Page images
PDF
EPUB

grands fonctionnaires de l'Empire, telles que Mme Troplong et Mme Walewska, etc., des noms ayant appartenu à d'autres régimes: Mmes de Martignac, Decazes, Marrast, etc.

L'opposition demanda l'abrogation de cette loi (15 février). La majorité n'eut pas le courage de la lui refuser. Elle prit la proposition en considération (rapport du 8 mars) et la renvoya aux bureaux. Nonobstant, l'Empereur soumit au Conseil d'État un décret accordant à la veuve du maréchal Niel une pension de 20000 francs. Le général Allard la jugea excessive et, afin d'éviter un avis défavorable, le maréchal Le Bœuf, à son grand déplaisir, consentit à la réduction de 10 000 francs. Je comptais, la session terminée, demander à l'Empereur de faire encore usage de son privilège au profit de la fille adoptive de Lamartine, Mme Valentine de Cessiat'. La somme votée à titre de récompense nationale avait été insuffisante à combler le passif énorme de Lamartine, et cette noble et courageuse femme, après avoir jeté dans le gouffre tout ce qu'elle possédait, se trouvait dans une situation très difficile, toujours à la veille de vendre SaintPoint, le lieu consacré où l'immortel poète avait écrit Jocelyn, et où il dormait son dernier sommeil entre sa mère et sa fille.

1. Voir Valentine de Lamartine, par Marie-Thérèse OLLIVIER (Hachette).

VIII

Si au Corps législatif nous étions toujours à la bataille, nous retrouvions d'habitude la paix au Sénat. Tout à coup le feu s'y mit aussi. Cette fois ce ne fut plus du Cabinet qu'il s'agit, mais de moi personnellement. Le traité sur l'exécution des jugements en Espagne avait été arrêté entre Olozaga et moi. Il était loin cependant d'être conclu; il restait à obtenir l'assentiment du gouvernement espagnol et celui de mes collègues et de l'Empereur, auxquels je n'en avais pas encore parlé. L'examen en conseil n'aurait pas été une vaine formalité, puisque, parmi nous, se trouvait un juriste aussi expérimenté que Segris. Cependant, ce projet fut communiqué, sans doute par l'employé des Affaires étrangères qui livrait tous nos secrets, à quelques sénateurs. Rouher crut que, s'agissant d'une nouveauté attentatoire à la routine, l'occasion était bonne de m'infliger un échec. Une campagne fut organisée. Brenier engagea la question1. Gramont refusa la discussion sur un acte qui n'était pas définitif, et moimême je n'y consentis que sur une thèse générale juridique et à titre purement hypothétique. Brenier exposa courtoisement la thèse courante sur l'exécution des jugements étrangers et s'expliqua dédaigneusement sur le peu de confiance que

1. Séance du Sénat du 21 juin.

T. XIII.

28.

méritait la justice espagnole. Je rétablis dans une discussion juridique les véritables principes de la matière et je défendis la science espagnole contre ces sévérités. Ensuite, je montrai dans ce traité une application des idées civilisatrices qui guidait toute ma politique étrangère. « Ce n'est pas à une époque où l'on perce les montagnes par des tunnels gigantesques, où l'on dépense tout le génie humain à supprimer les frontières naturelles, à une époque où, dans tous les parlements, diplomates, jurisconsultes et hommes d'affaires s'unissent pour demander un code international de commerce, un code international maritime, l'unité des monnaies, du crédit et des lois; ce n'est pas à une telle époque qu'on pourrait méconnaître que la première assise du droit commercial et maritime international, du crédit public international et de l'unité de monnaie, c'est l'unité de la justice. Voilà le lien qu'il faut établir. A moins qu'un pays n'en soit encore à l'état barbare et que sa justice ne soit indigne du monde civilisé, il faut que les jugements rendus par ses tribunaux soient considérés comme acquis, définitifs, exécutoires dans tous les États avec lesquels il entretient des relations régulières et pacifiques.» Boinvilliers reprit en avocat plus qu'en jurisconsulte l'argumentation de Brenier; il ne la rendit pas plus concluante. Il me railla: « Il y a une partie de votre discours où vous avez montré une ardeur toute juvénile... (Sourires sur quelques bancs.) En parlant d'un Code international de commerce, d'un Code international maritime,

le jeune ministre a semblé se porter avec un certain entrain vers une union universelle, vers des rapports internationaux plus larges, et il paraissait en faire le symbole de sa politique future! » Je répliquai avec bonne humeur : « Mon vénérable contradicteur a paru épouvanté de mon ardeur juvénile, de cette espèce d'impatience qui me pousse vers l'avenir. Je suis heureux d'avoir entendu cette parole dans cette enceinte et de sa bouche autorisée. Cela me console des reproches contraires que tous les jours on m'adresse dans une autre enceinte. (Rires.) Qu'il me permette seulement de lui répondre que si je pèche par ardeur juvénile, ce qui ne serait peut-être plus excusable à mon âge, ce n'est pas du moins en rèvant un Code de commerce général : la conception d'un Code de commerce général pour l'Europe, si elle se réalise (et j'espère qu'elle se réalisera bientôt), ne sera pas une innovation, ce sera une restauration, un retour vers le passé, ce qui doit plaire à l'honorable orateur. En effet, à l'origine du droit commercial, du temps des Stracha, des Casaregis, des Scaccia, tandis que le droit civil était morcelé et divisé, le Code de commerce était universel, le même pour le banquier de Paris et pour celui de Gênes ou de Florence. Quand je demande à revenir vers cette unité, j'obéis à un souvenir classique, bien plutôt qu'à une effervescence romanesque ou romantique. >>

Dans mon argumentation j'avais eu un moment de faiblesse en paraissant admettre l'im

«

[ocr errors]

possibilité, quoique mon projet stipulât le contraire, de déléguer à un consul le pouvoir de délivrer l'exequatur. Baroche profita habilement de cette défaillance. Je retirai ma concession : Puisque M. le garde des Sceaux, reprit Baroche, ne fait pas de concession; il trouvera bon qu'on ne lui en fasse pas. -- LE GARDE DES SCEAUX: Je n'en demande pas. BAROCHE Je n'ai pas besoin de votre autorisation pour rester ferme dans mon principe. (Adhésion.) Se contenter d'un visa consulaire pour autoriser en France l'exécution d'un jugement étranger, c'est se mettre en opposition avec tous les principes et avec les règles de cette prudence dont notre sage diplomatie n'a pas l'habitude de se départir.» (Très bien! très bien! - Adhésion sur un grand nombre de bancs.) J'établis que conférer un pouvoir judiciaire à des consuls était ce qu'il y avait de plus conforme à notre droit national et je repoussai les ordres du jour Brenier et Boinvilliers.

Pendant tout le débat, Rouher eut l'attitude d'un homme qui ne se contient pas il s'agitait sur son fauteuil présidentiel, frappait le bureau de son couteau de bois. A un certain moment, il fut tellement impatientant, que je me retournai vers lui et l'interpellai. Bonjean vint à mon aide et empêcha le succès de la petite conspiration. Il reprit d'une manière savante, tout à fait lumineuse, ma thèse juridique et, sauf en ce qui concerne la délégation de l'exequatur aux consuls, l'autorisa de sa haute compétence. Il pro

« PreviousContinue »