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candidature officielle, parce que le maire est tenu d'obéir à celui qui le nomme sous peine de destitution. Sans doute, mais il n'est pas obligé d'obéir aux ordres qu'on ne lui donne pas. Or, la politique électorale du Cabinet, affirmée non seulement par des paroles, mais par des actes, dans l'élection législative du Rhône et dans les récentes élections départementales, avait été de ne donner aux maires que l'ordre d'agir comme il leur conviendrait. ils n'étaient donc pas exposés à une destitution pour avoir désobéi. Grévy, par une inconséquence involontaire, avait reconnu qu'il ne redoutait pas des ministres actuels « aux intentions desquels il rendait hommage » l'emploi de la candidature officielle, et qu'il était rassuré tant que ces ministres seraient sur ces bancs; c'est l'avenir qui l'effrayait parce qu'il pouvait ramener d'autres ministres ayant d'autres pratiques. L'avenir, en effet, n'était pas plus dans ses mains que dans les nôtres : il pouvait nous rendre des ministres partisans des candidatures officielles (parmi les républicains eux-mêmes, il y en avait de tels, par exemple Jules Simon). Alors Grévy aurait eu des motifs de prétendre que le gouvernement parlementaire n'existait pas. Mais en nier l'existence présente en vue d'un péril hypothétique et soutenir «< qu'il n'en trouvait pas actuellement l'assurance dans les faits » c'était manquer de logique ou de bonne foi. L'amendement fut repoussé par 183 voix contre 55. On a vu depuis l'élection des maires attribuée aux communes. La pression qu'ils

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exercent sur les élections a dépassé de beaucoup celle reprochée aux maires nommés par le gouvernement sous l'Empire.

Johnston me demanda si je considérais la loi comme ayant un caractère provisoire. Je répondis : « La loi se limite à un objet: la nomination des maires; relativement à cet objet, je la considère comme définitive. (Nouvelles marques d'approbation.) Quel que soit notre désir d'accorder aux communes la plus large autonomie possible, nous n'estimons pas que cette autonomie puisse allerjusqu'à détruire le principe de la nomination des maires par le pouvoir exécutif. (Très bien! Très bien! à droite et au centre. - Rumeurs à gauche.JULES FERRY: C'est le « jamais » de M. Rouher.) -Non, Monsieur, « jamais » est un mot qui ne s'emploie pas en politique. Il s'agit d'une situation donnée, d'un état social donné, d'une session prochaine. Dans cette session, nous espérons présenter à la Chambre une loi municipale; mais nous n'abandonnerons pas le principe de la nomination des maires par le pouvoir exécutif, ou plutôt nous ne le remettrons plus en discussion; notre loi sera limitée aux attributions municipales. (Nouvelles marques d'assentiment. Réclamations à gauche. MAGNIN: Et si le pays le veut par quatre millions de signatures?) -Vous me dites: Si le pays le veut ? Si nous persistons encore à croire, comme aujourd'hui, qu'il aurait tort de le vouloir, nous lui dirons : Prenez pour ministres ceux qui vous ont conseillé de demander l'élection des maires par les

communes, nous leur laissons la place. » (Très bien! Très bien!)

La loi fut votée par 178 voix contre 36. Thiers était parmi les 36. Il répudiait la loi que nous avions empruntée à son gouvernement de Juillet, qu'il avait pratiquée alors la trouvant excellente, et qu'il avait encore défendue en 1848, par son vote contre l'innovation en faveur de laquelle il se prononçait aujourd'hui. Daru, Buffet, presque tout le Centre gauche s'était abstenu. Quand on vote, on doit toujours se demander ce qu'il adviendra si ce vote devient majorité or, si le vote de Thiers et de ses amis eût constitué la majorité, la conséquence eût été le droit maintenu au pouvoir exécutif de nommer les maires, même en dehors des conseils municipaux. C'est le tout ou rien révolutionnaire dans son immoralité imprévoyante.

X

La Chambre trancha aussitôt après une question embarrassante et corrigea heureusement une de nos erreurs. Dès que le Sénat eut été assimilé à une Haute Chambre législative, les coureurs de popularité demandèrent que la dotation de 30 000 francs attachée à chaque titre sénatorial fût convertie en une indemnité de 12 500 francs égale à celle des députés au Corps législatif. Nous eussions dû résister à cette mauvaise tentation et maintenir la dotation du Sénat,

T. XIII.

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sauf à la restreindre par une loi sur le cumul. Mais nous résistions si constamment aux exigences, soit de la Droite soit de la Gauche, que nous finìmes, de lassitude, par concéder plus que nous n'aurions dû. Nous proposâmes un projet de loi qui, contrairement à celui émané de l'initiative individuelle, maintenait la dotation de 30000 francs aux sénateurs actuels, mais qui la réduisait à 15 000 pour les sénateurs futurs. Pinard, dans un beau discours, et Mathieu, dans des observations sensées, combattirent le projet de l'initiative individuelle et le nôtre. Nous étions tellement de leur avis qu'aucun de nous n'intervint dans la discussion, si ce n'est moi, pour préciser la portée du vote. Le projet de loi fut repoussé par 158 voix contre 20, et la dotation des sénateurs resta fixée à 30 000 francs 1.

Dès lors nous pûmes préparer une promotion sénatoriale en vue du 15 août. Nous en étions à débattre les noms, quand La Guéronnière vint me voir au moment où je sortais de table, et me dit que Girardin serait enchanté d'être au nombre des sénateurs nouveaux. Mes rapports avec Girardin étaient en ce moment des plus difficiles: obéissait-il à ses instincts naturels, sentant que l'honneur, comme l'habileté, comme le respect humain, lui prescrivait de m'appuyer, il le faisait avec vigueur; écoutait-il les insinuations perfides, s'indignant de ce que, moi

1. Séances du 23 au 28 juin 1870. Voir aussi, sur la question des maires, séance du Sénat du 19 avril 1870.

étant ministre, il ne le fût

pas aussi, il devenait amer et brutal. Dans son journal il n'allait pas jusqu'à une attaque ouverte, qui eût paru bouffonne et eût mis les rieurs contre lui, mais, dans ses conversations, il lançait des mots à double entente, s'enveloppait dans des réticences mélancoliques, excitait à m'attaquer ses amis ou ses créatures, dont les mouvements étaient plus libres que les siens, ou les empêchait de me soutenir. Son action indirecte était très étendue depuis qu'il avait formé avec Gibiat du Constitutionnel et Jenty de la France un syndicat financier, organisé pour pousser quelques affaires, et en contrarier d'autres et qui disposait de plusieurs journaux. On devine avec quel empressement je répondis à l'ouverture qui m'offrait l'occasion de l'apaiser et de lui prouver quels étaient mes véritables sentiments. Je courus incontinent chez l'Empereur. Il n'accueillit pas bien ma proposition, et renouvela les objections de notre entrevue de Compiègne. Ce ne fut qu'à force d'instances que j'obtins son consentement : « Maintenant, lui dis-je, il faut que Votre Majesté ait le bénéfice personnel de cette faveur, qu'elle envoie demain matin Conti l'annoncer à Girardin. » Le lendemain matin, en effet, Conti accomplit cette mission. Depuis, Girardin a prétendu que l'Empereur le lui avait envoyé à mon insu « parce que je m'étais opposé à sa nomination ».

Nous nous attachâmes dans notre promotion à faire leur part à tous les genres d'illustration :

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