pas contester à ses membres le droit de mettre en regard de votre intérêt l'intérêt du pays. La question se pose mal, parce que nous ne sommes pas encore au point d'avoir contre vous de la défiance. Le vote d'hier vous a indiqué que sur quelques points

nous différions d'avis avec vous, qu'il était des circonstances où notre libéralisme dépassait le vôtre. Nous vous avons donné là un premier avertissement. » (Bruit. DUVERNOIS Nous attendrons notre heure. - Exclamations.) L'ordre du jour de confiance fut voté à l'unanimité de 189 voix, mais avec 63 abstentions1.

Cette séance, qui rendit sensible au public la profonde hostilité de la Droite, ne fut pas heureuse pour l'Assemblée. Elle redoutait avant tout une dissolution. Or, l'idée se généralisa que cette dissolution devenait une nécessité, parce que la Chambre, «< brouillant tout, remuant tout sans méthode, paraissant ne viser qu'à fatiguer le ministère au lieu de le seconder, était, disait le Journal des Débats, le véritable obstacle au progrès». Des esprits comme Saint-Marc Girardin, jusque-là très opposés à cette dissolution, s'en déclaraient désormais les partisans et il n'est pas douteux qu'après quelques séances encore de cette nature, elle ne devînt une de ces exigences de l'opinion auxquelles un ministère libéral ne peut pas résister.

La campagne de renversement, maintenant avouée, était conduite par deux hommes dont l'un touchait 30 000 francs par an sur la cassette de l'Empereur et l'autre recevait une subvention pour son journal. Si l'Empereur ne les désavouait. pas, nous n'avions qu'à nous retirer et nous y étions décidés. Nous ne crûmes pas cependant

1. Séance 4 juin 1870.

qu'il fût de notre dignité de demander ce désaveu: nous attendimes ce que ferait l'Empereur livré à ses propres inspirations. Notre confiance ne fut pas déçue. Il écrivit à Jérôme David une lettre dans laquelle il blàmait sévèrement son attitude, lui disant que ses amis le servaient fort mal en créant des difficultés à un ministère qui avait toute sa confiance, et il retira à Duvernois la direction du Peuple français puisqu'il faisait de ce journal un moyen d'attaque contre nous.

L'Empereur se détermina d'autant plus aisément à nous soutenir que nous lui procurions un nouveau succès. Le Cabinet, dans les élections départementales qui venaient d'avoir lieu le 11 et le 12 juin, avait appliqué sur une large échelle son système de neutralité: ni affiches blanches, ni intervention des fonctionnaires, ni bulletins apportés par les gardes champêtres, l'électeur laissé libre. Les Irréconciliables s'étaient vantés de trouver dans cette élection une revanche de leur échec du 8 mai; ils eurent, en effet, quelques succès: Jules Simon, Lavertujon élus à Bordeaux; Gagneur, dans le Jura; Magnin, dans la Côted'Or, etc. Quelques indépendants furent élus aussi, mais la plupart, comme Albert de Broglie, avaient déclaré vouloir maintenir le gouvernement de l'Empereur dans la voie libérale et répudier les révolutions; enfin, quelques bonapartistes de marque avaient été évincés, tels que Vendre, maire de Grenoble, Mathieu de la Corrèze. Mais tous les hommes importants de l'Empire, aussi bien ceux du régime autoritaire que

ceux du régime libéral, étaient réélus, et, malgré l'ardeur du parti révolutionnaire et la mollesse du parti conservateur, conservateurs et libéraux obtenaient à peu près neuf voix sur dix. Le vote du 8 mai était confirmé par celui des 11 et 12 juin.

Après l'admonestation à Jérôme David et le renvoi de Duvernois, la Droite, qui ne voulait pas entrer en conflit avec l'Empereur, refréna ses sentiments hostiles, et les journaux constatèrent qu'un grand apaisement s'était produit, dans les régions gouvernementales aussi bien que dans les régions parlementaires, et que le Cabinet, sorti des difficultés de la dernière crise, ne verrait plus son existence menacée durant la session. Et ce fut en silence que Duvernois dut attendre son heure.

VII

Cet apaisement ne simplifia pas cependant notre tâche législative interpellations, projets d'initiative ne cessèrent de nous assaillir et nous continuâmes à être mis tous les jours à la question. Il n'est pas de sujet sur lequel on ne nous interpellât. Au beau milieu de nos crises avec la Droite, Jules Ferry nous entreprit sur la vaccine. Il nous reprocha de n'avoir pas suffisamment averti les populations que la revaccination est un préservatif sûr. « C'est fort contesté », s'écrièrent Granier de Cassagnac et d'autres membres. Je ne m'étais guère occupé jusque-là de vaccine et

de revaccination. J'avais pour médecin et ami un praticien de génie, le docteur Gruby, dont les procédés, très raillés alors, sont devenus le fond commun de la thérapeutique actuelle, et qu'Alexandre Dumas, moi, et tant d'autres nous vénérions comme un bienfaiteur. Je le priai de me revacciner. « Je m'en garderai bien, me dit-il, ni vaccine, ni revaccination n'ont jamais préservé de la petite vérole. Je me suis renfermé pendant des mois dans les hôpitaux et j'y ai vu mourir autant de vaccinés que de non-vaccinés.

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Mais qu'importe, lui dis-je, revaccinez-moi toujours, cela ne peut pas faire de mal. - C'est ce qui vous trompe. Ce n'est pas seulement la précaution inutile, c'est la précaution dangereuse. On ne sait jamais à quoi on s'expose en s'injectant un virus dans le corps1. Vous avez trop à faire pour Vous me vous exposer à une telle expérience. stupéfiez, mon bon docteur. Je croyais l'efficacité de la vaccine hors de doute, à ce point qu'elle a été rendue obligatoire en Angleterre comme en Allemagne et que, depuis ce temps, la variole y a tout à fait disparu. Qui vous a raconté cela? La variole n'existe ni plus ni moins qu'auparavant, souvent elle est moins terrible et moins fréquente, comme la peste, par exemple, grâce

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1. Traité des maladies de la peau par Donald Kennedy: «< Si je découvrais tous les cas de maladies du sang que j'ai eu à traiter à la suite de la vaccine et si je pouvais vous faire voir toutes les souffrances que ces malheureux ont endurées pendant des mois et des années, le cœur vous ferait mal. Pour l'amour de Dieu, si vous aimez vos enfants ne les faites pas vacciner. »

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